Intervention de Sandrine Gaudin

Réunion du jeudi 11 octobre 2018 à 10h15
Commission des affaires européennes

Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes :

Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureuse de vous retrouver. J'étais venue vous rencontrer peu de temps après ma nomination.

Ainsi que vous le souhaitez, je vais parler plus particulièrement de la présidence autrichienne et de nos attentes. Je reviendrai aussi sur le bilan de la présidence bulgare qui, tout en faisant preuve de discrétion et de modestie, s'est avérée une excellente présidence. Il est positif de constater que des pays qui exercent la présidence pour la première fois, comme ce sera aussi le cas pour la Roumanie à partir du 1er janvier 2019, se montrent efficaces alors même que l'Europe n'a pas actuellement le fonctionnement harmonieux qui pouvait être le sien il y a quelques années.

Je vous rappelle que, conformément à l'usage, nous vous avons communiqué en septembre, pour le début de présidence autrichienne, un dossier indiquant nos positions que nous nous sommes efforcés de rendre plus digeste en diminuant sa taille. Nous souhaitons particulièrement entendre vos suggestions sur ces positions.

La présidence bulgare a permis que des textes aboutissent dans différents domaines comme le climat ou l'énergie, avec l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables. La révision de la directive sur le travail détaché, qui faisait partie du programme présidentiel, a également connu son aboutissement en fin de trilogue sous la présidence bulgare. La réussite de cette révision est le symbole d'une Europe qui parvient à s'entendre malgré des divergences très fortes entre, peut-on dire au risque de caricaturer, sa partie occidentale et sa partie orientale. Les États membres ont désormais deux ans pour transposer cette directive. Elle constitue une avancée majeure pour le socle européen des droits sociaux défini lors d'un sommet du Göteborg.

Sur cet autre dossier brûlant qu'est la réforme de l'asile, les Bulgares sont parvenus à mettre en juin sur la table du Conseil « Justice et affaires intérieures » un compromis qui, malheureusement, n'a pu être discuté de façon sereine par les ministres de l'Intérieur. Le nouveau gouvernement italien venait en effet de se mettre en place et la position de l'Italie lors de la première réunion du Conseil des ministres, exprimée par le ministre de l'intérieur Matteo Salvini, a été une position de blocage. C'est en tout cas ce compromis préparé par la Bulgarie qu'aujourd'hui la présidence autrichienne reprend et consolide.

La présidence bulgare a aussi permis de faire avancer le marché unique numérique en portant le bilan à une vingtaine de projets de textes adoptés dans ce cadre. La plupart de ces textes concernent la régulation de l'écosystème numérique dans ses différentes composantes et la circulation des données non personnelles.

Enfin, poursuivant une initiative de la présidence bulgare, la présidence autrichienne a réussi à rassembler les Européens autour d'une candidature européenne unique pour le poste de directeur général de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), et cette candidature est française. Même si ce poste devait échapper à notre candidate, la Bulgarie et l'Autriche auront eu le mérite de mettre les Européens d'accord sur cette candidature, ce qui est assez rare.

L'Autriche a pris la suite de la présidence bulgare dans le contexte particulier de la fin du cycle institutionnel : comme vous le savez, le Parlement européen s'arrêtera de fonctionner fin avril 2019, les dossiers législatifs n'étant alors plus discutés, et la Commission ne fait plus de proposition législative depuis septembre dernier car elle n'est plus en mesure d'assurer le déroulement du processus législatif et des négociations avant l'achèvement de son mandat. Dans ce contexte, la présidence autrichienne subit une pression très forte pour que certains textes parachevant une réforme aboutissent et pour que d'autres ne « dorment » pas pendant un an au fond d'un tiroir. Cette pression, elle nous la fait également subir, même si sur certains dossiers nous faisons preuve d'encore plus de volontarisme.

Plusieurs négociations importantes sont en cours, notamment le cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 sur la base de la proposition présentée par la Commission à la fin du premier semestre de l'année en cours. Les négociations sur le CFP prenant habituellement plusieurs années, il n'est pas vraisemblable que celles-ci s'achèvent avant les élections européennes. Mais la présidence autrichienne, qui en a fait une de ses priorités, mène à un bon rythme les discussions sur ce que l'on nomme les « boîtes de négociation » : pour chacun des rubriques et chapitres en discussion, elle ouvre une « boîte » dans laquelle chaque État membre met toutes les questions qu'il souhaite voir résoudre, que ce soit sur la mise en oeuvre des règlements sectoriels ou sur le volume de financement qu'il entend allouer, puis les « boîtes » sont examinées l'une après l'autre. Cette méthode peut paraître étrange – par parenthèse, elle a cours également à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) – mais elle est très efficace dans la mesure où elle permet à l'ensemble des États membres de faire entièrement connaître leur position sur des sujets comme la recherche ou la dépense administrative de l'Union européenne tout en assurant une parfaite transparence sur tous les éléments de la négociation.

Les Autrichiens ont également à gérer le très lourd dossier du Brexit, même si cette négociation incombe à la task force pilotée par Michel Barnier. Le Brexit sera en effet le sujet du Conseil européen de la semaine prochaine dont l'organisation a été modifiée afin de prévoir une soirée supplémentaire de discussion sur le Brexit. L'heure est grave puisque c'est à ce Conseil que nous devrions aboutir à deux textes : un accord de retrait en vertu de l'article 50 du Traité, qui matérialisera le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne ; et une déclaration plus politique qui précisera, d'un commun accord, quelle sera notre future relation avec le Royaume-Uni dans le domaine économique et commercial mais aussi dans les domaines de la politique de défense, de la politique étrangère et de la coopération policière et judiciaire. Je reviendrai, si vous le souhaitez, sur cette question du Brexit qui est le gros dossier du moment.

Si la présidence autrichienne n'a pas directement la charge du Brexit, le déroulement de sa présidence s'en trouve, peut-on dire, perturbé. C'est ainsi que le sommet informel des chefs d'État et de gouvernement organisé à Salzbourg le 19 septembre dernier, qui aurait dû être consacré aux questions de sécurité et aux questions migratoires, a principalement porté sur le Brexit. La présidence du Conseil de l'Union européenne oblige en effet souvent à s'écarter du programme prévu pour tenir compte des crises du moment.

Vous n'ignorez pas les priorités que s'est données la présidence autrichienne qui a placé sa gouvernance sous la devise « Une Europe qui protège ». Ce slogan ne peut que nous satisfaire puisque nous défendons nous aussi l'idée d'une Europe qui protège, particulièrement depuis le discours que le Président de la République a fait à la Sorbonne le 26 septembre 2017. Certes, telle que la conçoit l'Autriche, elle est avant tout une Europe qui protège ses frontières extérieures. Sa vision de l'Europe est donc plus sécuritaire que l'Europe qui protège telle que nous l'entendons et qui comporte, outre cet aspect, une attention aux questions sociales et à l'emploi, notamment. La devise de la présidence autrichienne fait donc surtout référence à la nécessité, pour l'Union européenne, de mieux protéger sa frontière extérieure dans le contexte de la lutte contre l'immigration illégale.

Le slogan qu'a choisi la présidence autrichienne donne une coloration particulière aux réunions qu'elle organise mais il s'est aussi concrétisé dans l'agenda par lequel la Commission a rendu publiques les dernières propositions de son mandat. La plupart de ces propositions concernent l'Europe qui protège telle que la conçoit l'Autriche. Ainsi, l'une d'entre elles est de renforcer le mandat et les moyens de l'agence Frontex qui est en charge de la surveillance et de la protection des frontières extérieures de l'Union. Une autre proposition, qui a été discutée à Salzbourg, concerne le retrait des contenus illicites, notamment à caractère terroriste, publiés sur Internet. Comme ce sujet nous importe tout particulièrement, nous avons fortement encouragé la Commission à faire cette proposition. Enfin, la Commission a publié le 12 septembre dernier plusieurs textes destinés à renforcer la protection contre la cybercriminalité qui vont permettre à l'Union européenne de se doter, sinon d'un corpus de règles, du moins d'une doctrine commune sur ce sujet très préoccupant.

L'Europe qui protège recouvre aussi les questions migratoires. Ces discussions donnent toujours lieu à beaucoup de discussions et aussi, il faut le dire, à beaucoup de divisions. Cependant, l'actuelle présidence devrait proposer demain au Conseil « Justice et affaires intérieures », à partir du compromis bulgare, une réforme de l'asile qui remplacerait le concept de répartition obligatoire des migrants par celui de solidarité obligatoire. Cette solution permettrait que la solidarité soit plus large que celle qui existe aujourd'hui lorsque nous accueillons des migrants suite, par exemple, à des débarquements de bateaux d'organisations non gouvernementales (ONG) dans les ports européens. Nous allons donc voir si cette notion de solidarité obligatoire va s'inscrire dans les débats et se décliner dans la réforme du règlement de Dublin que nous espérons voir aboutir avant la fin du mandat de l'actuelle Commission. Ce sujet est en tout cas absolument prioritaire.

Le renforcement de Frontex est une autre priorité. En effet, il représente la concrétisation d'une Europe qui se protège de façon plus collective mais aussi qui s'organise pour un meilleur accueil des migrants, une meilleure gestion des demandes d'asile et un retour des migrants qui n'ont pas obtenu le droit de séjourner sur le territoire de l'Union plus efficace. Le retour – euphémisme qui désigne l'expulsion vers leur pays d'origine des migrants n'ayant pas été admis – a aussi fait l'objet le 12 septembre dernier d'une proposition de la Commission prévoyant que les Européens puissent mutualiser davantage leurs opérations de rapatriement.

Ces propositions dans le domaine migratoire – le retour, Frontex et le compromis autour de la réforme du règlement de Dublin – sont la mise en oeuvre des conclusions rendues par le Conseil européen fin juin lorsqu'il a appelé à traiter le sujet migratoire de façon globale. Ce traitement global comporte un volet en amont, l'Union européenne réalisant avec les pays à l'origine des flux migratoires un travail qu'elle va poursuivre en augmentant sans doute les moyens financiers en direction de ces pays. Un deuxième volet concerne la gestion des frontières extérieures : ce sont les propositions en rapport avec Frontex mais aussi l'aide concrète accordée aux garde-côtes libyens pour leur travail quotidien ainsi que l'assistance technique donnée au Maroc et à la Tunisie pour faire face aux flux migratoires passant par ces pays, qui sont les nouvelles routes d'émigration vers l'Europe. Et, en interne, un volet concerne la réforme des règles de Dublin qui ont été quelque peu mises à mal par la crise migratoire de 2015.

Une autre priorité de la présidence autrichienne concerne l'achèvement de l'agenda du marché intérieur numérique. Il est dommage que nous ayons tant de sujets lourds à régler en fin de législature, car nous aurions aimé travailler plus sereinement sur celui-ci.

La présidence autrichienne défend également avec vigueur, comme la France, l'idée relativement nouvelle d'une politique industrielle au niveau européen. Elle souhaite axer cette politique industrielle sur l'émergence de conditions favorables à l'innovation et à la recherche. Cette politique industrielle s'inscrit aussi dans la continuité de la demande, formulée en juin dernier par le Conseil européen, de mise en place d'un programme de coopération en matière d'innovation de rupture, notamment dans le domaine de l'intelligence artificielle. La présidence autrichienne encourage fortement les groupes de travail concernés à accélérer la mise en place de cette préfiguration qui, elle aussi, figurait dans le discours que le Président de la République a prononcé à la Sorbonne. Certes, ce sujet ne fait pas partie de ceux qui sont les plus débattus à Bruxelles mais il me paraît important que vous sachiez qu'y sont prises des initiatives de cette nature, qui ont un effet très positif sur la compétitivité.

Concernant la politique de voisinage et de rapprochement avec les Balkans occidentaux et l'Europe du Sud-Est, un débat assez vif a eu lieu vers la fin de la présidence bulgare sur la question de l'ouverture de négociations d'adhésion avec la Macédoine et l'Albanie. La France et les Pays-Bas ont alors manifesté leur opposition à l'ouverture de ces négociations en raison de l'insuffisance des réformes faites par ces deux pays. À l'issue de ce débat qui a duré plus de dix heures, il a été décidé de reporter cette décision à la fin de l'année 2019. Les Autrichiens, qui sont très favorables à l'élargissement de l'Union européenne à ces deux pays, ont ainsi une tâche difficile puisqu'ils doivent gérer la poursuite du travail réalisé par la Commission de screening des réformes faites par ces deux candidats dans un contexte où la très grande majorité de l'Union européenne souhaite l'élargissement, mais où une infime minorité, ayant un droit de veto, y est opposée. Il leur faut donc veiller à ce que les travaux qui se déroulent entre la Commission et ces deux pays soient intenses, afin que le débat de l'année prochaine se déroule plus sereinement et que ce sujet ne crée plus de divisions entre Européens.

Parmi les priorités de la présidence autrichienne, il faut encore citer le renforcement de l'union économique et monétaire qui progresse, quoiqu'assez lentement, et l'Europe de la défense qui a connu des développements assez forts en début d'année. Concernant l'Europe de la défense, nous sommes désormais plutôt dans une phase de suivi, notamment par la mise en oeuvre du Programme européen de développement industriel de défense et les négociations en cours sur le Fonds européen de la défense dans le cadre du prochain CFP.

La préparation de la COP 24, qui se déroulera à Katowice, en Pologne, à la fin de l'année, incombe également à la présidence autrichienne. Cette COP 24 appelle, de la part de l'Union européenne, une prise de position commune ambitieuse pour demander que le niveau d'ambition des États dans leur lutte contre le changement climatique soit mis à jour. Ainsi, l'Union européenne pourra continuer à avoir à la fois un rôle de moteur et de pilote dans ce processus. Ce 9 octobre, un accord sur une réduction des émissions de CO2 des véhicules légers, qui constitue une importante avancée, a d'ailleurs été trouvé lors du Conseil « Environnement ».

Il me faut également évoquer la fiscalité sur le chiffre d'affaires des entreprises travaillant dans le secteur du numérique, qui est une priorité tant pour nous que pour la présidence autrichienne. Cette dernière s'est donné les moyens, en termes de volume horaire de réunions, pour que le Conseil trouve un accord avant fin 2018 et que ce sujet passe devant le Parlement au début de l'année suivante.

Enfin, lors du Conseil européen de décembre 2018 se tiendra une discussion qui sera la restitution du résultat des consultations citoyennes organisées dans vingt-six des États membres. Nous sommes très attachés à ce processus et ce fut pour nous hier une satisfaction de constater que nous avions atteint le nombre de mille consultations citoyennes physiques organisées en France. Nous avons jusqu'au 31 octobre pour améliorer encore cette performance mais les Français sont d'ores et déjà le peuple qui, avec les Hongrois, répond le plus au questionnaire en ligne mis en place par la Commission. Nous ignorons pour le moment quelle sera la nature de la restitution de ces consultations, mais elle sera essentielle pour aborder la préparation des élections européennes et le sommet que les Roumains organisent à Sibiu début mai 2019 et qui donnera lieu à une réflexion sur l'avenir de l'Europe.

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