Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. Chacun le sait, vous êtes ici en terrain connu et je ne doute pas que votre connaissance approfondie des dossiers facilitera grandement nos échanges, qui ont d'ailleurs déjà commencé au début de la semaine. Je me réjouis d'avoir entendu dans vos propos des réponses à plusieurs des interrogations que j'avais eu l'occasion de formuler et que je réitérerai ici de manière plus formelle.
Le budget que vous défendez est stabilisé, « conforté », selon le terme que vous avez choisi. Je vous l'accorde bien volontiers, si l'on s'en tient à une comparaison avec les derniers exercices. Mais si l'on privilégie une perspective plus lointaine, on constate que les moyens alloués à la culture n'ont cessé de diminuer, ce qui a provoqué une évolution : le recours des établissements culturels, notamment les musées nationaux, au secteur privé pour développer leurs ressources propres. C'est l'objet de la partie thématique de mon rapport pour avis.
Ce sont 3,1 milliards d'euros qui sont alloués à la mission « Culture » au titre des programmes « Patrimoine », « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », dont les priorités sont de lutter contre les ségrégations territoriales – une action que vous avez placée en haut de votre liste, ce dont je vous remercie –, de protéger plus activement notre patrimoine et de soutenir la création, action pour laquelle notre commission s'est parfois inquiétée. Parce qu'il me sera impossible, dans le temps qui m'est imparti, de commenter ces programmes en détail, je m'en tiendrai aux sujets essentiels et à quelques autres qui appellent des précisions.
Je commencerai par le Pass Culture. Une enveloppe de 29 millions d'euros supplémentaires permettra que 10 000 jeunes gens expérimentent le dispositif. Le Pass Culture – dont les modalités pratiques demeurent assez floues, vous en conviendrez – coûtera 34 millions d'euros en 2019. À raison de 3 400 euros chacun, la somme est considérable rapportée au nombre d'élèves concernés. Combien coûtera donc le dispositif déployé auprès d'une classe d'âge entière ? Il est bon d'expérimenter comme vous voulez le faire, mais ce projet ayant été annoncé comme prioritaire par le Président de la République, la question ne peut manquer d'être posée. D'ailleurs, ne craignez-vous pas que la montée en puissance du Pass Culture se fasse au détriment d'autres missions ? La réduction des moyens alloués à l'enseignement supérieur relevant du ministère de la Culture – qui se traduit par une baisse de 3 millions d'euros pour les bourses et les aides individuelles et de 17 millions des investissements pour les écoles – n'en est-elle pas un premier exemple ? Comment expliquez-vous d'autre part la baisse de 8,5 millions d'euros de la ligne « Politique territoriale et cohésion sociale » qui finance le programme « Culture près de chez vous » ?
S'agissant du patrimoine, je salue la volonté de consolider la hausse de 4 millions d'euros des moyens consacrés à l'entretien des monuments historiques ; c'est un juste rééquilibrage après des années de reculs successifs. Le Fonds incitatif et partenarial en faveur des monuments historiques des collectivités à faibles ressources, doté de 15 millions d'euros, sera reconduit en 2019, c'est une satisfaction. Vous avez rappelé que ces ressources servent à réaliser 151 rénovations dans douze régions ; c'est une très bonne chose. Les Français, comme leurs députés, sont attachés à leurs monuments historiques, le succès du Loto du patrimoine en témoigne. Au nom de mes collègues, je rends hommage à l'action menée par Stéphane Bern. Le tirage spécial devrait, nous avez-vous dit, rapporter entre 15 et 20 millions d'euros mais, le ministre des comptes publics ayant confirmé le prélèvement des taxes habituelles, quelle somme sera réellement mobilisable au bénéfice de la préservation du patrimoine ? Et qu'en sera-t-il de ce dispositif une fois la Française des Jeux privatisée ?
En matière d'investissements, pouvez-vous préciser le projet de rénovation du château de Villers-Cotterêts, où il est question de créer un espace consacré à la langue française et à la francophonie ? Nous partageons, monsieur le ministre, la même ambition pour ce qui est du rayonnement de la francophonie, mais à ce stade, hormis un coût estimé de 110 millions d'euros dont on ne sait comment il a été évalué – outre la restauration du château, ce montant couvre-t-il également la création du musée ? –, le projet et son financement demeurent assez vagues. La mission affiche 55 millions d'euros en autorisations d'engagement, l'autre moitié du coût devant être couverte par le Grand Plan d'investissement et le mécénat. Vous-même ou vos services, puisque vous venez d'arriver aux affaires, avez-vous déjà identifié de possibles partenaires ?
Pouvez-vous d'autre part confirmer l'engagement de l'État dans le projet de la Cité du théâtre qui doit voir le jour en 2022 dans le 17e arrondissement de Paris, et dans une nouvelle salle de concert de l'Opéra Bastille ? Les crédits de paiement – 9,5 millions d'euros – inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019 sont faibles au regard du budget total nécessaire.
S'agissant du programme « Création », les professionnels du secteur réclament la création d'un Centre national de la musique (CNM). À cette revendication maintes fois repoussée, Mme Nyssen s'était montrée favorable, et j'ai cru comprendre que vous l'êtes aussi. Le CNM semble désormais sur les rails et 5 millions d'euros sont censés être inscrits à cette fin dans le projet de loi de finances pour 2019 – mais le terme « inscription » est un peu fort, puisqu'il est impossible d'en trouver la moindre trace dans les documents budgétaires… Selon le rapport de nos collègues Pascal Bois et Émilie Cariou, il faut trouver 20 millions d'euros pour assurer le fonctionnement du CNM, une somme qui, chacun l'imagine aisément, ne sortira pas des caisses de l'État. Certains préconisent de consacrer au CNM une partie du produit de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE), aujourd'hui reversée au budget général ; qu'en pensez-vous ?
Les crédits d'impôt culturels font l'objet d'un audit de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires culturelles, et de nombreux professionnels s'inquiètent de les voir sinon disparaître, à tout le moins subir un coup de rabot. Je comptais vous demander votre opinion sur ces dispositifs fiscaux qui ont fait leurs preuves et savoir si vous êtes favorable à la création d'un crédit d'impôt portant sur la production de spectacles de théâtre ou d'art dramatique – j'ai déposé un amendement en ce sens – mais je viens de vous entendre dire que vous souhaitez consolider la politique fiscale en matière de crédits d'impôt culturels et je vous en remercie. J'espère pouvoir compter sur votre appui lors de la présentation de mon amendement portant création d'un crédit d'impôt sur les spectacles d'art dramatique.
Je tiens enfin à me faire le relais de nombreux professionnels du spectacle vivant qui s'inquiètent : considérez-vous que les 2 millions d'euros du Fonds de sécurisation des sites et événements culturels suffiront à couvrir les surcoûts de sécurité ? Quel regard portez-vous sur la circulaire « Collomb », qui contraint les organisateurs de festivals à prendre en charge les coûts induits par la présence de policiers ou de gendarmes à l'extérieur des lieux où se déroulent des manifestations culturelles, au sein des périmètres fonctionnels ? J'attends une réponse du bureau de notre commission à ma proposition de création d'une mission d'information sur ce sujet.
Je terminerai sur la partie « crédits » par deux questions. Première question : le plafond d'emploi du ministère diminue de 60 équivalents temps plein : quels sont les services concernés alors que vous avez évoqué la « sanctuarisation » du personnel des DRAC ? Deuxième question : comment expliquez-vous la baisse importante des ressources affectées au FONPEPS, dont les crédits de paiement passent de 22 millions d'euros en 2018 à 9,5 millions d'euros en 2019 ?
Vous aurez compris, chers collègues, que je prononcerai un avis favorable sur les crédits de la mission « Culture ».
J'en viens maintenant au thème que j'ai choisi d'étudier : les stratégies mises en oeuvre par les musées nationaux pour accroître leurs ressources propres. Cette notion recouvre des réalités très variées : billetterie, mécénat, location de salles de réception, concession de boutiques et de restaurants, exploitation de droit à l'image, vente d'expositions à l'étranger… Ces activités tendent à accroître les ressources en complément des dotations publiques. Les dirigeants des établissements que nous avons rencontrés, pour différents qu'ils soient, partagent un constat commun : le développement des ressources propres ne saurait justifier de la part de l'État un désengagement plus important qu'il ne l'est actuellement. D'abord, parce qu'à l'exception des établissements les plus importants, nombre de musées nationaux n'ont pas les capacités logistiques et humaines de développer la recherche de mécénat ; on constate d'ailleurs que la hausse des ressources propres s'accompagne de celle des charges de fonctionnement. Ensuite, et c'est sans doute l'essentiel, parce que les ressources propres, instables, n'offrent qu'une prévisibilité limitée en termes de gestion.
Les musées nationaux s'emploient donc en priorité à développer les secteurs qu'ils maîtrisent pleinement, telle la billetterie. Optimiser la fréquentation, c'est veiller à l'accueil des visiteurs, mais c'est aussi mener une politique tarifaire efficace – ce qui pose la question de la gratuité. S'il convient de ne pas la remettre en cause pour les jeunes âgés de moins de 26 ans, la hausse exponentielle du nombre des entrées non payantes doit faire s'interroger, en particulier sur l'effet d'aubaine que cela représente pour les tours-opérateurs. Certains musées tentent de s'adapter en refusant l'accès aux groupes les dimanches gratuits, ou en déplaçant en soirée la période de gratuité. En toute hypothèse, le ministère ne peut s'exonérer d'une réflexion plus approfondie à ce sujet.
S'agissant du mécénat, je le dis d'emblée : le cadre général de la loi « Aillagon » doit être préservé. Je suis heureuse de vous avoir entendu parler tout à l'heure de ce sujet majeur, monsieur le ministre. Sans la loi du 1er août 2003, bon nombre d'oeuvres ne seraient pas entrées dans les collections du musée du Louvre. Le mécénat a aussi permis des travaux de rénovation colossaux, au château de Versailles comme au château de Fontainebleau et en bien d'autres lieux. Il reste que le dispositif est sans doute perfectible. Le régime des contreparties pourrait évoluer : est-il normal d'imposer aux musées des contreparties pouvant atteindre le quart de la valeur du don – contrepartie qui, incidemment, est souvent complexe à mettre en oeuvre ? L'avantage fiscal n'est-il pas suffisant ?
L'amendement du rapporteur général créant un plancher de 10 000 euros et un plafond de 10 millions d'euros a été retiré ; le débat est donc reporté et je m'en réjouis, mais dans l'attente du rapport de la Cour des comptes que vous avez évoqué, je ne saurais trop insister sur la nécessité de ne modifier la loi « Aillagon » qu'avec la plus grande prudence. S'il est indispensable de faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises au mécénat – ce sera l'objet de l'un de mes amendements – il serait pour le moins hasardeux de dissuader les plus grandes en fixant un plafond.
S'agissant du mécénat des particuliers, il y a toujours de grands mécènes, et aussi des associations d'amis des musées qui permettent aux établissements d'acquérir ou de restaurer des oeuvres. Nous aurons certainement l'occasion de revenir sur ces questions dans le détail et je vous laisserai, chers collègues, découvrir mon rapport qui explique les stratégies employées par les musées pour diversifier les ressources : location de salles, tournages, concessions, restauration, valorisation de leur marque… Les stratégies et les priorités diffèrent bien sûr d'une institution à l'autre, en fonction de l'emplacement, de la taille et des points forts respectifs. Mon tour d'horizon montre néanmoins que c'est d'abord dans la billetterie, la location d'espaces et le mécénat que se trouvent les gisements de progression des ressources propres et que doivent porter les efforts des musées. Cela étant, la recherche de ressources propres ne doit pas supplanter la mission première des musées nationaux, qui est de rendre accessibles à tous les collections qui appartiennent à la nation. L'accroissement de leurs ressources propres doit au contraire leur permettre d'amplifier leur mission de service public.