Je veux d'abord remercier mes collègues de la confiance qu'ils m'ont témoignée en me confiant ce premier rapport pour avis. C'est une mission exceptionnelle, la ministre l'a rappelé, avec des crédits en augmentation, de 22 % – 2,491 milliards d'euros – en autorisations d'engagement (AE) et de 21 % – 2,576 milliards euros – en crédits de paiement (CP).
Passé le premier moment d'agréable surprise, il nous faut regarder un peu plus en profondeur d'où vient cette augmentation, une augmentation de 473 millions d'euros qui provient de trois sources. La première est la transformation du CICE en exonérations de charges à l'échelle nationale ; 296 millions d'euros qui constituent, non pas une modification structurelle entre CICE et exonérations de charges, mais un changement de périmètre. La bonne nouvelle est l'affichage, dans la mission « Outre-mer », de ce soutien très fort au développement de l'économie et au soutien de l'empoi dans nos territoires. J'y reviendrai, car l'une des principales difficultés à comprendre les politiques menées outre-mer, c'est qu'elles ne sont pas toutes résumées dans cette mission.
La deuxième source, ce sont les 170 millions d'euros les plus célèbres de ces dernières semaines : 100 millions d'euros issus de la suppression du dispositif de la taxe sur la valeur ajoutée non perçue récupérable (TVA NPR), et 70 millions d'euros issus de la diminution de l'abattement sur l'impôt sur le revenu qui existe dans certains de nos DROM – la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion.
Cent soixante-dix millions d'euros d'aides fiscales sont transformées en soutien budgétaire. Cette transformation, quasiment une révolution du mode d'accompagnement de nos territoires, explique une bonne partie des questionnements de mes collègues, la semaine dernière.
Pour résumer le sentiment général sur cette mission et rejoindre l'ambition affichée par la ministre, je crois que nous pouvons parler de stratégie disruptive. À l'échelle des outre-mer, il s'agit d'une stratégie économique qui peut s'appliquer à notre situation, qui consiste à changer sur un marché des positions durablement établies par une nouvelle stratégie et une ouverture au plus grand nombre. Vous verrez tout à l'heure pourquoi il s'agit, à mon avis, à bien des égards, d'une stratégie distructive et donc volontariste à l'échelle des outre-mer, avec un but affiché d'améliorer l'efficacité, si ce n'est l'efficience des dispositifs qui ont été pour certains supprimés et pour d'autres abondés.
Je vous dirai quelques mots de ces fameux 170 millions d'euros : deux dispositifs ont été supprimés et remplacés par des crédits répartis sur les deux programmes qui constituent la mission « Outre-mer », les programmes 123 et 138, relatifs respectivement au soutien à l'emploi et à l'amélioration des conditions de vie. Lorsque des aides fiscales disparaissent, bien souvent elles se perdent dans la masse et ne bénéficient plus à ceux qui les recevaient auparavant. Nous serons donc nombreux à considérer que la conservation des 170 millions d'euros est une bonne nouvelle. Cela n'a probablement pas été un mince effort, madame la ministre, que d'affronter Bercy pour récupérer la totalité de cette somme.
Une deuxième bonne nouvelle est la sanctuarisation de ces 170 millions d'euros pour le reste de la mandature : une nouvelle susceptible de rassurer nos collègues qui se préoccupent, et à juste titre, de la disparition de ce niveau d'aide, remplacée par une nouvelle méthode d'appui budgétaire.
Deux problèmes sont à identifier. D'abord, quand ils disparaissent, ces dispositifs entraînent une réaction des uns et des autres – représentations patronales, chambres consulaires, entreprises. Ils se demandent s'ils vont pouvoir bénéficier, sous une autre forme, de la même aide. La justification, contenue dans le document qui nous a été remis, est incomplète s'agissant de l'inefficience de ces deux mécanismes. Cela a été dit, mais non suffisamment étayé dans le document pour balayer un certain nombre de protestations. Ensuite, concernant la pédagogie de la réforme, je crois qu'elle a eu lieu, pour partie, mais qu'elle est insuffisante. Pour symboliser les inquiètudes de nos collègues, je voudrais vous renvoyer à la page 18 de mon rapport pour avis : un tableau permet de voir de manière plus large, sur l'ensemble du budget de l'État, les 18,5 milliards d'euros dépensés pour les outre-mer, toutes missions confondues. Ces 18,5 milliards d'euros sont répartis par territoire ; or il y a une ligne intitulée « non répartis ». Cette ligne, d'un exercice à l'autre, passe de 180 millions d'euros en 2018, soit 1 %, à 1,7 milliard d'euros en 2019, soit 9,3 %. Lorsque la ligne « non répartis » augmente dans une telle proportion, elle est génératrice des questionnements quant à la lisibilité de la modification et de la réforme conduite.
Néanmoins, il convient d'éviter désormais le piège dans lequel nous sommes tombés, mes chers collègues, la semaine dernière, car cela nous conduirait à nous opposer malgré nous. Je vous le dis, car j'ai vécu douloureusement les commentaires de certains qui pensaient que nous étions dans une confrontation entre une solidarité nationale, que nous appelons collectivement et qui fonde la logique de l'élaboration du Livre bleu, et une solidarité ultramarine. Ou, pire encore, dans une opposition entre les DROM et les collectivités d'outre-mer (COM), au motif que les deux dispositifs supprimés bénéficiaient exclusivement aux DROM et que, maintenant qu'ils sont répartis plus largement, les COM en bénéficient aussi.
Vingt-quatre milliards d'euros, donc, si nous ajoutons les dépenses fiscales, tel est l'effort de l'État à l'échelle du budget – et non pas de la mission, qui n'en reflète qu'un dizième. Notre mission est la seule mission du PLF qui ne traduit pas de manière complète, tant s'en faut, la stratégie politique et budgétaire menée à l'égard des territoires. C'est aussi la seule qui soit à vocation géographique, c'est-à-dire horizontale et non pas verticale ; les autres missions sont concentrées par thématique.
Le programme 138, concerne l'emploi. Il est doté de 1,688 milliard d'euros et comporte quatre actions. L'action principale, qui représente 85 % de l'effort financier, est le soutien aux entreprises qui affiche deux objectifs : la lutte contre les handicaps structurels que connaissent nos économies et l'amélioration de la compétitivité des entreprises – deux objectifs qui vont de pair et que personne ne remet en cause. Je voudrais insister sur une nouveauté, puisque elle consacre une partie de la nouvelle affectation des 170 millions d'euros, c'est l'action 4, « Financement de l'économie ». Madame la ministre, vous l'avez dit tout à l'heure, 50 millions d'euros lui ont été alloués, issus des 170 millions d'euros, et qui servent à financer les dispositifs suivants : création de fonds de garantie pour préfinancer des créances – celles des entreprises qui ont passé des marchés avec des donneurs d'ordres, publics ou privé, et qui ne sont pas payées ; plans de développement pour financer des besoins en fonds de roulement ; outils de capital-investissement ; subventions d'investissement sur appels à projets. Tout cela est très bien. Mais j'appelle votre attention, madame la ministre : il ne faudrait pas que la réponse de l'État à l'égard des besoins de financement de nos entreprises se trouve réduite à l'intérieur de cette action. Car il ne pourra pas, ni à hauteur de 50 millions d'euros, ni même de 65 millions si j'ajoute le montant dévolu à une autre action, se réduire à cela. Nos besoins sont bien plus larges. Notre collègue Serge Letchimy a déposé un amendement, il y a deux ans, pour conditionner la baisse de l'option pour un crédit d'impôt ou une aide fiscale à un dispositif pérenne de préfinancement des entreprises. Ce dispositif fait défaut encore aujourd'hui, je le regrette, et je voudrais indiquer que le financement des entreprises ne pourra pas se résumer à cette aide, même si elle est la bienvenue.
Madame la présidente, pardonnez-moi d'avoir été un peu long ; c'est probablement le fruit de mon inexpérience. Je voudrais indiquer, en conclusion, les deux thématiques sur lesquelles j'ai tenu à faire porter mes travaux. La première est chère à l'ensemble de nos collègues : c'est la lutte contre les violences faites aux femmes, car l'outre-mer est malheureusement, à cet égard, à la pire place du classement. Il faut conduire des politiques qui soient plus visibles ; je formulerai une proposition pour qu'elle soit inscrite dans la mission en tant qu'action identifiée. La seconde thématique a trait au référendum sur la Nouvelle-Calédonie et son autodétermination, mais je n'en dirai naturellement pas plus.
Telles sont les remarques que je souhaitais faire avant d'exprimer un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission, tout en souhaitant, bien sûr, que l'audace et le volontarisme affichés se traduisent dans les faits en 2019.