Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 16h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Je souhaite volontiers répondre, encore que la multitude de questions posées m'inciterait à vous parler durant deux ou trois heures ! Je vais essayer de réduire mon propos.

Je voudrais dire d'emblée à M. Houbron qu'au regard du sujet qu'il a souhaité mettre en exergue, qui s'attache à l'accès au droit, il s'agit vraiment d'une de mes préoccupations très fortes. Je souhaite y consacrer un chantier complet au cours de l'année 2019. Je pense en effet qu'il y a là différents sujets dont il convient de se saisir – non seulement, l'aide juridictionnelle mais, au-delà, la manière dont on peut mettre en oeuvre l'accès au droit, et pas uniquement dans des points fixes et figés où les gens viennent chercher des informations. Il faut au contraire que différents partenaires aillent vers les gens les plus démunis, qui ignorent même souvent qu'ils peuvent avoir accès au droit.

En réponse aux questions précises que vous avez posées concernant l'aide juridictionnelle, je voudrais redire que son budget est augmenté de 7 %. J'ai eu l'occasion de le dire tout à l'heure, cela marque un effort important et permettra de financer les réformes précédentes, notamment les augmentations qui ont eu lieu pour les unités de valeur de l'aide juridictionnelle, mais aussi celles que nous avons prévues pour l'extension de la représentation obligatoire. En revanche, sur la conception générale de l'aide juridictionnelle, sur laquelle vous me faites un certain nombre de propositions, je dois aussi évoquer ces sujets majeurs avec les avocats notamment, puisque ce sont eux les premiers concernés. Il me faut du temps. Cela fait partie des chantiers qui ont été ouverts par la profession d'avocat. Vous le savez, le Conseil national des barreaux a ouvert des états généraux sur l'avenir de cette profession. L'aide juridictionnelle fera partie de l'un des chantiers qui sont ouverts et sur lesquels nous allons travailler avec les avocats. Il me faut ce temps pour pouvoir mettre en place des propositions cohérentes et qui, j'espère, seront pérennes. Je suis évidemment très attentive à l'ensemble des propositions que vous avez formulées et que nous aurons l'occasion de retravailler durant l'année qui vient.

Vous avez également souligné la possibilité de mettre en place une mission parlementaire consacrée à ces sujets. Je n'y verrais que des avantages et des intérêts.

D'ores et déjà, le rapport des inspections dont j'ai fait mention tout à l'heure – inspection générale de la justice et inspection générale des finances – propose un certain nombre de pistes intéressantes pour une meilleure maîtrise du dispositif de l'aide juridictionnelle. Nous y travaillerons, évidemment.

Pour en venir aux questions de dématérialisation que vous évoquez, je voudrais dire que dématérialisation ne signifie pas exclusion des plus démunis. Nous y serons très attentifs.

Vous évoquez le déploiement des points d'accès au droit au sein des TGI. Je suis très intéressée par leur existence, mais plus encore à l'extérieur des TGI. Il y en a dans beaucoup de villes, mais pas assez – je regarde, disant cela, Mme Alexandra Louis ! Il faudrait déployer dans encore bien d'autres endroits ces points d'accès au droit ou ces maisons du droit et de la justice, peu importe leur nom. Cela fait partie du chantier global que nous devons poursuivre. Au sein des tribunaux, nous souhaitons en revanche développer partout les SAUJ, qui permettront d'accueillir tous ceux qui viennent soit chercher des orientations, soit au contraire déposer une demande d'aide juridictionnelle – et qui sont accompagnés pour le faire. Vous voyez donc que numérisation ne signifie pas abandon de l'accueil physique.

Vous avez évoqué d'ailleurs certains cas, peu fréquents, dans lesquels plusieurs demandes d'aide juridictionnelle doivent être faites pour plusieurs affaires liées. Cela s'explique par le fait qu'en réalité l'avocat désigné n'est pas toujours le même. Mais, justement, je pense que la dématérialisation des procédures nous permettra de dépasser ce type de contrainte, puisqu'avec le système dématérialisé nous pourrons appliquer le principe « dites-le nous une fois seulement ». Cela permettra de réduire le nombre d'informations demandées et de pièces exigées.

Vous avez également évoqué la question des conditions de ressources et de l'harmonisation des pratiques de leur prise en compte. Dans le cadre du projet de numérisation de l'aide juridictionnelle, nous souhaitons précisément transformer les modalités de prise en compte du critère de ressources afin de retenir un critère simple qui permettra d'automatiser davantage les contrôles. Ce sera, a priori, le revenu fiscal de référence (RFR), mais nous n'excluons aucune piste et des tests vont avoir lieu dans différentes juridictions.

Sur la situation des personnes en situation irrégulière, la difficulté que vous évoquez n'est pas liée à la question du foyer, puisque la prise en compte des revenus des personnes vivant au foyer suppose une communauté de vie. En réalité, c'est la loi de 1991 qui, dans son article 3, dispose aujourd'hui qu'une résidence habituelle et régulière est nécessaire pour bénéficier de l'aide juridictionnelle. Donc, là encore, il faudra peut-être engager une réflexion.

Je ne sais pas si je continue à répondre à chacune de vos questions ou si vous m'autorisez à développer l'ensemble de ces sujets un peu plus tard, lorsque nous pourrons soit travailler ensemble, soit accompagner des réflexions qui seront conduites dans le cadre du travail mis en place avec les avocats ? En tout cas, je vous le dis ici, c'est vraiment pour moi un point essentiel auquel je souhaite m'atteler dès 2019.

Monsieur Questel, vous me posez quatre questions. Par la première, vous me demandez des précisions sur les 7 000 places de prison. Je voudrais redire qu'il ne s'agit pas de 7 000 places, mais bien de 15 000. Elles seront soit livrées, soit lancées, avant 2022. J'ai eu l'occasion de préciser dans mon propos introductif que ces places de prison répondent à des exigences d'établissements différenciés nous permettant soit d'accueillir au sein d'un même établissement des détenus qui sont sous des régimes de détention différents, soit de construire des établissements spécifiques pour accueillir des détenus qui se trouvent à un moment donné de leur parcours de peine dans une même situation. C'est la raison pour laquelle nous ne construirons pas de maison centrale. Il y a suffisamment de ces maisons les plus sécuritaires sur le territoire. Elles ne sont d'ailleurs pas remplies et ne connaissent aucune surpopulation carcérale. Nous n'avons pas de besoin supplémentaire dans ce domaine-là. En revanche, nous allons construire des centres pénitentiaires adaptés. Je vous ai dit qu'il y aurait environ 10 000 places sur les 15 000 qui répondront à cela. Ces centres pénitentiaires nous permettront d'accueillir des personnes sous des régimes de détention diversifiés – aussi bien des personnes nécessitant des exigences de sécurité soutenue que des personnes éligibles à des régimes plus autonomes, dits régimes de confiance. La construction architecturale répondra à ces exigences. Nous construirons également des maisons d'arrêt, à raison de 2 500 places, répondant aux besoins de détention des prévenus. Et je souhaite que nous y prévoyions des dispositifs qui nous permettront de développer des activités aussi bien en termes de formation qu'en termes d'emploi. Hier, j'ai pu engager un dialogue avec Mme Pécresse, présidente du conseil régional d'Île-de-France, qui soulignait à quel point sa région pourrait – comme d'autres d'ailleurs – intervenir pour appuyer la formation professionnelle dans ces maisons d'arrêt ou dans les centres pénitentiaires de plus longues peines.

Nous construirons aussi 2 000 places dans des SAS destinées, comme je le disais tout à l'heure, soit à des détenus qui ont à effectuer de courtes peines de prison et pour lesquels il nous faut tout de suite travailler à la réinsertion, soit à des détenus en fin de peine pour lesquels il nous faut évidemment engager un processus de sortie. Ces SAS répondront à des exigences de sécurité moindre et nous y placerons des détenus au profil adapté. Les services publics de logement et d'insertion vers l'emploi nous permettront de préparer au mieux leur sortie. Enfin, nous construirons deux ou trois prisons expérimentales par le travail. Des entreprises ou des fondations d'entreprise souhaitent travailler avec nous pour former des détenus, les employer durant leur parcours de détention et éventuellement leur proposer un emploi en sortie de détention, ce qui assurerait évidemment une meilleure réinsertion. Voilà quelques mots, qui demanderaient des précisions supplémentaires.

Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, l'effet désocialisant des courtes peines. Vous me demandez, au fond, si le mérite des détenus durant leur parcours de peine ne pourrait pas être mieux pris en considération. Je peux vous répondre que les quartiers dits de confiance dont je vous parlais tout à l'heure supposent la prise en considération du mérite des détenus, car seuls ceux qui respecteront le contrat mis en place dans ces quartiers de confiance pourront y demeurer – lequel contrat supposera la soumission à un certain nombre de règles et d'activités qui leur seront proposées. Le respect de ces règles permettra d'accorder une plus grande autonomie aux détenus durant leur détention. En cas de non-respect, en revanche, un retour en prison plus classique sera alors mis en place. Le mérite est donc bien pris en compte. Le positionnement dans une SAS répondra également à cette notion.

Vous avez également évoqué, à propos de la laïcité, la question des aumôneries. Nous conduisons, avec le ministère de l'intérieur, une réflexion interministérielle sur la structuration des aumôneries. On évoque souvent l'aumônerie musulmane, mais la direction de l'administration pénitentiaire compte sept aumôneries. Nous devons donc réfléchir à un cadre valable pour toutes. Le modèle militaire est également évoqué, vous-même y avez fait allusion, mais il faut être conscient d'une différence essentielle : les aumôneries pénitentiaires interviennent auprès des détenus et non des surveillants. Nos priorités, jusqu'à présent, ont porté sur le renforcement de la formation des aumôniers et sur le toilettage du statut, notamment les conditions d'agrément. C'est un travail que nous poursuivrons.

Vous avez également évoqué la PJJ, en me demandant si la construction des 20 nouveaux CEF tiendrait compte des retours d'expériences antérieures dans lesquelles, il est vrai, nous avons connu un certain nombre de difficultés. Nous en tenons bien entendu compte. C'est pourquoi, si nous maintenons la possibilité d'un placement des jeunes en CEF, nous travaillons aussi désormais sur la sortie des CEF pour éviter – comme pour les établissements pénitentiaires – qu'il y ait des sorties sèches, c'est-à-dire qu'un jeune qui a passé six mois en CEF se retrouve brutalement dehors sans que cette sortie ait été préparée. Aussi proposons-nous, dans le projet de loi que je vous présenterai, des dispositifs progressifs d'accueil de jour qui permettent de continuer à prendre en charge les jeunes quand ils sont sortis des CEF et ne pas les remettre brutalement dans un dispositif sans aucune prise en charge. Donc oui, nous tirons les leçons de l'expérience ! Je pourrais citer d'autres exemples, mais celui-ci me semble particulièrement probant.

Monsieur Hetzel, vous avez évoqué plusieurs points, notamment la question du respect des objectifs que nous fixons. Vous avez parlé de manque d'ambition pour les objectifs 2019. Je ne partage évidemment pas ce terme. Simplement, pour 2019, nous tenons lucidement compte – et ce n'est pas un manque d'ambition – du délai nécessaire à la mise en oeuvre de la loi de programmation et de réforme de la justice. Autrement dit, je ne sais pas exactement quand cette loi sera votée, peut-être d'ici à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine, mais il nous faut en tout cas prévoir un délai de mise en oeuvre. Nous en avons évidemment tenu compte.

Sur la question des recrutements, pour lesquels vous estimez que nous risquons peut-être une sous-consommation, je puis vous assurer que nous avons réellement mis en place l'ensemble des dispositifs nous permettant d'assurer les recrutements. Je pense ici notamment aux surveillants pénitentiaires : les concours 2018 et 2019 nous ont d'ores et déjà permis de recruter les personnels à la hauteur de ce à quoi nous nous étions engagés. Il n'y a évidemment pas de problème de recrutement dans le domaine de la justice judiciaire – la magistrature n'a plutôt pas de problème de recrutement ! Concernant l'administration pénitentiaire, je viens de vous le dire, nous avons réorganisé la formation des surveillants pénitentiaires pour nous assurer de l'efficacité des processus de recrutement, de formation et d'affectation dans les établissements pénitentiaires.

Vous m'interrogez également sur la question des mesures de revalorisation. Vous souhaitez savoir comment elles sont appliquées. Toutes les mesures financières liées au protocole signé en 2018 ont été prises et seront mises en oeuvre, qu'il s'agisse de l'indemnité des charges pénitentiaires – où la revalorisation a fait passer le montant de base de 1 000 à 1 400 euros par an, ce qui n'est tout de même pas négligeable pour un surveillant pénitentiaire, et ce sont 11,5 millions d'euros qui ont été prévus –, de la prime de sujétion spéciale – avec une augmentation de 0,5 % cette année et un alignement sur la police à terme, à 2 %, soit 2,5 millions d'euros cette année –, ou de l'indemnité de dimanche et jour fériés, qui est passée de 26 à 36 euros, ce qui représente 3,5 millions d'euros. Ce sont près de 18 millions d'euros qui y seront consacrés dès 2018. Et, en 2019, l'extension en année pleine et l'ajout de la prime de fidélisation permettront d'aboutir à 25 millions d'euros. Tout cela est déjà prévu.

Vous avez également évoqué les 15 000 places de prison, en me demandant si elles étaient toutes effectivement programmées. Je m'engage absolument à la livraison, comme je l'ai dit, de 7 000 places d'ici 2022. Il s'agit de 7 000 places par rapport au nombre de places disponibles lorsque nous sommes arrivés. Il y aura 7 000 places supplémentaires en 2022. Ainsi que je l'expliquais à l'instant, la différenciation des bâtiments dont nous avons besoin nous permettra d'y parvenir. J'ajoute que dans le projet de loi que je vous présenterai, je vous proposerai des mesures juridiques nous permettant d'accélérer et de faciliter la construction des établissements pénitentiaires. Je ne doute pas que vous y serez grandement favorable !

En outre, la construction de 8 000 autres places de prison sera lancée avant 2022. À l'exception de quelques sites, nous avons repéré tous les terrains. Nous en sommes au stade des études et des analyses, mais la construction de ces places sera effectivement lancée avant 2022. J'ai d'ailleurs récemment publié une carte de ces futures implantations pénitentiaires. Nous savons donc aujourd'hui où elles se situeront.

Enfin, vous avez abordé le numérique. Vous me demandez si la numérisation avancera de manière significative. Sachez que je fais tout pour cela, monsieur le député ! Nous avons des personnels particulièrement compétents, des crédits ainsi qu'une ambition, et une gouvernance a été mise en place à cette fin. Je ne doute pas que notre travail se traduira prochainement, sur le terrain, par des avancées réelles.

Quant à la dérive du budget lié à l'aide juridictionnelle, je crois avoir répondu tout à l'heure que l'augmentation budgétaire que nous avons prévue pour 2019 nous permet de faire face à la revalorisation et même à l'accroissement de la représentation obligatoire. En 2020, il faudra que nous revoyions ce processus.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.