Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je tiens à vous remercier, madame la garde des Sceaux, pour vos propos, pour le rapport extrêmement circonstancié que vous nous avez livré et pour la détermination avec laquelle vous portez ce projet de budget. Je prononce sans doute ces quelques mots pour atténuer les réserves que nous allons être contraints d'exprimer. Je voudrais également remercier nos deux rapporteurs pour la qualité de leurs rapports, qui nous éclairent sur des questions majeures. J'ai particulièrement apprécié les propositions qui ont été faites notamment en matière d'aide juridictionnelle, et la réflexion menée par M. Bruno Questel sur la question de la peine. Enfin, je rappellerai, comme en 2018, les mots de M. Jean-Jacques Urvoas dans la lettre qu'il vous avait adressée, disant qu'il fallait cesser d'ajouter des mots aux maux et que la priorité des priorités était désormais le budget de la justice. Je pense que vous en avez pleinement conscience, et le Président de la République aussi, puisque, dans le projet de loi de programmation, vous en faites une règle de majoration de ce budget.
On sait que l'on part de loin. Il ne s'agit pas d'évoquer ce qui a été fait avant ou pas, mais depuis 1960, tout a été mis en oeuvre pour étouffer la justice et l'autorité judiciaire. Le juge a toujours fait peur. Et finalement, l'on n'a jamais mis le budget de la justice à sa véritable hauteur, mettant ainsi en péril l'État de droit. Notre collègue des Républicains a cité les chiffres de 42 milliards d'euros de hausse de la dépense publique et les 350 millions d'euros de hausse pour la justice. S'ils sont exacts – je ne les ai pas vérifiés –, ils démontrent le fossé qu'il nous faut encore franchir pour répondre véritablement aux standards européens. Nous avons progressé, depuis 2010. Mais nous sommes encore très loin des budgets de pays tels que l'Allemagne, la Belgique ou l'Espagne. Face à cette situation préoccupante, tous les efforts sont bienvenus, au titre desquels cette loi de programmation. En outre, rien ne nous interdit d'imaginer que l'on puisse en renforcer l'ampleur dans les années qui viennent.
Vous présentez donc une montée en puissance positive du budget global. Il est vrai que 4,5 %, c'est plus que les 2,6 % que nous avions enregistrés entre 2012 et 2017 – dont acte. Mais je pense que, depuis les années 2000, il y a une prise de conscience de cette nécessité de majorer le budget de la justice, et que nous devons l'amplifier largement sans attendre 2022.
J'ai des inquiétudes concernant le coeur même du budget. La première concerne les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), chevilles ouvrières de la réinsertion, qui sont vraiment en souffrance en raison de l'absence de moyens matériels et humains. Ils sont surchargés de dossiers : un conseiller s'occupe de plus d'une centaine de personnes, alors que la norme européenne est de 40 dossiers. Nous comptons 3 688 conseillers pour 260 000 personnes sous main de justice. Je pense que 1 500 emplois supplémentaires ne suffiront pas. Il faut doubler le nombre de conseillers, d'autant plus qu'il existe, me semble-t-il, un véritable hiatus entre la politique pénale que vous affichez – et à laquelle je souscris – et le nombre d'emplois créés. Je redoute que nous ne parvenions finalement pas à développer cette politique pénale, parce que nous allons vraiment manquer de ces CPIP qui accompagnent les personnes sous main de justice.
La situation est aussi, à mon sens, très problématique pour les surveillants de prison. Nous avons été plusieurs fois épinglés par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Le système carcéral français souffre de nombreux maux, dont des effectifs très en deçà de la moyenne européenne. Avec un surveillant pour 2,5 détenus, nous avons le plus mauvais taux d'encadrement d'Europe. Les efforts budgétaires que nous consentons sont une vraie nécessité.
Ensuite, la vingtaine de CEF nouveaux soulève des réserves de ma part. En effet, ce modèle de centre est aujourd'hui remis en cause. Une évaluation fine a-t-elle été menée avant de décider de leur création ? Nous savons, qui plus est, que ces CEF sont coûteux : 690 euros par jour et par mineur. Une évaluation fine de ce placement s'impose au regard de l'orientation budgétaire coûteuse de ce dispositif. Nous n'en négligeons pas l'intérêt, mais nous ne partageons pas la nécessité d'un tel développement.
Enfin, vous vous êtes largement exprimée sur la construction des nouvelles places de prison. Nous regrettons que le moratoire de l'encellulement individuel soit repoussé d'année en année. C'est pourtant une exigence au regard des enjeux de la réinsertion et de la lutte contre la récidive. Sans en faire un dogme, l'encellulement individuel doit être une réponse légitime à un détenu qui en fait la demande.