Il y a deux ans, Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux, parlait de « clochardisation » de la justice française. Le rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, publié il y a quelques semaines, vient malheureusement de confirmer ce diagnostic : la France consacre moins de 66 euros par habitant à sa justice ; c'est beaucoup moins que dans des pays équivalents – l'Allemagne, par exemple, dépense près de deux fois plus, avec 122 euros par habitant.
Ce budget augmente de près de 4,5 % pour atteindre 7,291 milliards d'euros en crédits de paiement. Nous en prenons acte. Cela va dans le bon sens, mais demeure insuffisant. Certes, en volume, vous projetez d'augmenter le budget de cette mission régalienne de 300 millions pour 2019 ; si on y ajoute les 260 millions de l'année dernière, cela fera 580 millions sur deux exercices budgétaires. Cela étant, comme je le disais en commission des lois, je vous propose de mettre cette somme en perspective avec un autre chiffre, celui de la dépense publique : au cours des deux mêmes exercices, elle va s'accroître de 42 milliards. Une simple règle de trois vous permettra d'observer comme moi que l'augmentation du budget de la justice ne représente que 1,3 % de l'augmentation de la dépense publique pour la même période. Non, madame la ministre, sans vouloir vous offenser, votre budget ne comble pas le retard accumulé et, partant, immense, de cette fonction essentielle !
Vous le savez : ce budget ne permettra pas de décoller de la toute fin du peloton européen en la matière – c'est bien peu glorieux pour la patrie des droits de l'homme. Mais tout cela, le Sénat vous l'a dit lors notamment de l'examen du projet de programmation pour les années 2018-2022.
J'en viens à quelques observations plus spécifiques.
S'agissant de la justice judiciaire, nous devons cette année encore déplorer la pénurie chronique des magistrats et fonctionnaires de greffe. Cette situation se traduit d'ailleurs par un délai moyen de traitement des procédures en augmentation, toutes juridictions confondues. Nous vous faisons grâce des chiffres, vous les connaissez mieux que nous.
On note toutefois une augmentation importante des crédits alloués au recrutement de magistrats à titre temporaire ou d'agents non titulaires. Cette mesure renvoie de toute évidence à la volonté gouvernementale de recourir plus largement à des contractuels dans la fonction publique, pour faire des économies. Nous vous le disons solennellement, madame la ministre : nous sommes formellement opposés à ce que cette règle s'applique à la justice, comme aux autres fonctions régaliennes.
S'agissant de l'administration pénitentiaire, nous notons un recul important par rapport aux annonces présidentielles concernant la lutte contre la surpopulation carcérale au sein des maisons d'arrêt : 15 000 places nouvelles devaient être créées d'ici à 2022 ; vous révisez ce chiffre à 7 000. Au demeurant et compte tenu des délais de réalisation d'un établissement pénitentiaire, qui sont de l'ordre de quatre à cinq ans, votre nouvel objectif est d'ores et déjà irréalisable. Vous n'avez d'ailleurs pas, à ce jour, défini de programme définitif d'implantation de nouveaux établissements.
Les maisons d'arrêt resteront donc surpeuplées. Qu'il me soit permis de revenir un an en arrière sur ce sujet : vous affichiez le même enthousiasme alors, mais l'on constate aujourd'hui que rien n'a changé.
Quant à la crise de recrutement des agents des services pénitentiaires, au vu de leurs mauvaises conditions de travail, pas étonnant qu'elle soit si profonde !
S'agissant de la délinquance des mineurs, les événements récents ont hélas apporté une nouvelle illustration de la nécessité de faire de son traitement une priorité. Pourtant, le budget que vous présentez ne reflète absolument pas cette urgence : les crédits accordés à la protection judiciaire de la jeunesse connaissent des hausses bien dérisoires au regard des enjeux.
L'évolution de la délinquance des mineurs exige des moyens beaucoup plus importants. Il convient en particulier de tirer toutes les conséquences du rapport que l'inspection générale des services judiciaires et de l'inspection générale des affaires sociales ont consacré, en juillet 2015, aux centres éducatifs fermés, et de repenser en profondeur leur fonctionnement.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, nous constatons année après année que son budget ne fait qu'augmenter sans qu'aucune réponse ne soit jamais apportée à ses problèmes de fonctionnement, ni aux difficultés à y accéder.