Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mercredi 31 octobre 2018 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Le budget de la justice qui nous est présenté aujourd'hui est largement en dessous de ce qui serait nécessaire pour que ce ministère puisse fonctionner en répondant correctement aux besoins sociaux et aux exigences démocratiques de notre époque.

Selon les chiffres publiés le 4 octobre dernier par le Conseil de l'Europe, la France est au trente septième rang sur 41 s'agissant de son budget de la justice rapporté au produit intérieur brut – PIB. Notre pays compte quatre fois moins de procureurs que la moyenne européenne, 2,2 fois moins de juges et deux fois moins de personnels de greffe par habitant.

Or, une fois l'inflation et l'augmentation de la population entre 2018 et 2019 prises en compte, le budget 2019 de la mission « Justice » n'augmente que de 2,5 % et de 0,35 % pour les crédits de personnel. Pour ce qui concerne les recrutements, seuls 100 postes de magistrates et de magistrats sont prévus en 2019 et 92 emplois « pour le renforcement des équipes autour du ou de la magistrate », ce qui est totalement insuffisant. L'Union syndicale des magistrats estimait à 1 000 les postes de magistrats vacants fin 2016, et l'intersyndicale parle de 1 800 postes de fonctionnaires vacants.

L'investissement – ou le non-investissement – dans la justice est un choix politique. Les moyens financiers existent pour cela, par exemple en allant récupérer les 100 milliards d'euros de la fraude fiscale, qui échappent à l'impôt avec la complicité des gouvernements pusillanimes comme le vôtre. Parce que nous, nous irons chercher cet argent, nous prévoyons dans notre contre-budget 680 millions supplémentaires pour la mission « Justice », afin d'atteindre 2,5 milliards de plus, en fin de quinquennat.

Si votre budget n'est pas à la hauteur quantitativement, madame la ministre, il ne l'est pas non plus qualitativement. Dans ce budget de disette pour la justice, vous investissez massivement dans la construction de nouveaux lieux d'enfermement.

Dans le programme 107 « Administration pénitentiaire », ce sont les crédits concernant l'investissement immobilier qui connaissent la plus forte hausse – plus 16 millions pour l'investissement en partenariats de tout type, et plus 62 millions pour les autres établissements.

D'après l'INSERM, huit détenus sur dix souffriraient de troubles psychiatriques dans les prisons françaises. Une personne détenue se suicide tous les trois jours. Il y a trop de monde dans les prisons françaises, trop de monde dont ce n'est pas la place, qui n'a rien à y faire, et qui y survit ou y meurt dans des conditions insupportables.

La prison, c'est le miroir lugubre non seulement de l'état de notre société mais également de la logique de vos politiques, madame la ministre. Bien que les suicides soient huit fois plus nombreux en prison qu'en liberté, vous voulez, d'ici à 2022, créer 7 000 places dans des établissements pénitentiaires. À terme, 15 000 places sont prévues, ce dont vous vous enorgueillissez.

Vous souhaitez notamment concentrer l'effort sur la construction de nouvelles maisons d'arrêts. Vous voulez donc en priorité construire des places pour permettre d'incarcérer des personnes en attente de jugement, qui ne sont pas condamnées. En termes de désengorgement carcéral, c'est une ineptie.

Dans ce gouvernement, il y a un engagement discursif constant pour parler de déflation pénitentiaire, mais la politique qui est menée fait tout l'inverse. Elle consiste à augmenter les lieux d'enfermement, en rajoutant peut-être un lit à la place d'un matelas, pour répondre à une souffrance structurelle, comme si le problème des prisons françaises était une simple histoire immobilière.

Nous défendons une toute autre politique, qui ne soit pas seulement une politique d'investissement pour rénover les structures existantes car il n'est pas normal qu'en France, des personnes dorment sur des matelas trempés par l'humidité à même le sol, à trois dans des cellules prévues pour une personne.

Surtout, à l'inverse de ce que vous proposez, nous pensons qu'il faut investir massivement dans le recrutement de magistrats et magistrates, ce qui permettrait de vider les maisons d'arrêts, parce que l'incarcération ne peut pas être une solution par défaut, pour économiser de petites pièces par-ci par-là, en attendant le grand ruissellement, parce que des personnes ne peuvent pas être enfermées en attendant d'être jugées.

Plus largement, c'est toute l'architecture des peines qu'il faut repenser. Nous ne manquerons pas d'en discuter lors du prochain débat sur le projet de loi de programmation et de réforme de la justice.

En attendant, encore une fois, avec ce budget, votre gouvernement fait tout le contraire de ce qu'il faudrait. Non seulement, madame la ministre, vous ne vous engagez pas dans une politique de déflation carcérale et vous diminuez les budgets pour les alternatives à l'incarcération, mais encore vous rendez l'accès aux associations plus difficile, alors que celles-ci contribuent à rendre ces espaces un peu plus supportables.

En particulier, vous avez diminué de 32 % les subventions aux associations qui travaillent en prison. L'association Genepi, à qui vous coupez les subventions, se voit refuser l'accès à de plus en plus de prisons. Cette association fait pourtant de longue date, en partenariat avec le ministère de la justice, un travail de décloisonnement des prisons et de sensibilisation du public au milieu carcéral. Pourquoi refuser l'accès des prisons à ses membres ?

Quant à Acceptess Transgenre, une association qui fait un travail indispensable auprès d'une population particulièrement vulnérable dans le système carcéral français, elle se voit aussi refuser l'accès aux détenus.

Est-ce ainsi que vous travaillez à la réinsertion et que vous prévenez la récidive ? Est-ce ainsi que vous parviendrez à ce que les prisons soient moins remplies ?

Nous voterons donc contre cette proposition de budget, qui investit massivement dans l'enfermement comme palliatif à une absence d'ambition politique en matière de justice.

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