Monsieur le rapporteur pour avis, je suis évidemment sensible à la thématique que vous défendez par le biais de cet amendement, dont je souhaite pourtant vous demander le retrait.
Je m'en explique devant vous : évidemment, je comprends la volonté de soutenir les victimes de violences conjugales, dont on connaît le caractère inacceptable. Je partage évidemment votre répulsion à leur égard ainsi que la volonté d'accompagner ces mêmes victimes.
Néanmoins, je voudrais rappeler à vos collègues que le principe du bénéfice de l'aide juridictionnelle repose sur le respect d'une condition de ressources. C'est évidemment indispensable pour permettre de concilier l'objectif de l'accès de tous à la justice et celui d'une dépense d'aide juridictionnelle qui soit financièrement soutenable.
L'aide juridictionnelle de droit, comme celle que vous proposez, constitue une exception dans la situation actuelle. Or cette exception bénéficie uniquement aux cas les plus graves : meurtres, tortures, actes de barbarie, violences ayant entraîné la mort sur mineur ou personne vulnérable, et actes de terrorisme.
C'est pour ces actes-là, dont les auteurs encourent de quinze à trente années de réclusion, que l'aide juridictionnelle est de droit.
Les auteurs de violences conjugales n'encourent pas ce niveau de peine, mais entre trois et dix années de réclusion, selon la fréquence et la gravité des faits, sauf bien entendu à ce qu'elles aient entraîné la mort, auquel cas on bascule dans autre chose.
Votre amendement, que je trouve par certains aspects très intéressant, ouvrirait le bénéfice de l'aide juridictionnelle de plein droit aux personnes victimes de violences conjugales : il amènerait évidemment à se poser la question pour tous les actes qui peuvent apparaître parfois choquants, mais dont les auteurs encourent le même niveau de peine, voire un niveau parfois supérieur, que les personnes à l'origine de violences conjugales.
Je pense aux violences sexuelles autres que le viol, à la traite des êtres humains et également à des violences plus graves ayant entraîné des incapacités de travail temporaires.
Certes, votre amendement ne porte aujourd'hui que sur 10 millions d'euros, mais il me semble que si l'on multipliait les dérogations – en l'occurrence, vous ciblez les violences conjugales – comme au fond on pourrait être conduit à le faire s'agissant d'autres violences, cela pourrait en réalité déséquilibrer le système et sa budgétisation.
Par conséquent, il me semble que l'on ne peut se lancer dans une telle extension sans réfléchir au système de l'aide juridictionnelle dans son ensemble, et sans s'assurer qu'in fine on ne lui fasse pas perdre toute sa cohérence.
Je sais que votre commission des lois, notamment Naïma Moutchou, souhaiterait ouvrir ce sujet. Il me semble nécessaire que nous nous situions vraiment dans une perspective d'ensemble de l'aide juridictionnelle que vous souhaitez aborder ensemble.
Bien sûr, je ne reprends pas ce qu'a dit M. le rapporteur spécial Patrick Hetzel, à savoir que 10 millions d'euros que l'on consacrerait à ce champ-là seraient 10 millions d'euros pris par exemple sur la politique de transformation numérique.
Je ne dis pas que les deux choses sont équivalentes : je dis simplement qu'il faut évidemment faire très attention à ce que nous faisons.
Par ailleurs, mais je ne le développe pas ici, le Gouvernement et le ministère de la justice ont déployé une politique très importante de soutien aux victimes de violences conjugales : il s'agit d'une politique de signalement, d'une politique d'accompagnement et d'une politique pénale.
Il s'agit en tout cas, pour ces mêmes victimes, d'une politique soutenue. Je souhaiterais que vous retiriez votre amendement.