Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, déception : tel est le premier mot qui vient à l'esprit quand on prend connaissance du budget consacré à l'agriculture pour 2019. Mais est-ce si étonnant ? Nous allons, mois après mois, de déception en déception. Les artifices, les promesses, les affichages sont en train de se heurter à la réalité. Alors que nos paysans traversent des crises tant structurelles que conjoncturelles, alors qu'ils ressentent plus que jamais la nécessité d'évoluer, de modifier leur manière de produire, de revoir les modèles économiques, voire de reconsidérer les grands principes agricoles de l'après-guerre, ils constatent que les actes ne sont pas en adéquation avec les engagements pris, ni surtout avec les défis que le monde agricole va devoir relever.
La réduction du budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » s'inscrit dans cette longue série de désenchantements qu'ont été les états généraux de l'alimentation, la loi EGALIM, les réponses du Gouvernement à la sécheresse qui frappe plus de soixante-dix départements et la position ambiguë du Président de la République dans le cadre de la renégociation de la politique agricole commune.
Cette année encore, l'agriculture n'est pas considérée comme une priorité : son budget pour 2019 est en baisse, pour ce qui concerne tant les autorisations de programme que les crédits de paiement. Vous justifiez, monsieur le ministre, cette baisse par la suppression du CICE, mais, après calcul, il s'avère qu'il manque encore 280 millions d'euros.
Il y a donc bien une diminution globale de l'engagement de l'État en faveur de nos paysans, tout particulièrement pour ce qui concerne le programme 149, « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture », qui perd 504 millions d'euros, alors qu'il concerne des dispositifs structurants.
Autre inquiétude : la baisse des crédits destinés aux opérateurs d'État, Institut français du cheval et de l'équitation – IFCE – , Institut national de l'origine et de la qualité – INAO – et surtout Agence de services et de paiement. Cette dernière joue pourtant un rôle prépondérant dans l'instruction des dossiers du programme « LEADER » de liaison entre actions de développement de l'économie rurale. L'Agence n'arrive pas à suivre ; les paiements n'interviennent que plusieurs mois, voire plusieurs années après le passage des dossiers devant les commissions d'engagement locales, laissant aux porteurs de projets – collectivités locales, associations... – des trous de trésorerie difficiles à combler. Surtout, les lenteurs de l'instruction risquent d'entraîner des sous-consommations de crédits, donc des dégagements d'office et le retour des crédits à Bruxelles. Un renforcement de l'Agence aurait par conséquent été bienvenu.
Autre point d'incompréhension : la diminution des autorisations d'engagement destinées à la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs. Alors que le renouvellement des générations est au coeur des préoccupations de nombre de paysans, on donne le sentiment que l'an prochain, on soutiendra moins les transmissions de flambeaux.
Enfin, s'agissant du bio, comment expliquer que l'État se désengage d'un secteur pourtant stratégique, porteur en termes de marché, dont le développement est favorisé par la loi EGALIM et dans lequel la demande ne cesse de croître tandis que les fournisseurs ont du mal à suivre ? Les obligations inscrites dans la loi EGALIM vont entraîner une véritable mutation et demander des changements considérables de la part des agriculteurs. Un fort soutien était donc attendu par le secteur afin que la transition s'engage dans de bonnes conditions. Or, stupéfaction, le budget affiche une baisse de 18,2 millions d'euros en autorisations d'engagements et de 54,2 millions d'euros en crédits de paiement. Quel dommage de ne pas soutenir de manière plus volontariste les conversions et les efforts des premières années !
Pour terminer, je veux redire notre inquiétude s'agissant de la future PAC, mais aussi du niveau de consommation des crédits PAC jusqu'en 2021, notamment ceux alloués au titre des indemnités compensatoires de handicaps naturels – ICHN. La question se posait déjà l'an dernier, pour la partie nationale, de savoir si la France n'était pas en train de faire la cigale et d'engager à l'avance, sur cette ligne comme sur celle des mesures agroenvironnementales et climatiques, mais aussi de l'agriculture bio, l'enveloppe communautaire allouée jusqu'en 2021. Et la chose se vérifie.
Près de 85 % du Fonds européen agricole pour le développement rural, dédié aux ICHN, seraient ainsi consommés alors que, dans le même temps, le budget pour 2019 est en baisse. Comment faire pour régler ces indemnités en 2020, et peut-être même en 2019, si nous avons consommé la totalité de l'enveloppe européenne de cofinancement ? La question se pose d'autant plus que la révision de la carte des zones défavorisées risque également de poser problème, compte tenu de l'augmentation de l'assiette.
En conclusion, ce budget interroge et inquiète. Entre la baisse générale des crédits à l'agriculture, l'arrêt du dispositif TODE non compensé pour tous, la hausse des charges, avec l'augmentation des redevances pour pollution diffuse, la non-prise en compte de la sécheresse, avec une baisse de la provision pour aléas, et l'opacité qui entoure les outils du volet agricole du grand plan d'investissement, on ne peut pas dire qu'il y ait de quoi être rassuré…
Les ministres se succèdent mais, finalement, la trajectoire est toujours la même, et de profondes contradictions demeurent entre l'affichage et la réalité. En plein marasme, face aux évolutions qui se profilent, dans un contexte agricole national, européen et mondial anxiogène et tourbillonnant, le Gouvernement ne donne malheureusement pas un signal budgétaire fort. Nous ne pouvons que le regretter, même si, monsieur le ministre, nous vous souhaitons de réussir dans la lourde tâche qui est désormais la vôtre pour comprendre, aider et accompagner nos agriculteurs. Ceux-ci comptent sur vous et sur la puissance publique, mais ils ne pourront pas totalement compter, hélas, sur le présent budget.