Intervention de Général Jean-Pierre Bosser

Réunion du jeudi 11 octobre 2018 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

Une fois encore, sachez que vous êtes toujours les bienvenus dans les unités de l'armée de terre. Je sais que vous vous y rendez souvent – j'avoue même avoir parfois du mal à vous suivre ! –, et je peux vous assurer que tous les soldats y sont particulièrement sensibles.

Je n'ai pas besoin d'autre satisfaction que celle de vous entendre dire, à votre retour, que vous avez retrouvé un peu de l'état d'esprit du chef d'état-major de l'armée de terre dans les yeux de nos soldats en opération.

La première de vos questions a trait à la montée en puissance de la préparation opérationnelle, à l'arrivée de Scorpion et au travail tripartite devant prévaloir entre l'industrie, la direction générale de l'armement et l'armée de terre.

En matière d'entraînement des unités élémentaires au combat interarmes, notre référence reste les normes que nous avions fixées lors de notre intervention en Afghanistan. Elles constituent pour nous la garantie d'un niveau d'entraînement et de protection maximal de nos soldats. Le général Guionie, commandant des forces terrestres, vous expliquera comment avec la remontée en puissance des crédits d'entretien programmé du matériel notamment, nous nous alignerons progressivement sur ces normes dans cette phase de loi de programmation militaire.

L'arrivée de Scorpion est une manoeuvre en biseau entre les anciens et les nouveaux parcs. Elle sera assez exigeante, notamment en termes de formation des équipages.

Nous pourrions craindre que les dimensions liées à Scorpion que j'ai évoquées – véhicules, infrastructure, simulation, doctrine – exercent un effet d'éviction sur d'autres actions de l'armée de terre. Sachez toutefois que tous ces objectifs ont été intégrés dans la programmation financière du déploiement de Scorpion. À ce stade, il n'est pas prévu de dépassement budgétaire, pas plus qu'il n'est envisagé que ce déploiement ait un effet d'éviction sur d'autres actions sensibles en matière de préparation opérationnelle.

J'en viens à la question fondamentale qu'est la conduite de l'arrivée des nouveaux parcs. Lors du salon Eurosatory en juin dernier, je me suis exprimé lors d'une conférence à trois voix avec le délégué général pour l'armement, Joël Barre, et le président du groupement des industriels français de défense terrestre, Stéphane Mayer, également président-directeur général de Nexter. J'ai affirmé que dans le cadre de cette loi de programmation militaire, nous devions partir ensemble, marcher ensemble et arriver ensemble. Notre risque majeur serait de marcher au pas du plus lent. Ce plus lent pourrait être l'armée de terre, si ses objectifs et son cahier des charges ne sont pas suffisamment précis ou augmentent en cours d'exercice – comme c'est le cas du poids lourd des forces spéciales (PLFS) aujourd'hui. Mais le plus lent pourrait être aussi bien l'industrie, si elle donnait des signes de faiblesse, que la direction générale de l'armement.

Les industriels devront faire preuve de la plus grande transparence à notre égard. Aujourd'hui, je n'ai pas d'inquiétude sur notre capacité à projeter un groupement interarmes Scorpion à l'horizon de 2021. Je suis conscient que tout programme industriel peut accuser des retards, mais il est indispensable que nous en soyons avertis afin que nous puissions nous organiser et y faire face. Nous devons créer un niveau de gouvernance commun, assorti d'indicateurs, afin d'avancer tous au même rythme et d'atteindre ensemble l'objectif.

J'en viens au soutien et à la gouvernance des crédits. Ce sujet est à la main du chef d'état-major des armées, avec les deux autres grands subordonnés de la ministre que sont le secrétaire général pour l'administration et le délégué général pour l'armement. Je vous ferai part de mon sentiment personnel. La réorganisation qui a prévalu dans notre ministère il y a quelques années avait du sens dans le cadre d'une pression budgétaire forte et d'une déconstruction. À titre d'illustration, les tableaux d'avancement ont été réduits de façon homothétique, ce qui donnait l'assurance d'atteindre la cible – et accessoirement, d'éviter les récriminations. Il a par ailleurs été choisi d'organiser le ministère en silos, afin d'assurer un meilleur pilotage des ressources. Une fois encore, je suis convaincu que cette réforme avait du sens et que nous ne reviendrons fondamentalement pas en arrière.

Je pense en revanche que dans le cadre d'une reconstruction, et au vu de l'augmentation programmée des ressources budgétaires, cette gouvernance des crédits – qui a en partie rempli les fonctions que l'on attendait d'elle en déconstruction – est insuffisamment adaptée à notre besoin de consommer utilement les crédits budgétaires qui nous sont alloués, en répondant aux attentes fortes de nos soldats.

Prenons l'exemple de l'infrastructure, et plus particulièrement de son volet touchant à la vie courante de nos soldats. Autant il est logique que les infrastructures opérationnelles importantes soient confiées à des grands experts du domaine, autant les opérations courantes – repeindre un couloir, remplacer la tapisserie d'une chambre ou changer une serrure – n'ont pas besoin d'être sous-traitées à des entreprises privées. En accordant un budget au chef de corps, nous sommes parfaitement capables d'assurer la maintenance courante de nos emprises et de nos infrastructures.

Au moment où nous changeons de monde, où nous passons d'une période de déconstruction à une phase de reconstruction, il est donc utile de s'interroger sur la gouvernance haute et basse de nos crédits. Aux impératifs d'agilité et de souplesse que j'ai déjà énoncés, je pourrais ajouter celui de la fongibilité : il s'agit de nous assurer que les moyens mis à notre disposition dans le cadre de cette remontée en puissance soient consommés et, surtout, qu'ils le soient utilement. J'ai le sentiment qu'un certain nombre d'aménagements méritent d'être opérés dans cette gouvernance des crédits, afin que nous puissions atteindre notre cible. Nous verrons quels enseignements nous tirerons de l'exécution budgétaire de l'année 2018, et constaterons en 2019 les résultats d'une gouvernance des crédits qui n'a pas évolué. Tel est mon sentiment personnel.

Monsieur Michel-Kleisbauer, vous m'avez interrogé sur les munitions d'artillerie. Dans le cadre de l'opération Chammal, l'artillerie française a été très observée par les Américains, et la précision de ses tirs a été particulièrement appréciée. Cette précision tient davantage à la qualité de nos canons qu'à celle de nos munitions. Au contraire, les Américains ont plutôt tiré leur efficacité de la qualité de leurs munitions, notamment de celles auxquelles vous faites référence.

Nous avons une ambition pour l'artillerie en matière de munitions. Jusque-là toutefois, dans un contexte de pression budgétaire et de déconstruction, notre schéma de montée en gamme des munitions pour l'artillerie ne s'est pas concrétisé à la hauteur de nos attentes dans notre relation avec l'industriel. Ce sujet est à nouveau sur la table dans le cadre de la remontée en puissance.

Pour ce qui est de la réserve, nous aurons atteint en fin d'année les objectifs qui nous sont assignés. Nous n'avons éprouvé aucune difficulté à remplir les sessions de formation initiale de réservistes durant l'été. C'est une excellente nouvelle. L'intérêt des Français de tous âges pour la réserve ne faiblit pas. Nous ne constatons donc pas d'essoufflement en matière de recrutement, tandis que le volontariat en matière de formation de réservistes est stable. Nous visons une cible de 24 000 réservistes « terriens » en fin de remontée en puissance de la réserve.

Monsieur Pueyo, notre taux d'encadrement est légèrement inférieur à celui de nos amis alliés. Si j'ai érigé l'encadrement au rang d'enjeu, c'est parce que je me conforme à l'objectif politique fixé par le président de la République. Celui-ci a affirmé lors d'un déplacement au Sahel que la paix ne serait pas gagnée par la seule réponse militaire. Je partage pleinement cette vision d'une stratégie globale. D'autres actions, sur le terrain, comme l'action diplomatique, celle du développement ou encore de la formation, devront compléter l'action militaire et s'y associer, pour gagner la paix. Les forces militaires seront impliquées dans ces actions, notamment à travers la formation d'armées étrangères, ou la coopération avec celles-ci… Donc la notion d'encadrement est plus importante dans une stratégie globale que dans une action militaire classique.

Si demain par exemple, nous devions mener un partenariat militaire opérationnel pour reconstruire une partie de l'armée irakienne, cette action mobiliserait essentiellement des cadres, qui traduiraient sur le terrain la volonté politique. Du reste, les officiers français d'état-major jouent d'ores et déjà un rôle important dans le cadre de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) et de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

Si nous entendons développer encore notre action au sein de l'OTAN ou déployer de nouvelles structures dans le but de construire une véritable défense européenne, la part des officiers devra croître. Il devra s'agir de jeunes officiers d'état-major – capitaines, commandants, lieutenants-colonels –, nécessairement anglophones.

L'enjeu n'est donc ni financier, ni lié à l'attractivité professionnelle, mais tient à notre capacité à répondre aux besoins inhérents aux partenariats opérationnels, dans les états-majors de l'OTAN, du G5 ou encore de la MINUSCA, où la compétence des officiers d'état-major français est unanimement reconnue et où il est parfois beaucoup attendu de la France. Cette mission n'incombe pas à nos militaires du rang mais à notre encadrement, officiers et sous-officiers.

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