La France dispose historiquement d'un véritable savoir-faire en matière de formation des armées étrangères, traditionnellement auprès des pays africains, mais pas exclusivement. Je suis convaincu que les relations internationales militaires restent un levier d'influence majeur pour la France, à une époque où celle-ci a n'a pas nécessairement préservé son influence économique. Cette dimension est un fil conducteur dans ma relation personnelle avec les chefs d'état-major des armées de terre étrangères. Il me paraît particulièrement important de la préserver, soit pour des raisons opérationnelles, soit parce que l'influence française tend à s'étioler – en République centrafricaine (RCA) notamment.
Je reste donc convaincu que la formation des soldats, prioritairement chez eux, ainsi que la formation des cadres, souvent chez nous, sont des vecteurs majeurs d'influence. Nous pourrions dupliquer cette pratique dans certains pays du Moyen-Orient. Nous le faisons déjà en partie. Des jeunes officiers du Koweït et du Qatar suivent actuellement une scolarité à Saint-Cyr, à l'identique de leurs camarades français, après avoir passé deux ans en France pour apprendre notre langue. Dans les écoles d'application, à Draguignan en particulier, nous avons des projets communs de formation en matière d'artillerie, via DCI-COFRAS.
Le Liban est une pièce maîtresse de l'échiquier au Moyen-Orient. J'en suis intimement convaincu. Nous entretenons avec ce pays une relation forte et historique, qui doit être entretenue et perdurer. Sur le plan militaire, les relations entre nos deux armées de terre ainsi que le partage d'expérience et d'expertise sont assez forts, dans des domaines comme la neutralisation et la destruction des engins explosifs, les maîtres-chiens et la troisième dimension. Si nous devions accentuer notre présence militaire, nous le ferions avec beaucoup de facilité. J'ignore ce que le président de la République prévoit de dire ou de faire lors de son déplacement au Liban en 2019. Cela lui appartient. Quoi qu'il en soit, si nous devions accentuer notre présence militaire ou notre coopération avec le Liban, nous ne le ferions avec beaucoup de facilité, car nous y sommes déjà très largement implantés.
Monsieur Lainé, vous avez évoqué un sujet qui m'est cher, l'interopérabilité liée à Scorpion. J'observais certains de mes homologues à Eurosatory et les voyais devant Scorpion comme devant une muraille. Probablement pensaient-ils que ce matériel leur coûterait extrêmement cher, sans être certains que leur armée puisse l'utiliser comme les Français l'envisagent, en coût complet, avec infovalorisation et système de commandement.
Pour autant, nous nous trouvons à un tournant. Les matériels des armées aux côtés desquelles interviennent nos forces en opération extérieure, dans la bande sahélo-saharienne par exemple, sont relativement compatibles avec les nôtres, sans imposer de montée en gamme en matière de haute technologie. C'est pourquoi j'ai demandé aux industriels de réfléchir à la manière dont nous pourrions penser Scorpion avec des armées non européennes, dont les moyens peuvent être inférieurs aux nôtres. Je partage entièrement la conviction que pour agir ensemble, nous devons avoir des moyens assez similaires à ceux de nos pays partenaires. Cela peut aussi passer par l'apport d'une technologie supplémentaire. Si nos moyens respectifs sont trop divergents, il sera problématique d'agir côte à côte. Il faudra donc peut-être trouver une nouvelle façon d'agir « avec », mettre en oeuvre une nouvelle interopérabilité avec nos amis étrangers.
Enfin, Madame Mauborgne, le positionnement des écoles de guerre a connu des hauts et des bas. Historiquement, chaque armée possédait son école de guerre. Dans les années 1990-1995, l'École de guerre a disparu au profit du Collège interarmées de défense. Celui-ci comptait une strate volontairement interarmées, au sein de laquelle chaque armée avait gardé une partie spécifique à son enseignement militaire supérieur. Or, les armées n'ont pas nécessairement toutes besoin de la même proportion de formation spécifique. L'armée de terre en était très consommatrice, car elle estimait que par rapport à la marine et à l'armée de l'air, ses officiers, après le temps de commandement d'unité élémentaire, avaient besoin de franchir une marche dans la connaissance de l'interarmées.
Ce système a été revu l'année dernière. Chacune des armées a récupéré son enseignement spécifique, tandis que l'École supérieure de guerre se concentre sur la dimension interarmées. J'ai profité de cette évolution pour densifier la formation spécifique et lui redonner du sens. Le dispositif se décline donc en deux étages : d'une part l'École supérieure de guerre, appartenant au chef d'état-major des armées, et d'autre part l'établissement que j'ai appelé « École de guerre-terre », dénomination connue et partagée par l'ensemble de la communauté militaire terre.
J'ai lancé une transformation pédagogie profonde au sein de l'École de guerre-terre. Le cursus comportera ainsi des périodes d'alternance dans le secteur privé, et donnera une part aux projets personnels. J'ai également pour objectif d'étudier cette année la modification du concours de l'École de guerre. Il s'agira de donner envie à nos jeunes officiers de passer le concours d'entrée non pas pour devenir, un jour, colonel, mais pour gagner de la substance et de l'épaisseur en matière de pensée militaire, d'ouverture sur l'interministériel et d'ouverture sur le monde.