Monsieur le ministre d'État, madame la présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, en février 2012, l'UNESCO avait adressé un courrier très inquiet à la France, dans lequel elle s'alarmait des menaces sur les calanques de Piana et la réserve de Scandola, inscrites au patrimoine mondial, que représentait l'attribution d'un permis de recherches d'hydrocarbures en mer, dit « permis Rhône Maritime ». Ce combat contre les hydrocarbures est soutenu en Corse depuis des années par plusieurs associations. Cinq ans plus tard, je me réjouis des progrès accomplis.
Ce projet de loi, qui constitue à la fois une mise en oeuvre concrète et un exemple à suivre dans l'application de l'accord de Paris sur le climat, va dans le bon sens. Il concerne notamment la Méditerranée, sujet qui est fondamental pour moi, qui suis le député d'une île comme la Corse. La Méditerranée est la seule frontière, naturelle et millénaire, que les Corses ont connue. La sanctuarisation de sa biodiversité va de pair avec la préservation de nos traditions et de notre identité. Elle est le patrimoine de tout Corse, de nos concitoyens européens et de nos partenaires d'Afrique du Nord et du Proche-Orient, vers lesquels ce carrefour de civilisations lance un pont.
Les forages en mer menacent ce pont entre les cultures. Un accident comme celui survenu dans le golfe du Mexique sur la plate-forme de l'entreprise pétrolière BP risquerait de souiller pendant des décennies le Mare nostrum et de spolier les générations qui grandissent sur ses rivages. La destruction progressive de son écosystème, dont les Méditerranéens font partie, est une tragédie que les Corses ne supportent pas. C'est d'ailleurs sur les flots de la Méditerranée, en 1972, que les Corses ont pris conscience que leur héritage était menacé. La société Montedison, basée à Livourne, rejetait chaque jour au large du cap Corse et de Bastia des milliers de tonnes de déchets contenant de l'acide sulfurique : c'était l'affaire des boues rouges. À cette époque, les pouvoirs publics n'avaient pas réagi. Aujourd'hui, l'inaction d'il y a quarante-cinq ans n'est plus autant de mise.
Monsieur le ministre d'État, votre prédécesseure, Mme Ségolène Royal, a beaucoup oeuvré pour traiter l'urgence écologique que constitue l'interdiction des hydrocarbures en mer. En juillet dernier, se sont tenues à Ajaccio les septièmes assises nationales de la biodiversité, au cours desquelles a été lancé l'Appel d'Ajaccio en faveur de l'interdiction définitive des hydrocarbures en Méditerranée. En cessant de délivrer de nombreux permis de recherches, Mme Royal ne s'était pas contentée d'annoncer, elle avait agi, comme vous le faites aujourd'hui.
Ce projet de loi vient justement surmonter les difficultés d'un droit qui se drape facilement dans sa technicité. En effet, les juridictions administratives firent une application restrictive de la marge d'appréciation du ministre des mines dans les contentieux contre l'État. L'interprétation procédurière du code minier n'offrait pas de base juridique solide pour pérenniser la démarche de votre prédécesseure. Ce projet de loi vise à offrir une telle base. Certains ne manqueront pas de le critiquer en arguant d'une atteinte à un soi-disant droit de propriété, alors qu'en matière d'environnement, nous ne serons toujours que des usufruitiers, jamais des propriétaires.
Au-delà des hydrocarbures, ce projet de loi, par une interdiction claire et générale, exprime cette évidence que la nature est un bien commun, qui ne peut être assujetti à la confrontation aveugle de l'offre et de la demande. Outre une exception culturelle, il existe aussi une exception environnementale, face à laquelle on ne peut pas laisser faire, on ne peut pas laisser aller.
Le droit évolue et les principes contenus dans le bloc de constitutionnalité doivent trouver une nouvelle hiérarchie. Les droits formels et individualistes de 1789 traduisent les ambitions d'une bourgeoisie entreprenante et avide de s'enrichir dans l'industrie. La liberté avait pris le pas sur la responsabilité, qui est pourtant sa contrepartie naturelle. Cette avidité a amené le progrès et la croissance, mais elle a dilapidé en deux siècles de consumérisme effréné plus de ressources que l'humanité n'en a utilisées depuis des millénaires. Les droits sociaux et réels de 1946 ont rétabli cette responsabilité vis-à-vis des humains, mais il a fallu la Charte de l'environnement de 2004 pour rétablir notre responsabilité vis-à-vis de la nature. La reconnaissance du crime d'écocide, prôné par Mme Valérie Cabanes, va dans le même sens. Les droits collectifs et altruistes doivent désormais s'imposer aux droits individualistes et égoïstes, car la liberté d'entreprendre ne peut être dévoyée en une liberté de nuire aux prochaines générations.