S'agissant de la mission Justice, je m'interroge depuis plusieurs exercices sur la portée exacte du volontarisme budgétaire qui caractérise désormais les lois de finances en la matière. Ces doutes, je suis conduit à les exprimer de nouveau aujourd'hui. En effet, à bien des égards, la programmation 2019 me paraît tout à fait s'inscrire encore dans cette logique que je qualifierai d'expansionniste.
Que nous est-il proposé dans le projet de loi de finances ? Une nouvelle hausse des crédits et un relèvement du plafond d'emplois. Il est ainsi prévu de porter les autorisations d'engagement à près de 9,037 milliards d'euros et les crédits de paiement à 9,055 milliards d'euros. Dans cette progression globale bénéficiant à l'ensemble des programmes, l'évolution des crédits de paiement de l'administration pénitentiaire joue un rôle prépondérant. Elle reflète la hausse des dépenses d'investissement en matière immobilière. Les crédits supplémentaires au titre V doivent permettre notamment la construction de quartiers d'accompagnement vers la sortie et la réalisation de cinq nouvelles maisons d'arrêt dans les zones où la densité carcérale se révèle la plus forte.
Le programme 310 voit également ses moyens renforcés. La hausse des crédits de paiement vise à satisfaire les différents besoins découlant de la mise en oeuvre du Plan de transformation numérique engagé en 2018.
Les ressources de la justice judiciaire bénéficient d'une augmentation plus modérée, qui trouve essentiellement son origine dans la hausse des crédits d'investissement. La hausse des crédits de titre V obéit à deux facteurs : d'une part, la poursuite des opérations immobilières déjà engagées en application de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle ainsi que la réalisation des Agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP) ; d'autre part, et surtout, l'engagement, en 2019, d'une nouvelle programmation judiciaire.
Le projet de loi de finances pour 2019 propose d'augmenter le plafond d'emplois de la mission de 1 660 équivalents temps plein. Pour autant, les dépenses de personnel, en hausse de 2,06 %, progressent moins rapidement que l'ensemble des dépenses de la mission.
Au début de mon intervention, j'ai affirmé ressentir des doutes. De fait, je constate que la maquette de performance pour 2019 vise, pour l'essentiel, une stabilisation des indicateurs sur la base desquels nous pouvons évaluer l'exercice des missions confiées à la justice. Les délais moyens de traitement des procédures civiles demeurent ceux attendus pour l'exercice 2018. Il en va de même pour le nombre d'affaires pénales traitées par magistrat du siège et du parquet. Par ailleurs, la surpopulation pénale ne reculera pas.
Ce qui est vraiment frappant c'est le manque d'ambition des objectifs. S'agissant des plafonds d'emplois, j'ai demandé, hier, à Mme la garde des sceaux – qui était entendue par la commission des lois – si leur augmentation ne relevait pas, en définitive, du simple affichage puisque l'exécution 2018 révèle que les emplois programmés ne sont pas tous pourvus. Il existe donc un décalage entre le discours et la réalité, si bien que l'on peut se demander si nous n'avons pas affaire à une simple opération de communication.
Par ailleurs, la programmation pour 2019 ne dissipe pas les préoccupations concernant la maîtrise de la dépense. Ce constat vaut en partie pour les frais de justice, même s'il convient de reconnaître les efforts qui ont été consentis en la matière. Surtout, j'appelle votre attention – mais la Cour des comptes nous a déjà alertés à plusieurs reprises à ce sujet – sur la croissance très substantielle, de l'ordre de 7,06 %, des crédits alloués à l'aide juridictionnelle. Certes, on peut se féliciter que l'État permette un accès au droit et à la justice, mais cette politique publique me semble aujourd'hui exposée à un véritable risque inflationniste sur lequel il est de mon devoir de rapporteur spécial d'alerter.
Bien entendu, je ne mésestime pas les efforts de modernisation prévus en 2019 et qui sont également rappelés dans le projet de loi de programmation 2018-2022 pour la justice - dont nous aurons à débattre dans quelques mois et que le Sénat vient d'examiner. Je pense aux ressources dégagées en faveur du Plan de transformation numérique. En y consacrant 49 millions d'euros en autorisations d'engagement et 97,3 millions d'euros en crédits de paiement, la programmation me semble de nature à permettre un utile renforcement des outils applicatifs et conforter la dématérialisation des procédures. Ce sont des sujets sur lesquels les choses semblent progresser.
Cependant, répondre aux attentes de nos concitoyens vis-à-vis de la justice appelle une politique de long terme qui va au-delà d'une simple hausse continue des moyens budgétaires. Il faut veiller à réaliser les modernisations indispensables mais cela n'appelle pas nécessairement et seulement un surcroît de moyens. Le numérique, notamment, rend possibles des évolutions intéressantes à cet égard. C'est en raison de l'effort fourni et des doutes quant aux résultats que l'on peut en attendre, que je préconise l'abstention lors du vote sur les crédits de la mission.