Intervention de Jean-Michel Jacques

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Jacques :

Merci à tous pour ces questions nombreuses, auxquelles je tenterai de répondre le plus précisément possible, parfois avec l'aide de mes collègues ayant effectué ce déplacement.

Monsieur Marilossian a évoqué la question de l'orpaillage et des ressources financières qu'une telle activité pouvait créer. Cela illustre parfaitement le fait que, dans ce que je qualifierais de certains bassins de vie, une activité de trafic, qu'il s'agisse de trafic humain, de trafic d'armes ou d'orpaillage, peut constituer une opportunité économique. De telles activités prospèrent très rapidement car, dans certaines zones, nous nous trouvons face à des États faillis ou, du moins, une absence de représentation de l'État. Il s'agit d'un problème identifié, qui sera traité au fil de la remontée en puissance de nos partenaires africains lesquels progressivement, reprennent possession de leurs territoires.

Concernant la formation des pilotes en général, je sais que le faible niveau de disponibilité des matériels a en effet pesé sur les temps de formation et d'entraînement. Je ne suis pas en mesure de vous fournir de réponse aujourd'hui pour les pilotes de drones Reaper mais je me renseignerai et vous ferai parvenir les éléments correspondants.

Madame Dumas, vous m'avez demandé si les conditions de vie s'amélioraient. La réponse est oui. C'est notamment perceptible lorsque l'on voit les travaux en cours. En visitant les bases, nous avons quasiment fait de la géologie puisque l'on distingue différentes traces, certains matériels datant de plusieurs années. Aujourd'hui, il existe de nombreux bâtiments « en dur ». Il est néanmoins logique que de tels bâtiments ne soient pas construits dès le début d'une opération. En effet, lorsqu'une opération est lancée, on n'en connaît pas la durée et l'on commence par déployer des toiles de tentes, climatisées, avant que l'on édifie des constructions en dur.

S'agissant du rôle du service de santé des armées, un grand nombre d'actions de nature civilo-militaires sont en effet conduites et l'aide médicale aux populations est importante autour des bases françaises, permettant aussi une meilleure connaissance réciproque.

À mon camarade Laurent Furst, je dirai d'abord qu'en tant que mosellan, je partage son attention quant à la signification du 11-Novembre pour les populations d'Alsace-Lorraine, très fières d'être redevenues françaises il y a cent ans. Mais qu'en est-il de notre adversaire ? Il est en effet difficile de le définir car il s'agit d'un adversaire aux multiples visages, qui peut changer d'un point du théâtre à un autre. L'adversaire est aussi lié aux trafics. Parfois il s'agit d'un adversaire islamiste, parfois d'un chef de guerre dont l'objectif est simplement d'accroître son influence sur une zone, notamment au travers de certains trafics, d'armes ou autres. Votre deuxième question portait sur la durée de notre engagement. Commençons par rappeler les objectifs car, lorsque l'on parle d'une mission, c'est là l'essentiel. Le premier objectif de l'opération Barkhane était de réduire la menace terroriste pour qu'elle ne soit plus en mesure de progresser. On peut le dire, et je crois même qu'il faut le dire, nos soldats ont réussi leur mission en la matière. À ce jour, les groupes terroristes constitués ont été neutralisés et, s'ils se reconstituent, seront identifiés rapidement et de nouveau neutralisés. Néanmoins, nos partenaires africains ont besoin de monter en compétence et de conforter leurs forces armées afin de reprendre le contrôle de l'intégralité de leurs territoires. Cela ne se fera pas en un jour ! Ils ont besoin de nous, et demandent l'aide de la France. En conséquence, nous ne quitterons pas le Sahel demain ou l'an prochain. Mais dans dix ou quinze ans ? Je serais bien incapable de vous répondre tant il nous faudra compter sur une conjonction de facteurs. La première étape est de s'assurer que les États africains soient en mesure de contrôler leurs territoires et de neutraliser d'éventuels groupes terroristes qui se reconstitueraient.

En réponse à André Chassaigne, les progrès d'Internet et les améliorations apportées aux connexions Wi-Fi ont grandement simplifié les relations entre les militaires et leurs familles. Néanmoins, je soulignerais que nos soldats sont parfaitement conscients de la nature de leur mission. Ils ne sont pas déployés pour simplement exercer un métier à l'autre bout de la planète, mais bien pour remplir leur mission. Eux-mêmes limitent, de leur propre chef, les informations dont ils font part à leurs familles. Ils sont ainsi investis d'un devoir de réserve et de discrétion. En somme, Internet permet un flux rapide et quotidien, mais responsable. L'emploi du téléphone est bien sûr possible, mais les conversations téléphoniques sont par ailleurs facilitées par des applications comme Skype.

M. Pueyo s'est interrogé sur les effets de la coopération européenne, et notamment en matière de formation des militaires au Mali. On constate une véritable montée en compétences des forces maliennes. Plusieurs d'entre nous ont d'ailleurs interrogé nos interlocuteurs à Gao à ce sujet. Historiquement, l'armée malienne a pu s'appuyer sur des officiers bien formés. D'après ce que l'on nous a dit, c'est l'échelon des sous-officiers qui a besoin d'être conforté. Les partenariats européens permettent d'opérer ce renforcement, et je tiens à souligner son importance car, au combat, les sous-officiers sont fortement mobilisés et la qualité de leur formation est un gage d'efficacité de l'intervention. Il y a donc des raisons d'espérer pour l'avenir.

J'en viens à présent à la question de Mme Gipson. Sur le terrain, la question de la place des femmes ne se pose plus. Je ne sais pas bien comment expliquer clairement les choses car, pour beaucoup, il est impossible que les différences soient ainsi estompées, ne serait-ce qu'en raison de la force physique par exemple. Je comprends ces a priori mais, en fait, la mixité ne pose aucun problème au sein des patrouilles comme des sections. Le personnel féminin a toute sa place et remplit merveilleusement bien les missions qui lui sont confiées, comme l'ensemble de nos soldats.

M. Thiériot a relevé la différence de culture militaire entre les forces allemandes et les forces françaises. Aujourd'hui, j'insisterai avant tout sur la complémentarité de nos forces. Les règles d'engagement des forces allemandes sont connues et, en conséquence, les missions qui leur sont confiées y sont conformes. De plus, les forces allemandes disposent de compétences spécifiques, que nous ne maîtrisons pas aussi bien qu'elles, déjà parce que nous ne pouvons pas être les meilleurs dans tous les domaines ! En revanche, je retiens de mes échanges avec les militaires allemands qu'ils aimeraient, parfois, pouvoir faire plus en tant que militaires. S'agissant de la région des lacs, on constate effectivement un regain de tensions, tant en raison de la situation géographique de cette zone que d'une recrudescence de divers trafics. Nous recourons notamment aux moyens de la diplomatie pour préciser les conditions de notre intervention et entretenons des relations avec les différentes ethnies en présence afin d'éviter la constitution d'un nouveau front terroriste.

Enfin, Mme Thillaye a souligné les risques liés à l'épuisement de nos soldats. Sans doute ai-je été imprécis dans mon propos liminaire. Pour ma part, je ne parlais pas de l'épuisement de nos soldats, qui sont déployés selon des rythmes de mission respectueux des contraintes physiologiques et permettant à nos militaires de se reposer. Bien entendu, nous avons d'ailleurs recueilli des témoignages en ce sens, il arrive que certains connaissent un coup dur ou exécutent une mission intense, imposant des nuits plus courtes par exemple. Néanmoins, les temps de repos et de permission sont calibrés pour qu'ils puissent se reposer et se préparer à combattre, le cas échéant. Je visais plutôt l'épuisement des armées locales du fait de l'ouverture de plusieurs fronts. Sur des zones très étendues, où l'on fait face à de multiples fronts, la conduite d'une opération est éreintante à plusieurs titres ; elle demande un effort financier conséquent mais également une attention de tous les instants. Dans ce contexte, nos partenaires africains poursuivent leur remontée en puissance et sont également confrontés à leurs propres enjeux de développement. Il nous faut donc demeurer vigilant face à ce risque d'épuisement. La solidarité internationale me semble être une solution idoine pour le prévenir.

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