Intervention de Stéphane Viry

Réunion du mardi 30 octobre 2018 à 17h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Viry, rapporteur pour avis :

Le deuxième budget de cette législature se caractérise par une baisse significative des crédits de paiement de la mission « Travail et emploi », qui s'élèveront à 12,4 milliards d'euros en 2019, contre 15,4 milliards d'euros dans la loi de finances initiale pour 2018.

Cette diminution des crédits est pour le moins paradoxale alors que l'ambition de ce projet de loi de finances est de « soutenir le travail » et d'« investir pour l'avenir » : il y a, à mes yeux, une certaine incohérence à déclarer que l'on soutient le travail quand les crédits qui y sont directement consacrés sont en diminution à presque tous les niveaux et que les difficultés d'accès à la formation et à l'emploi de nos concitoyens, en particulier les plus fragiles d'entre eux, sont plus que jamais d'actualité.

Certes, plusieurs effets de périmètre expliquent en partie la diminution des crédits, notamment la bascule des exonérations spécifiques pour le secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE) et la formation professionnelle vers le régime de l'allégement général, renforcé, de cotisations patronales. Cette réforme, mise en oeuvre dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019, sera globalement plus favorable aux bénéficiaires de l'IAE et de la formation professionnelle dont les revenus sont proches ou au niveau du SMIC.

En dehors de ces effets de périmètre, néanmoins, l'importante contraction des crédits reflète avant tout des efforts d'économies qui pèsent sur le Programme 102, relatif à l'accès et au retour à l'emploi. Je pense en particulier aux économies demandées à Pôle emploi, mais aussi et surtout au coup de frein donné, pour la deuxième année consécutive, à la politique des emplois aidés.

Dans le cadre de mon avis budgétaire, j'ai donc choisi de travailler cette année sur les contrats aidés, qui ont été transformés en 2018 en « parcours emploi compétences ».

Depuis les travaux d'utilité collective (TUC), lancés en 1984, les contrats aidés ont toujours fait partie des outils incontournables des politiques publiques d'insertion dans l'emploi, même si leur appellation, leur ciblage et leurs paramètres ont été modifiés au fil du temps et des priorités politiques.

Alors que près de 300 000 personnes éloignées de l'emploi avaient eu recours, jusqu'en 2017, à un contrat aidé pour retrouver le chemin de l'emploi, le Gouvernement a décidé brutalement, il y a un an, d'interrompre la dynamique de ces contrats en réduisant significativement leur volume et en ajustant strictement leurs paramètres, principalement en vue de réaliser des économies budgétaires.

Les contrats aidés ont ainsi été recentrés sur le seul secteur non marchand : tous les autres dispositifs, notamment ceux destinés au secteur marchand, qui a été accusé de bénéficier d'effets d'aubaine, ont quasiment disparu au profit des seuls « parcours emploi compétences ».

Cette volte-face, non anticipée, a provoqué un vent de colère chez ceux qui recrutaient traditionnellement des salariés en contrats aidés, notamment des employeurs du secteur associatif et des municipalités, et elle a fait naître des inquiétudes qui, comme j'ai pu le constater sur le terrain, ne se sont toujours pas dissipées un an plus tard.

Sur le papier, les nouveaux « parcours emploi compétences » (PEC), qui ont été créés par la circulaire du 11 janvier 2018, constituent une avancée indéniable. Ils visent à accompagner les personnes les plus éloignées de l'emploi grâce à des actions de formation et à un accompagnement personnalisés, par analogie avec le triptyque qui a déjà porté ses fruits dans le secteur de l'IAE, à savoir l'emploi, la formation et l'accompagnement.

Le rapprochement avec l'IAE se traduit aussi par la création d'un fonds d'inclusion dans l'emploi qui permet une gestion déconcentrée des politiques menées dans ce domaine, au plus près des besoins des territoires. Grâce à ce fonds, les préfets de région ont désormais la possibilité d'utiliser jusqu'à 20 % de l'enveloppe des crédits allouée aux PEC afin d'augmenter le nombre d'aides au poste dans les structures d'insertion par l'activité économique ou de financer des initiatives territoriales innovantes.

À titre personnel, je pense que ce fonds est une avancée intéressante sur le plan de l'adaptation des politiques d'inclusion dans l'emploi aux réalités des territoires, mais je regrette qu'aucune instance de concertation n'ait été créée au niveau local pour accompagner la déconcentration des décisions. Ce sera en effet ma première question, madame la ministre : afin d'instaurer un dialogue de qualité avec l'ensemble des acteurs compétents dans le domaine de l'insertion dans l'emploi, que penseriez-vous de la création d'une instance de concertation permanente, au niveau territorial, sur les emplois aidés et l'insertion par l'activité économique, par exemple sous la forme de comités territoriaux de l'inclusion dans l'emploi ?

La ligne directrice des PEC est que « personne n'est inemployable » : il existe toujours une solution reposant sur la formation, l'accompagnement et l'emploi. La logique suivie est l'individualisation des parcours et de l'orientation vers des dispositifs permettant de lever les freins diagnostiqués en ce qui concerne l'accès à l'emploi.

Afin de s'assurer que les employeurs puissent proposer un accompagnement personnalisé, les exigences ont été renforcées à leur égard : ils font l'objet d'une sélection plus stricte de la part des prescripteurs, et ils doivent s'engager à offrir des postes permettant d'acquérir des compétences transférables, dans une perspective qui est celle de la construction d'un projet professionnel.

La transformation des contrats aidés en PEC permet ainsi, en théorie, d'individualiser et d'ajuster les contrats en fonction du profil et du projet des personnes concernées. Il serait difficile d'être en désaccord avec cette ambition : je suis personnellement convaincu qu'un accompagnement personnalisé de chaque demandeur d'emploi, grâce à un parcours adapté et individualisé à ses besoins, est la clé du retour durable vers l'emploi.

Pourtant, dix mois après la création du nouveau dispositif, j'ai pu constater, au cours des auditions que j'ai conduites et d'un déplacement sur le terrain, que les PEC sont encore loin de faire l'unanimité.

Cela tient tout d'abord à la réduction importante du nombre de contrats : 100 000 seront financés dans le cadre du PLF pour 2019, contre 170 000 cette année, hors effets de périmètre. Cette réduction inquiétante du volume des contrats aidés, pour la deuxième année consécutive, laisse à penser qu'un certain nombre de bénéficiaires potentiels resteront exclus du marché de l'emploi, faute de places disponibles au sein des PEC et d'alternatives adaptées.

Cette crainte est renforcée par l'importante fongibilité qui a été mise en oeuvre, en 2018, au profit de l'IAE : les préfets ont utilisé en sa faveur la quasi-totalité de leurs marges de manoeuvre, ce qui s'est traduit par une diminution encore plus forte du nombre de PEC disponibles que ce qui était prévu par la loi de finances. Je proposerai donc un amendement pour augmenter le nombre de PEC.

La fongibilité utilisée au détriment des PEC est non seulement révélatrice de la sous-budgétisation des besoins de l'IAE, mais aussi des difficultés d'appropriation des PEC par les employeurs. De leur point de vue, le principal point d'achoppement est l'augmentation du reste à charge : le taux de prise en charge, désormais fixé par les préfets de région, oscille entre 35 % et 60 % du SMIC brut selon les territoires et le profil des bénéficiaires. On est donc très loin de la moyenne de 72 % qui était observée en 2017.

J'ai pu constater que cela se traduit en pratique par un désengagement contraint de catégories entières d'employeurs potentiels, qui ne savent pas comment répondre à l'équation impossible des PEC. En effet, comment proposer, en moins d'un an, un accompagnement personnalisé, qui suppose un réel investissement de la structure employeuse, et des actions de formation de qualité pour des personnes très éloignées de l'emploi, qui présentent le plus souvent, au début de leur parcours, des difficultés particulières d'adaptation aux exigences du monde professionnel, alors que l'aide financière de l'État a parfois été divisée par deux par rapport aux anciens contrats aidés ?

La diminution du nombre de contrats et celle du montant de l'aide financière accordée par l'État sont ressenties comme une double peine par les employeurs du secteur non marchand qui, pourtant, ont toujours été convaincus de l'utilité sociale des contrats aidés et de leur capacité à accompagner vers l'emploi les publics en difficulté.

Ce désengagement non souhaité, et même subi, a des conséquences sur notre société car les contrats aidés permettaient au secteur associatif et aux petites collectivités, notamment rurales, de développer de nouvelles activités au service de la population ou, a minima, de maintenir un niveau de service de qualité.

Je peux concevoir que les PEC ne soient plus considérés comme un soutien direct au secteur associatif ou aux collectivités territoriales, car l'objectif visé est avant tout celui de l'inclusion dans l'emploi. Mais l'absence d'alternative crédible, en particulier pour les associations, est alarmante. Pourriez-vous nous indiquer, madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement en ce qui concerne le soutien au secteur associatif ?

Du point de vue des bénéficiaires, plusieurs paramètres des PEC, en particulier la durée des contrats, qui est comprise entre 9 et 12 mois, hors renouvellement, paraissent incompatibles avec l'ambition de proposer des parcours cohérents avec les besoins. Certains bénéficiaires gagneraient, par exemple, à suivre des formations sur le long terme, mais la durée trop courte des contrats et leur renouvellement non systématique les en empêchent. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il conviendrait d'allonger la durée des PEC afin de donner plus de marges de manoeuvre aux prescripteurs et de permettre une meilleure adaptation aux besoins des bénéficiaires ?

Pour conclure sur une note un peu plus positive, je relève avec satisfaction la relative embellie budgétaire qui concerne le secteur de l'insertion par l'activité économique : il bénéficiera en 2019 du financement de 5 000 postes supplémentaires en équivalent temps plein (ETP), ce qui portera le total à 76 000. J'avais attiré votre attention, il y a un an, sur la situation des structures de l'IAE, qui voyaient s'échapper des pistes de développement faute de places disponibles. Un effort est prévu pour 2019, mais il reste insuffisant au regard des attentes du secteur et de l'extraordinaire potentiel que représente l'IAE pour l'insertion dans l'emploi des personnes les plus fragiles. Seriez-vous favorable à un relèvement significatif de l'effort réalisé en faveur de l'IAE, grâce à une augmentation du nombre d'aides au poste de 20 % par an jusqu'à la fin du quinquennat ? Cela représenterait un peu plus de 14 000 postes supplémentaires en 2019, comme l'avait d'ailleurs recommandé le rapport de M. Jean-Marc Borello en janvier 2018.

Je vous avais également interrogée l'an dernier sur la possibilité de faire de la formation l'une des missions explicites de l'IAE, afin de permettre un meilleur accès à la formation des salariés en insertion. Cette demande semble avoir porté ses fruits, puisque le projet de loi de finances prévoit 60 millions d'euros en autorisations d'engagement au titre de la formation en IAE. J'ai néanmoins constaté qu'aucun crédit de paiement n'y est associé. Dans ces conditions, comment comptez-vous développer concrètement l'accès à la formation dans les structures d'insertion par l'activité économique ?

Enfin, à ma connaissance, aucune évaluation exhaustive de la réforme du financement de l'IAE qui a eu lieu en 2014 n'a été réalisée à ce jour. Pensez-vous qu'un rapport pourrait être remis sur ce sujet ?

Je vous remercie pour les réponses que vous nous apporterez, madame la ministre. Elles conditionnent mon avis sur les crédits de cette mission.

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