Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 16h25
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Le problème, aujourd'hui, ce sont ces 500 décès, insupportables pour les familles. C'est en fait un sujet international. Quelques-uns sont ceux d'enfants réfractaires aux traitements, ou qui rechutent après les traitements. Nous devons donc travailler sur les mécanismes de résistance aux traitements. Cependant, la majorité font suite à des cancers contre lesquels nous n'avons pratiquement aucune arme thérapeutique et dont le pronostic est effroyable, notamment le gliome infiltrant du tronc cérébral, dont vous parliez, monsieur Perrut. Quoique rares, ces cancers ont beaucoup été étudiés, et nous avons beaucoup de données, notamment génétiques, mais nous pensons que les progrès thérapeutiques proviendront probablement d'autres champs de recherche.

Dans la recherche en général, il y a deux façons d'agir. La première est la recherche ciblée, qui permet, par le travail sur une maladie, d'améliorer les traitements, de mieux comprendre. Et puis il y a de grands bonds liés à la recherche fondamentale. Ainsi, la radiothérapie, communément utilisée pour le traitement des cancers, n'a pas été découverte lors de travaux sur les cancers. Elle est issue de recherches de physique qui n'avaient rien à voir. De même, si nous avons considérablement amélioré notre connaissance du génome humain et accéléré son séquençage dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, c'est grâce à une technique, la réaction en chaîne par polymérase – polymerase chain reaction (PCR) –, qui n'aurait jamais été découverte si nous avions cherché à améliorer la connaissance du génome en ne travaillant que sur le génome. C'est en travaillant sur une grenouille qui survit au froid et au chaud dans le lac Titicaca, en Amérique du Sud, que son découvreur, futur lauréat du prix Nobel, a découvert cette technique.

Je comprends les familles qui disent qu'il faut augmenter les budgets de recherche consacrés aux cancers des enfants, mais, comme je l'ai dit lors des questions au Gouvernement, on n'a pas découvert l'électricité en essayant d'améliorer la bougie. Si nous fléchons trop de crédits de recherche vers des cibles très définies, nous nous privons de la possibilité de certains bonds technologiques et découvertes que permet la recherche fondamentale et qui amélioreront considérablement la connaissance et le traitement de la maladie. Je connais vraiment bien le secteur de la recherche, car l'INCa organisait, animait et orientait stratégiquement toute la recherche sur le cancer en France ; la règle, dans le monde entier, c'est que 50 % des crédits au moins doivent être conservés pour une recherche complètement libre, non ciblée.

Prenons un tout autre exemple : l'énergie. Le grand défi, c'est le stockage de l'énergie. Nous savons que nous n'arriverons jamais à passer des piles à des stockages d'énergie macroscopiques en essayant d'améliorer les batteries, nous savons que ces progrès sur le stockage de l'énergie viendront probablement de découvertes de nouveaux matériaux, de nouveaux conducteurs, etc. Il faut donc garder cette philosophie : en ciblant trop l'argent de la recherche, nous perdons la capacité à accompagner des progrès majeurs.

C'est très difficile à faire comprendre mais je tiens à vous l'expliquer. Les familles de ces malades demandent qu'on consacre beaucoup d'argent à ces 500 morts insupportables qui sont un défi international. Je les connais bien. J'en ai accompagné beaucoup à l'INCa, j'ai même obtenu des traitements aux États-Unis pour certaines d'entre elles. Elles savent à quel point je me suis démenée pour obtenir des traitements innovants, pour que toutes les molécules disponibles pour l'adulte puissent être délivrées aux enfants malades dans le cadre de protocoles. Je pense qu'il faut laisser un peu de liberté à l'INCa, aux chercheurs. Il faut une vision stratégique et non une réponse purement émotionnelle. Sinon, nous risquons de passer à côté du sujet, et ce n'est pas de l'attentisme de ma part, monsieur Perrut. Je connais remarquablement le sujet et je me suis battue sur tous les fronts pour améliorer la situation des enfants. Nous avons en France le protocole le plus innovant au monde sur les médicaments innovants en phase I. C'est moi qui l'ai mis en place. Je suis allée voir toutes les Big Pharma américaines, j'ai pris mon bâton de pèlerin pour obtenir des molécules pour les enfants, alors que, par crainte d'accidents, ils ne voulaient pas qu'elles soient utilisées pour des enfants. Je les ai obtenues pour les patients français et, maintenant, ce protocole se déploie dans toute l'Europe.

Je suis prête à examiner ce qui peut manquer dans l'accompagnement des familles, en termes d'annonces de diagnostic, d'allocations, etc., mais attention en matière de recherche, même si je comprends que les familles ne comprennent pas cette prudence que je viens de vous expliquer.

Merci, mesdames et messieurs les députés. (Applaudissements.)

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