Intervention de Brahim Hammouche

Réunion du mercredi 31 octobre 2018 à 16h25
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrahim Hammouche, rapporteur pour avis :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, en 2019, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » dépasseront 21 milliards d'euros, en hausse de 7,5 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale (LFI) pour 2018 et de près de 7 % par rapport à la LFI 2018 retraitée des mesures de transfert et de périmètre.

Cette augmentation des crédits s'explique principalement par l'augmentation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), la création d'un second bonus pour les bénéficiaires de la prime d'activité et la mise en place de la stratégie interministérielle de lutte contre la pauvreté. Je ne peux que m'en féliciter.

Convaincu que la responsabilité de l'État dans le domaine de la solidarité, de l'insertion et de l'égalité des chances n'est pas seulement organisationnelle et budgétaire, et qu'elle requiert de développer une véritable culture de l'attention aux autres, j'ai choisi de m'intéresser cette année, dans le cadre de la partie thématique de ce rapport, à un sujet transversal et primordial pour notre vivre-ensemble : la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance.

La maltraitance n'est en effet pas seulement physique, elle est aussi psychique, sociale, économique et institutionnelle. Il s'agit d'un phénomène complexe, parfois même les auteurs de maltraitances n'en ont eux-mêmes pas conscience. C'est pourquoi il est nécessaire de bien l'appréhender pour pouvoir le combattre.

Je tiens à cet égard à saluer l'installation, au début de cette année, de la Commission pour la promotion de la bientraitance et de la lutte contre la maltraitance, dont les travaux seront remis aux ministres concernés à la fin du mois de novembre 2018. Madame la ministre, comment comptez-vous associer les parlementaires impliqués sur ces sujets à ces travaux ?

En 2002, le Conseil de l'Europe a publié un rapport qui apporte un nouvel éclairage à la définition de la maltraitance : il s'agit de « tout acte ou omission commis par une personne ou un groupe, qui a pour effet de porter gravement atteinte, que ce soit de manière volontaire ou involontaire, aux droits fondamentaux, aux libertés civiles, à l'intégrité corporelle, à la dignité ou au bien-être général d'une personne vulnérable, y compris les relations sexuelles ou les opérations financières auxquelles elle ne consent ou ne peut consentir valablement, ou qui visent délibérément à l'exploiter ».

J'ajouterai à cette définition qu'il ne faut pas oublier la dimension psychique de la maltraitance. C'est une dimension que je n'ai pas eu le loisir d'aborder autant que je l'aurais voulu, mais j'espère pouvoir le faire ultérieurement.

C'est bien l'abus de pouvoir qui signe la présence d'une maltraitance. À la différence de la violence, une maltraitance suppose que soient réunis trois éléments : une dissymétrie dans la relation, une dépendance – entendue comme un lien entre l'auteur et la victime – et l'existence d'un abus de pouvoir. Le lien ou la relation entre la victime d'une maltraitance et son auteur est au centre de cette définition. Cette relation a différents visages : lien de parenté, relation entre un client et un professionnel, relation de voisinage, relation entre aidant et aidé, relation entre une personne vulnérable et un professionnel de santé ou du soin, relation entre professionnels, que ce soit entre collègues ou avec la hiérarchie.

Or l'une des clefs d'entrée actuelles me semble assez limitée : la certification. Les différents établissements sociaux et médico-sociaux doivent souscrire des règles minimales de fonctionnement pour être accrédités. Cette autorisation est assortie d'une évaluation interne et externe de la Haute Autorité de santé (HAS), en charge du pilotage de la qualité. La HAS produit des normes et des recommandations qui reposent sur les trois piliers que sont le savoir scientifique, le savoir des professionnels et le savoir des patients. Elle dispose de deux grands outils visant à lutter contre la maltraitance et à renforcer la bientraitance : l'évaluation de la qualité, qui est une compétence nouvelle ; le volet « recommandation de bonnes pratiques » pour les professionnels.

Vous l'avez compris, Madame la ministre, je voudrais ici souligner les limites des normes et de la certification. Quelle est à cet égard votre position de ministre de la santé ? Selon moi, il faut veiller à ne pas plaquer un référentiel aveugle sur les notions de bientraitance et de maltraitance. Dans un tel cas de figure en effet, les recommandations normatives sans accompagnement humain renforcé seraient susceptibles de générer en elles-mêmes de la maltraitance dite institutionnelle…

J'insiste sur cet aspect de la maltraitance institutionnelle car il ne me semble pas suffisamment pris en compte, madame la ministre. D'ailleurs, le Défenseur des droits m'a déclaré être saisi d'une grande diversité de situations relatives à la maltraitance institutionnelle à l'égard des personnes dépendantes. La plupart des saisines sont liées au non-respect des droits : droits des malades, droits fondamentaux de l'être humain, comme le droit au respect et à la dignité ou le droit d'aller et venir, en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) notamment. Quelles sont les perspectives gouvernementales en ce domaine ?

Enfin, rien de tel pour promouvoir la bientraitance que de s'inspirer des pratiques qui ont déjà fait leurs preuves. Je cite l'exemple de l'inclusion bancaire dans mon avis budgétaire, mais il en est bien d'autres que je souhaiterais pouvoir approfondir, notamment dans le domaine de la santé mentale.

La promotion de la bientraitance suppose un changement de regard culturel, massif et généralisé. J'ai pu pleinement en mesurer la pertinence durant mes travaux, quoiqu'ils fussent limités par le cadre de cet avis budgétaire.

Je n'ai, pour aborder cette thématique, pas disposé de toute la latitude possible puisque les crédits destinés à la lutte contre la maltraitance se retrouvent dans les programmes de plusieurs missions budgétaires – la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » étant la principale d'entre elles –, dans le projet de loi de financement de la sécurité ou encore la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), et ils ne sont pas forcément fléchés comme tels. Je souhaiterais donc pouvoir disposer d'un champ d'action plus large que celui qui m'a été donné.

Le lien ou plutôt la relation entre la victime d'une maltraitance et son auteur est au centre de la définition même de la maltraitance et, par conséquent, au coeur de sa résolution. En effet, la promotion de la bientraitance ne s'appuie pas en premier lieu sur une dimension quantitative, budgétaire, elle passe avant tout par la prise de conscience par le plus grand nombre de ce qu'il convient d'appeler « la qualité de la relation ».

Il ne s'agit pas tant d'inventer une politique de la bientraitance ou de prétendre réapprendre aux soignants et aux aidants la bienveillance, alors qu'ils sont déjà épuisés, voire enferrés, aux plans psychique et physique, que de comprendre, d'un point de vue systémique, comment ces gouvernances produisent ce coût de la maltraitance. Il s'agit d'établir des balises de sauvetage de sens, en reposant à chaque instant la question humaine, de la conception à l'évaluation des politiques publiques, en impliquant à chaque étape professionnels, usagers et citoyens pour une véritable approche humaniste. C'est-à-dire pour mettre l'homme, sa dignité et ses libertés fondamentales au centre de nos pratiques, en tout cas pour une approche centrée sur la personne.

De nombreuses études relevant du domaine de la psychologie clinique ont déjà convergé pour mettre en exergue cette primauté de la relation. La bientraitance ne saurait donc advenir sans cette « qualité de la relation » et celle-ci est à la portée de chacun et chacune d'entre nous. Le premier pas en ce domaine passe par une prise de conscience généralisée.

J'ai ainsi modestement tenté de poser une pierre sur le chemin de la bientraitance dans cet avis budgétaire, une pierre partiellement dégrossie, mais le cadre restreint de cet avis ne m'a pas permis – loin de là – d'effectuer toutes les auditions nécessaires et de m'intéresser à un certain nombre de crédits pertinents mais ne relevant pas de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », ni d'aborder la dimension essentielle de la santé mentale. Je souhaiterais donc, vous l'avez compris, pouvoir poursuivre ces travaux dans le cadre d'une mission d'information parlementaire.

Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de vous citer ce qu'écrit Matthieu Ricard dans son ouvrage Plaidoyer pour l'altruisme, la force de la bienveillance : « Nous avons besoin d'un fil d'Ariane qui nous permette de retrouver notre chemin dans ce dédale de préoccupations graves et complexes. L'altruisme est ce fil qui peut nous permettre de relier naturellement les trois échelles de temps – court, moyen et long – termes en harmonisant leurs exigences. […] L'altruisme semble être un facteur déterminant de la qualité de notre existence, présente et à venir, et ne doit pas être relégué au rang de noble pensée utopiste entretenue par quelques naïfs au grand coeur. Il faut avoir la perspicacité de le reconnaître et l'audace de le dire. »

Madame la ministre, aurons-nous la perspicacité de le reconnaître l'urgence de la nécessité de lutter contre la maltraitance et l'audace de promouvoir la bientraitance dans tous les domaines et à tous les niveaux ? C'est une question complexe qui nécessite un changement de paradigme ; il nous faut redéfinir les lignes, les repères, faire tout un travail d'ouverture pour construire autre chose, ensemble. C'est un enjeu sociétal, c'est également un enjeu éthique, je dirai même que c'est un enjeu d'émancipation humaine.

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