Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent encore significativement cette année ; ils s'élèveront à 1,7 milliard d'euros en 2019, contre 1 milliard il y a seulement deux ans.
Dans la lignée du plan du Gouvernement, présenté le 12 juillet 2017, et de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, ces crédits doivent notamment permettre de poursuivre la mise à niveau du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile – mon collègue Jean-Noël Barrot en a parlé tout à l'heure – , de financer la création de 450 places en centres de rétention administrative, et de doubler les heures de cours de langue et de formation civique dispensés aux étrangers signataires du contrat d'intégration républicaine – CIR.
J'ai fait le choix, cette année, de m'intéresser plus particulièrement à la mise en oeuvre du règlement dit « Dublin », qui provoque de nombreuses divergences entre les différents États membres de l'Union. Vous le savez, il s'agit d'une composante du régime d'asile européen commun. Il a pour objet d'éviter, d'une part, que le demandeur d'asile sollicite successivement plusieurs pays européens, et, d'autre part, qu'il soit renvoyé d'un pays à l'autre sans que sa demande soit jamais examinée. Il pose pour cela le principe selon lequel un seul État européen est responsable de la demande d'asile d'une personne ressortissante d'un État tiers, et prévoit une procédure de transfert entre les différents États membres. Le nombre de demandeurs d'asile relevant du règlement Dublin a augmenté de manière spectaculaire depuis deux ans, ces demandeurs représentant désormais 40 % du total des demandes enregistrées en France.
Alors que la demande d'asile baisse partout en Europe, elle continue en effet d'augmenter dans notre pays : des migrants arrivés en Europe en 2015 et 2016, après avoir déposé une demande d'asile dans un premier pays européen et avoir été déboutés, réitèrent leur demande chez nous. C'est le cas, par exemple, de nombreux ressortissants afghans, en provenance d'Allemagne ou d'Italie, qui déposent chez nous, en moyenne, leur troisième demande d'asile.
Plusieurs éléments peuvent expliquer ce phénomène. Tout d'abord, des États membres de première entrée n'enregistreraient pas systématiquement les demandeurs, préférant laisser passer les migrants. Ensuite, certains demandeurs contournent l'application du règlement en faisant jouer les clauses de responsabilité trop courtes – six ou dix-huit mois selon les cas : passé ce délai, la procédure repart à zéro, dès lors qu'un État ne parvient pas à les transférer. Enfin, les taux d'octroi de la protection varient selon les pays, ce qui incite à déposer une nouvelle demande après un premier échec.
Le problème est que la France a du mal à s'organiser face à ce phénomène nouveau. Les taux de transferts restent, par exemple, particulièrement faibles : sur 41 000 requêtes adressées en 2017 par la France, 29 000 ont obtenu un accord des États membres concernés, dont 13 000 de l'Italie, mais 2 600 transferts seulement ont été effectivement réalisés. Ces faibles taux fragilisent la France par rapport aux autres États membres, où ils sont supérieurs ; notre pays devient ainsi, de fait, un pôle d'attraction pour tous les déboutés du droit d'asile présents sur le continent européen.
C'est pourquoi une mise à niveau de notre dispositif est indispensable. Le vote, à l'initiative de notre collègue Jean-Luc Warsmann, de la loi du 20 mars 2018 relative au régime d'asile européen commun, doit y contribuer. Par ailleurs, monsieur le ministre, il a été décidé cet été de créer des pôles régionaux Dublin pour aider les préfectures dans la mise en oeuvre de cette procédure longue et complexe.
Nous en sommes tous conscients, cette question ne pourra être résolue qu'au niveau européen. En 2016, la Commission européenne avait présenté un projet de refonte qui visait notamment à réduire les délais d'instruction des demandes de transfert et à instituer une responsabilité permanente. La proposition prévoyait également l'introduction d'un mécanisme de solidarité rendant possible la relocalisation des demandeurs dans les États membres en cas d'afflux soudains et massifs, selon une clé de répartition prédéterminée. L'examen de ce texte par le Conseil a été interrompu en septembre 2016 par la présidence slovaque, en raison de trop grandes divergences politiques entre les États membres : l'allongement de la durée de la responsabilité de l'État chargé de l'examen de la demande d'asile se heurte à l'opposition des pays de première entrée, au premier rang desquels l'Italie ; l'instauration d'un mécanisme de solidarité, avec la réinstallation des demandeurs dans d'autres États membres, se heurte au refus des États de Visegrád – Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie – opposés à toute forme d'accueil obligatoire.
En juin dernier, à la suite du drame de l'Aquarius, le Conseil européen avait évoqué la création de « centres contrôlés » ou de « plateformes régionales de débarquement », afin d'examiner au plus vite la situation de personnes débarquant sur nos côtes pour pouvoir soit les inscrire dans une démarche d'asile, soit les reconduire dans leur pays d'origine. Je suis convaincue que la réponse des États européens doit être collective, afin, d'une part, d'aider les pays de première entrée à mieux contrôler leurs frontières, et, d'autre part, d'inventer des mécanismes de solidarité qui fassent participer tous les États membres à l'effort collectif.
La commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission.