Mes chers collègues, notre pays doit être capable de faire entendre sa voix et rayonner dans le monde entier par son audiovisuel extérieur, outil de notre diplomatie et vitrine économique, culturelle, citoyenne de la France.
Nous vivons dans un monde hyper-connecté où les rumeurs et fake news façonnent l'opinion publique. Pour ce budget : quelques motifs de satisfaction, quelques points de vigilance, et des motifs d'inquiétude enfin.
1 Quelques motifs de satisfaction devant les résultats de nos groupes et le chemin parcouru ces dernières années
En 2017, France Medias Monde, c'est-à-dire France 24, RFI et MCD Doualiya ont touché 150 millions de personnes chaque semaine. Ce chiffre est en progression de 11 % par rapport à 2016. France 24 a touché 61,2 millions de personnes dont la majorité se trouve en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient. L'audience hebdomadaire de RFI en 2017 s'établit à 40,7 millions d'auditeurs, dont 73 % en Afrique francophone.
Au plan qualitatif, la reconnaissance du groupe est grande. Le lancement de France 24 en espagnol à Bogota en 2017 et à Buenos Aires a été l'occasion de mesurer l'enthousiasme des autres médias et des autorités. Aux États-Unis, une étude menée par FMM en 2017 accorde à France 24 un indice de satisfaction équivalent à celui de la BBC et supérieur à CNN ou Al Jazeera.
TV5MONDE reste quant à elle la chaîne numéro 1 en nombre de téléspectateurs sur l'Afrique francophone. L'audience hebdomadaire globale s'élève à 41,9 millions pour l'année 2017. Plus de la moitié du public africain âgé de 15 ans et plus regarde la chaîne au minimum une fois par semaine. La RDC et la Côte d'Ivoire sont les deux premiers marchés, et la chaîne jeunesse Tivi5 réussit sa percée en Afrique francophone. Ajoutons les résultats encourageants pour la chaîne en Inde avec 1,5 million de téléspectateurs cumulés par semaine.
Quant à ARTE, du socle franco-allemand, la chaîne s'est déployée ces dernières années avec la coproduction européenne, le multilinguisme et la distribution en ligne. ARTE Europe a créé une offre en ligne en six langues (français, allemand, anglais, espagnol, polonais, et italien) avec 85 % de programmes européens accessible à 70 % des Européens dans leur langue maternelle. Les audiences sont en hausse, et la chaîne trouve aussi son public hors d'Europe, notamment aux États-Unis.
Nous n'avons pas à rougir des résultats de notre audiovisuel extérieur mais les défis sont nombreux.
2 Quels sont les grands enjeux des années à venir, comment rester présents dans le concert international ?
Premier enjeu : être présent dans le monde entier grâce à une politique de diffusion ambitieuse
Pour TV5 Monde, la francophonie, raison d'être et ossature de TV5 Monde, est à un moment clé de son histoire : l'expansion de la démographie africaine lui garantit théoriquement un triplement annoncé de sa population. Mais il faut investir maintenant pour préparer l'avenir : assurer la présence sur la TNT en Afrique et renforcer l'investissement dans la production locale. A l'heure où Chine, via Star Time, lance une offre de films et séries en français sur l'ensemble du continent, en partenariat avec des gouvernements et chaînes nationales, nous ne devons pas abandonner le soutien à la création locale, notamment via le Fond pour la jeune création francophone.
Pour France 24, le passage à la TNT et à la Haute Définition sera capital mais il y a aussi une proximité à trouver avec le public, en particulier par la délocalisation de certaines rédactions en langues étrangères dans leur bassin de diffusion notamment.
Deuxième enjeu : avoir une politique linguistique ambitieuse.
Or le manque de moyens force à réduire la voilure. Non seulement il faudrait renoncer à la diffusion en langue peule, dont on connaît l'importance en Afrique subsaharienne, mais la rédaction en anglais de RFI pourrait disparaître. Pour TV5 monde il s'agit d'avoir une politique intelligente de sous-titrage notamment en Afrique anglophone, politique qui est au point mort faute de crédits suffisants.
Troisième enjeu, prendre le tournant du numérique
C'est une vraie révolution et je ne suis pas sûr que nous en ayons pris toute la mesure. Le contexte de convergence numérique bouscule les frontières (y compris entre média national et international), les modes de production et de diffusion. Mais pas seulement : le numérique suppose de modifier les contenus (beaucoup de jeunes n'accèdent aux médias que sur mobile, notamment en Afrique), l'organisation interne du groupe, l'évolution des métiers et des méthodes de travail (le décloisonnement des rédactions linéaires et numérique). La stratégie numérique des différents groupes pourrait être plus offensive et plus concertée.
Quatrième et dernier enjeu : mieux articuler développement et coopération audiovisuelle
Le rapprochement de Canal France International avec France Médias monde, a permis de constituer un pôle d'expertise médias. Il faut saluer le travail de cet opérateur dont le budget est particulièrement modeste (moins de 8 millions d'euros annuels). Mais nous devrions, comme le font les Anglais ou les Allemands, avoir une vraie stratégie d'intégration de l'audiovisuel au développement, en lien avec l'AFD.
3 Les motifs d'inquiétude sont principalement budgétaires
Si nous ne voulons pas disparaître, il faut investir davantage dans nos médias internationaux.
Par comparaison BBC World Service a reçu un financement de 291 millions de livres en 2016 sur une période de 4 ans. Le budget de la Deutsche Welle devrait atteindre 350 millions d'euros en 2019.
Or les annonces budgétaires sont plus qu'inquiétantes.
Pour FMM, l'État s'était engagé, dans le COM sur une augmentation des ressources publiques de 23,1 millions d'euros. Cette trajectoire n'a pas été respectée (en 2018, les économies demandées ont été de 1,9 millions d'euros). En 2019 on attend de FMM au moins 3 millions d'économies. On arrive au bout : tous les journalistes sont devenus polyvalents et fonctionnent à flux tendus avec des équipes et des moyens réduits et les correspondants à l'étranger, qui bientôt ne pourront plus bénéficier de couverture sociale devront s'assurer à leurs propres frais. Concrètement les efforts financiers se traduiront par une réduction du contenu éditorial, et de la couverture mondiale. On peut se demander quelle est la valeur d'un COM pourtant approuvé par notre Assemblée.
Le développement d'ARTE Europe, nécessite quant à lui un soutien pérenne de 1,5 millions d'euros par an. La contribution française est en baisse. Il est donc impératif que le financement d'ARTE Europe soit inscrit dans la base budgétaire de l'UE pour 2019, année qui marquera la fin des appels d'offre de la Commission européenne.
Pour TV5 monde, la France va diminuer sa dotation de 1,2 millions d'euros en 2019. Le grand projet phare de TV5 Monde pour les années à venir, la plateforme multimédia francophone risque d'être retardé.
Le problème n'est pas en soi la contribution de l'audiovisuel extérieur à l'effort budgétaire. Il est dans l'absence totale de visibilité. Il faudrait veiller au dynamisme de la contribution à l'audiovisuel public et mobiliser d'autres ressources comme l'aide au développement sur le modèle britannique.
Il faut surtout fixer un cap clair à notre audiovisuel extérieur. Je regrette fortement qu'il soit le grand oublié de la réflexion en cours sur l'avenir de notre audiovisuel public. J'espère que le nouveau ministre de la culture comblera cette lacune. Je souhaite en tout cas que la commission se saisisse du sujet.
4 Point sur ma visite à Londres
J'ai souhaité cette année me rendre à Londres pour rencontrer des responsables de la BBC mais aussi examiner la pertinence de notre diplomatie culturelle à l'heure du Brexit.
J'en ai tiré trois enseignements :
– Pour notre politique audiovisuelle, s'inspirer de la stratégie numérique de la BBC (je vous renvoie au rapport sur ce point) et lancer des actions conjointes. J'ai trouvé la BBC plus ouverte qu'auparavant aux échanges dans le contexte du Brexit et nous développons déjà des programmes communs avec la Deutsche Welle. Je suis convaincu qu'il faut aller plus loin
– Pour notre politique culturelle : le Royaume-Uni est un des plus grands pays prescripteurs au monde. Faire exister nos artistes et nos industries culturelles et créatives à Londres, c'est les faire exister dans le monde entier. Nous devons donc y conserver une solide coopération. J'ai senti la grande inquiétude des milieux culturels principalement financés sur les fonds européens, face aux conséquences du Brexit. Ils attendent de nous un vrai soutien pour pallier ce manque.
– Pour notre politique universitaire, le Brexit pourrait paradoxalement être une chance. Le Royaume-Uni se montre particulièrement intéressé par la mise en place de nouveaux partenariats franco-britanniques. Le rapprochement opéré entre la Maison française d'Oxford et l'université d'Oxford constitue également une opportunité dans le domaine des sciences humaines et sociales.
– Enfin, le budget de l'IFRU, de l'ordre de 6 millions de livres en 2018, se caractérise en recettes par un taux d'autofinancement de 85 %. Les moyens affectés à notre coopération bilatérale ne sauraient se réduire davantage, au risque de voir aussi notre capacité à lever des fonds propres compromise par un apport public jugé insuffisant aux yeux de nos partenaires.
Pour toutes ces raisons, j'émets pour ma part un avis défavorable sur les crédits consacrés à l'audiovisuel extérieur. Je vous remercie.