Intervention de Anne Genetet

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne Genetet, députée, rapporteure :

- Merci, monsieur le président. Le projet de note qui vous est soumis a pour objectif de s'appuyer sur des données scientifiques documentées. Il ne s'agit pas de prôner une position politique par rapport à ce produit, mais de discerner les arguments scientifiques fondés. Nous faisons face à des pays producteurs qui affûtent leur discours et nous devons pouvoir leur répondre. J'ai d'ailleurs constaté que, pour beaucoup de points, nous manquons de données. Le projet de note fait état de la liste des personnes consultées, sachant que j'ai également interviewé les responsables du WWF (World Wide Fund for Nature) de Singapour en la personne de leur responsable mondiale pour le sujet de l'huile de palme, Madame Elizabeth Clark.

La note est courte, il fallait donc faire des choix dans les points abordés. Il faudrait peut-être aller plus loin sur ce produit mais, en l'état, je vous propose une présentation orale en deux parties : le produit en lui-même, puis son impact environnemental. J'évoquerai les enjeux sanitaires dans la première partie, de même que la description de ses modes de culture, qui permettent de comprendre l'engouement pour ce produit et le fait qu'il soit si répandu.

Il s'agit d'une huile végétale qui représente près de 30 % de la production totale d'huiles végétales, avec un usage principalement alimentaire.

L'huile de palme se caractérise par une croissance rapide : il ne faut que trois ans pour qu'un palmier arrive à maturité et il peut ensuite être exploité pendant 25 ans. Nous arrivons d'ailleurs à une phase de fin de cycle. Le palmier à huile constitue une monoculture qui requiert beaucoup de main-d'oeuvre. La récolte se fait tous les 10 à 14 jours et il faut traiter les fruits en 24 à 48 heures. Le raffinage se fait donc sur place et sur le plan nutritionnel, cette contrainte lui fait perdre pratiquement tous ses nutriments.

In fine, cette huile contient quasi-uniquement des acides gras. Dans le langage courant, on évoque souvent différentes variétés d'acides gras dangereux pour la santé, mais ces catégories sont un peu remises en question dans leurs effets par des publications récentes. Les acides gras saturés ne sont pas si mauvais que cela sauf trois d'entre eux, dont l'acide palmitique, contenu en forte proportion dans l'huile de palme. Cet acide gras n'est pas toxique en soi et il est tout à fait possible d'en consommer, d'ailleurs on en trouve dans nos membranes corporelles. Cet acide gras saturé à chaînes d'atomes de carbone longues ne présente de risque que s'il est consommé en excès. La difficulté est de définir ce qu'est l'excès : on ne dispose pas de données précises sur la composition de l'alimentation lorsqu'elle est fondée sur des aliments transformés. En tant que médecin, je ne suis pas favorable à un tel mode d'alimentation, mais il demeure que la consommation de produits transformés est considérable, et il faut bien en tenir compte. On ne sait pas, cependant, à quelle quantité d'huile de palme, donc d'acide gras dangereux en excès, les consommateurs sont exposés. C'est une vraie difficulté pour émettre des recommandations pour éviter l'exposition excessive au sel, au sucre, ou à l'acide palmitique présent dans l'huile de palme, qui se trouvent dans tant de produits d'alimentation transformés.

Si l'huile de palme y est si présente, c'est en raison de ses propriétés intrinsèques spécifiques : elle est en effet solide à température ambiante, contrairement à toutes les autres huiles végétales, sans avoir besoin d'être hydrogénée. L'usage alimentaire représente 80 % de son utilisation mondiale, sous forme de produits transformés en Occident, mais aussi, dans d'autres pays du monde, sous forme d'huile de table, comme l'huile d'olive ou la margarine.

Pour 19 %, elle est utilisée pour les produits cosmétiques : ses composants sont présents dans les membranes cutanées, il ne s'agit donc pas d'éléments toxiques pour la peau.

Enfin, pour 1 %, l'huile de palme est utilisée dans les agrocarburants. J'insiste toutefois sur le fait que ce n'est pas le propos de cette note de développer ce sujet en tant que tel : il pourrait faire l'objet d'une note à part entière. L'usage de l'huile de palme dans les carburants pose néanmoins une difficulté du fait de sa progression rapide. Les instances de l'Union européenne ont pris position contre cet usage en raison des risques environnementaux qui peuvent l'accompagner. Je dois ajouter que le palmier à huile présente un rendement très important, outre son rythme de récolte très rapide. Cela explique que, malgré le coût et l'impact carbone, du fait de son transport indispensable puisque le palmier à huile est cultivé uniquement en zone tropicale, l'huile de palme est un produit très compétitif. Aussi, malgré une taxation à l'importation très sensiblement supérieure à celle d'autres huiles végétales produites en Europe, son prix de base au départ est tellement faible que l'écart de taxation ne suffit pas à égaliser les prix, taxes comprises.

La question plus spécifique du lien entre déforestation et culture des palmiers à huile est apparue très complexe. Après avoir interrogé des scientifiques, notamment des chercheurs du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), des ONG présentes sur le terrain, l'UICN (Union internationale de conservation de la nature), je suis parvenue à la conclusion que nous disposons à l'évidence d'éléments d'observation sur le terrain, avec une histoire passée extrêmement sévère, qui a conduit à une déforestation très importante en particulier en Asie du Sud-Est où se concentre la production d'huile de palme. Il faut toutefois souligner l'enchaînement qui a conduit à la déforestation : c'est principalement l'exploitation du bois précieux qui a initialement conduit à détruire la forêt primaire, et une fois celle-ci dégradée, ce qui est irréversible, les terres ont été éventuellement utilisées par des exploitations minières, et seulement enfin, par des monocultures dont le palmier à huile. Avant le palmier à huile, il a pu y avoir également des plantations de caoutchouc. En tout état de cause, la déforestation est ancienne et sa progression massive date des années 70.

Aujourd'hui, demeure un phénomène de dégradation de forêts primaires sur ce qu'on appelle des « fronts pionniers » – notamment en Papouasie-Nouvelle-Guinée de façon intense, ainsi que sur Bornéo – mais on ne convertit pas habituellement une forêt primaire directement en palmeraies, d'après ce que les chercheurs nous ont indiqué. Cela explique les contre-arguments qui peuvent parfois être opposés, consistant à dire que le palmier à huile ne dégrade pas la forêt primaire puisque elle était déjà dégradée auparavant. Avec le cycle de 25 ans évoqué précédemment, il s'agit maintenant parfois aussi de replanter des palmiers sur des plantations préexistantes. Par ailleurs, des palmiers à huile ont aussi pu être plantés sur des zones non forestières.

Pour ce qui concerne les données quantitatives, entre 1972 et 2015, 47 % de la forêt primaire de Malaisie a été déforestée au profit du palmier à huile. Pour l'Indonésie, entre 1990 et 2005, sur les 21 millions d'hectares de forêt primaire détruits, 3 millions d'hectares de forêts primaires ont été déforestés pour planter des palmiers à huile, et sur Bornéo, 30 % des forêts détruites ont été remplacées par des palmeraies.

Nous connaissons tous les conséquences sur l'empreinte carbone et sur la diminution de la biodiversité qui résulte de la destruction de la forêt primaire. C'est pourquoi les acteurs de la filière des biocarburants qui utilisent l'huile de palme considèrent qu'ils ne déforestent pas, puisqu'ils utilisent de l'huile de palme produite dans des palmeraies qui produisaient déjà de l'huile de palme alimentaire. Ils oublient cependant la fin du raisonnement qui est que, une fois que les productions alimentaires ont été chassées, elles vont se développer ailleurs car la demande alimentaire mondiale est relativement rigide, ce qui conduira à de nouveaux fronts. C'est donc avec une certaine circonspection qu'il convient de prendre en considération ces arguments apparemment raisonnables.

En termes de bilan carbone, il faut également évoquer l'impact direct de l'élaéiculture sur le réchauffement climatique, puisque, dans l'exploitation d'une palmeraie, certains traitements génèrent des rejets liquides producteurs de méthane de façon assez intense.

Je conclurai cette présentation par le sujet de la labellisation de l'huile de palme. La labellisation est une manière intéressante pour les producteurs de démontrer leurs efforts, mais il n'existe pas aujourd'hui véritablement de labels pour l'élaéiculture, qui aient la même portée que notre label Bio en France. Les labels dans le domaine de l'exploitation du palmier à huile concernent les modes de production et non les méthodes de production, ce qui constitue une nuance importante. Le label dominant, qui a le mérite d'exister, a été mis en place par plusieurs parties prenantes, parmi lesquelles des ONG de défense de l'environnement, mais aussi des industriels exploitant l'huile de palme. Il est aujourd'hui tout à fait insuffisant, ne serait-ce que parce que les petits producteurs n'y sont pas associés, d'autant que le coût de la labellisation est à leur charge. Telle que la labellisation est pratiquée principalement, il lui manque par ailleurs l'exigence de traçabilité complète du produit et pour y parvenir, il conviendrait maintenant de collecter des données supplémentaires sur le lien précis entre l'exploitation du palmier à huile et la déforestation pour disposer d'arguments de poids face aux pays producteurs. Les ONG notamment font un travail important en la matière et je voudrais souligner que WWF ou l'UICN insistent sur la nécessité de former et d'informer les populations locales pour qu'elles soient plus attentives à la protection de leurs droits fonciers et à la préservation de l'environnement. Nous devons être acteurs de l'accompagnement de ces organisations.

En conclusion, j'insisterai sur le fait que, si nous manquons de données certaines, l'OPECST est dans son rôle en veillant à ne pas laisser l'émotion s'emparer du sujet.

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