Intervention de Général François Lecointre

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées :

En ce qui concerne la coopération franco-allemande dans le cadre des travaux relatifs au SCAF, je dois dire que les sujets de nature industrielle ne sont pas de mon ressort – je suppose que vous avez posé la même question au délégué général pour l'armement (DGA). Lorsque nous avons lancé les travaux l'an dernier, ou au début de cette année, nous avions une vision assez positive et optimiste de la situation : il nous semblait que des accords industriels avaient été passés très vite, notamment entre Dassault et Airbus. Les questions qui se posent sont de savoir quelle sera la participation d'autres industriels à ce projet, qui est extrêmement complexe, et surtout quelle est la vision allemande – elle semble varier, en effet, selon les déclarations des responsables politiques et des industriels.

Je n'ai pas de réponse concrète à vous faire aujourd'hui sur le cadre précis qui permettra d'établir une coopération franco-allemande. Vous savez, néanmoins, qu'une lettre d'intention a été signée par les deux ministres et que des travaux importants ont commencé du côté français. Ils sont d'une nature très conceptuelle à ce stade, mais ils vont permettre de définir les études à mener, et nous avons des budgets pour les lancer. La CSP serait peut-être un moyen de définir un cadre précis mais je pense qu'il faut commencer par avancer suffisamment en binôme avant d'élargir le cercle à d'autres partenaires – nous sommes d'accord avec les Allemands sur ce point.

Avons-nous une fenêtre relativement étroite pour établir un cadre permanent, notamment en ce qui concerne les échanges d'informations ? Il ne me semble pas qu'elle soit de si courte durée et que l'on doive éprouver, à ce stade, une inquiétude majeure. Des travaux ont lieu entre le DGA et son homologue allemand et je pense que nous avons encore quelques mois devant nous pour définir un cadre. La question se posera de façon plus aiguë au début de l'année prochaine.

Madame Mirallès, vous m'avez demandé quelle part des augmentations d'effectifs de 2019 irait aux opérations. Les 450 nouveaux postes se répartissent de la manière suivante : 47 pour la sécurité des emprises, 111 pour le renseignement, 129 pour le numérique, 45 pour le soutien aux exportations, 65 dans les unités opérationnelles, 15 pour la transformation du ministère. Soit à peu près la moitié pour les opérations. Au-delà de cet inventaire à la Prévert, la priorité va aux fonctions émergentes que sont le cyber et le renseignement, c'est-à-dire aux fonctions « connaissance et anticipation ». Nous devons rattraper un retard pris lors de la précédente loi de programmation, notamment dans le domaine du cyber. Cela ne concerne pas que les armées : il y a également un effort très net au sein de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et dans l'ensemble de l'État.

La difficulté ne consiste pas seulement à identifier les postes à créer : il faut aussi recruter des personnels ayant le bon niveau de compétence. Cela pose un défi particulier qui est de mettre en oeuvre, dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération militaire, un système suffisamment souple pour aller chercher les compétences là où elles se trouvent, éventuellement grâce à des contractuels et en imaginant des contrats d'officiers de réserve : il faudra assurer une rémunération d'un bon niveau dans des métiers dont nous avons absolument besoin, dans des domaines où l'on voit que la conflictualité augmente à très grande vitesse, et dans un contexte où les armées doivent assumer leur obligation de mettre en oeuvre une lutte informatique défensive, ce qu'elles font parfaitement.

Je suis plutôt satisfait que le SNU passe du côté du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse. C'est un grand ministère et je suis très admiratif du travail réalisé par M. Blanquer, qui s'est fortement impliqué sur la question du SNU et a eu des échanges nombreux avec les armées : il s'est notamment rapproché de notre ministre et de la direction du service national et de la jeunesse afin de voir ce que font les armées. Je voudrais rappeler que la mission première de celles-ci n'est ni d'assurer l'éducation des Français ni de créer une cohésion nationale, mais bien de défendre notre pays, bien qu'elles aient évidemment besoin qu'il y ait une cohésion nationale, et qu'elles puissent contribuer à l'inspirer. Il ne peut pas y avoir d'engagement légitime sans adhésion de la Nation, et vous avez naturellement tout votre rôle à jouer sur ce plan.

Il est vrai, néanmoins, que les armées ont développé des savoir-faire et des modes opératoires qui peuvent servir à donner à notre jeunesse une cohésion qui semble lui faire défaut. Le combat requiert, en effet, une très grande cohésion et une très grande discipline, qui est librement consentie. Si les armées ont développé un certain nombre de dispositifs, c'est parce qu'elles ont senti qu'elles avaient une certaine compétence en la matière et que ça leur permettait de rayonner et de se faire connaître de la jeunesse, en vue de faciliter le recrutement. Il y a ainsi le dispositif des Cadets de la défense, mais aussi le service militaire adapté, qui a été créé il y a un peu plus de cinquante ans pour l'outre-mer et que nous avons ensuite étendu au territoire national métropolitain. Les armées ont également été à l'origine de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), qui a longtemps été sous la tutelle de la défense. Il existe par ailleurs des préparations militaires qui permettent, dans les trois armées, à des jeunes gens susceptibles de s'engager ultérieurement d'apprendre les premiers rudiments du métier, afin de voir s'il est fait pour eux. Nous sommes très satisfaits de ces dispositifs : nous ne souhaitons pas les voir disparaître et la question de la participation des armées au futur SNU peut se poser dans ce cadre.

On sait aujourd'hui que le SNU comportera une première phase obligatoire, elle-même scindée en deux. Il y aura d'abord une formation de deux semaines qui fera appel à un encadrement spécifique, à la formation duquel nous pourrions être amenés à participer, pour partie. Il faudra que nous soyons capables de chiffrer précisément ce que cela représente, en précisant de quelle manière, en combien de temps et grâce à quels moyens nous pourrions former des moniteurs, des instructeurs ou des encadrants. Les armées pourraient également être concernées par la deuxième sous-phase qui correspondra à un engagement volontaire et au choix : on peut imaginer que cela se fasse dans le cadre des préparations militaires existantes, ce qui serait pour nous une occasion de les valoriser. Quant à la deuxième phase, qui ne fera appel qu'à des volontaires, à ma connaissance, elle pourrait permettre de recruter dans la Garde nationale les réservistes dont nous avons besoin et dont nous ne cessons de faire augmenter les effectifs et le nombre de jours d'engagement, en particulier dans le cadre de l'opération Sentinelle, mais pas seulement.

Je ne vois pas de risque que les armées ne prennent pas leur juste part dans le SNU, et je suis plutôt satisfait qu'elles ne soient pas les seules à en être chargées. Symboliquement, le fait que le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse prenne cette responsabilité me paraît une très bonne mesure. Comme la ministre l'a dit, nous sommes très attachés à ce qu'il y ait une véritable étanchéité entre les ressources de la LPM, dont nous avons absolument besoin pour reconstruire nos armées, et les moyens du SNU.

Je vais sans doute être un peu provocateur, mais l'utilité du SNU serait de mener une action de cohésion nationale et d'endurcissement, au sens où l'on redonnera du courage et des vertus héroïques à nos jeunes gens et où on leur fera prendre conscience que, dans le monde brutal qui s'annonce – l'observation du cadre géopolitique montre qu'il y a, en effet, une brutalisation du monde –, il faudra des vertus de cohésion nationale et d'engagement personnel qui dépassent l'individualisme marquant la jeune génération, celle qui l'a précédée et peut-être la mienne aussi. On voit bien le lien qui peut exister avec les armées et, de manière générale, la fonction militaire. J'ai tendance à penser que le ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse, en récupérant le SNU de manière très officielle, réaffirme qu'il a aussi cette ambition, ce qui me va très bien.

Je remercie M. Lainé pour sa question sur la capacité amphibie – vous savez que j'y suis très attaché, ayant été marsouin et ayant commandé un régiment des troupes de marine, puis la célèbre 9e brigade d'infanterie de marine. (Sourires) Des progrès ont été réalisés dans ce domaine au cours des dernières années. Avec ses trois bâtiments de projection et de commandement (BPC), l'armée française est celle qui est la plus en avance au plan européen : c'est elle qui possède les plus fortes capacités en la matière. L'amphibie repose sur des BPC mais aussi sur des systèmes d'état-major qui maîtrisent la doctrine d'action dans ce domaine, ce qui est sans doute le plus difficile. Il faut beaucoup d'entraînement et la définition d'une doctrine extrêmement précise afin d'éviter les conflits de périmètre qui se produisent lorsqu'il y a une rupture entre deux milieux et que le patron qui commande l'opération depuis un bâtiment doit passer la main à celui qui la commande à terre. C'est donc largement un sujet de commandement, et de systèmes d'information pour le commandement. Sur ce plan-là, nous avons aussi beaucoup progressé au cours des dernières années. Il y a ensuite la qualité de la force qui va débarquer, grâce aux engins de débarquement amphibie rapide (EDA-R) – ce sont des espèces de catamarans extrêmement modernes qui équipent nos BPC – et si possible grâce à des véhicules amphibies, même si, à la limite, le véhicule n'a pas besoin d'être amphibie, car l'EDA-R va jusqu'à la plage : il faut surtout que les véhicules aient des capacités de mobilité leur permettant de s'extraire de la plage, c'est-à-dire de passer du sable à la terre ferme. Tous nos programmes à venir répondent à ces exigences, notamment Scorpion, mais c'est aussi déjà le cas du programme de véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI). La capacité amphibie concerne, par ailleurs, la « troisième dimension » et les hélicoptères. Vous savez que ces derniers, notamment le NH90 et le Tigre, sont « navalisés » : les exigences de l'amphibie ont été prises en compte d'emblée, dès la conception des équipements.

Je ne vois pas de rupture de capacité se profiler en ce qui concerne l'amphibie, et je n'ai donc pas d'inquiétude. C'est un des domaines où nous avons aujourd'hui un très bon niveau, autant par identification d'un besoin que par saisie d'une opportunité : la commande du troisième BPC a, en effet, été une divine surprise pour la marine nationale. Nous avons, me semble-t-il, surclassé les Britanniques, dont les Royal Marines faisaient partie de nos principaux concurrents.

S'agissant des satellites, nous consacrerons 403 millions d'euros à la poursuite des programmes MUSIS, CERES et SYRACUSE IV en 2019, dans le cadre d'un effort portant sur les moyens de détection et de réaction, ainsi que sur ceux d'écoute et de communication. Un montant de 41 millions d'euros est également prévu pour la communication par satellites non durcie dans le cadre du programme « Besoins complémentaires en communications d'élongation, de projection et de théâtre » (COMCEPT) ainsi que du programme « Opération de modernisation des équipements GNSS des armées » (OMEGA).

Nous avons également lancé une réflexion sur la gouvernance de l'espace dont le général Lavigne vous a peut-être parlé. Cette réflexion est, pour le moment, interne aux armées car nous souhaitons définir une position avant de faire des propositions à la ministre. Vous savez que M. Trump a annoncé la création d'une armée de l'espace. S'agissant de la France, je n'en vois pas l'intérêt : il me semble assez naturel que l'armée de l'air soit le principal acteur dans ce domaine. Les évolutions attendues dans les prochaines décennies vont faire que l'armée de l'air, qui est aujourd'hui une armée d'aéronefs pilotés, va de plus en plus devenir une armée de pilotes de drones, même si elle gardera certainement des aéronefs pilotés, à un niveau qui reste à définir dans le cadre du SCAF. Il me semble logique que l'armée de l'air prenne une place de plus en plus importante dans la gestion de l'espace, l'action dans ce milieu et une future « guerre de l'espace », même si nous refusons l'arsenalisation de ce dernier. Nous sommes en train de réfléchir à la place qu'occupera l'armée de l'air en la matière, étant entendu que le niveau opérationnel et la conduite des opérations doivent évidemment demeurer à l'état-major des armées – c'est sa responsabilité première.

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