Comme les dernières questions ont porté sur le « savoir nager », je vais partager avec vous mon expérience, avant d'entrer en fonction, dans deux associations, pendant une dizaine d'années. À la fin de ma carrière de sportive, j'ai monté, petit à petit, une association qui s'intéressait à une cible dont ma fédération ne se préoccupait pas : les femmes après leur accouchement et les jeunes enfants. La fédération de natation s'était occupée des bébés nageurs ; mais lorsque l'enfant, entre trois et six ans, voulait aller dans un club, on répondait : « revenez quand il saura nager »... Il y avait donc un vide, et les parents ne savaient pas vers qui se tourner pour apprendre à nager à leurs enfants à cet âge. C'est un comble de la part d'une fédération qui est censée assurer un service public, à savoir apprendre à nager aux enfants.
Je me suis donc lancée à corps perdu dans une première association, puis dans une deuxième. Ma dernière association, qui s'occupait des familles, enfants et parents, comptait encore il y a deux mois 400 adhérents et n'avait aucune subvention. Elle répondait aux attentes des familles : apprendre à nager à leurs enfants et, à tout âge, vaincre l'aquaphobie et reprendre progressivement une activité physique douce. Cette association ne dépendait en rien de la fédération. Quand j'allais solliciter celle-ci, on me répondait : « Bravo pour votre projet, revenez plus tard »… Pour le dire autrement, « débrouillez-vous ! » La seule solution a été de me tourner vers d'autres associations locales, sportives ou culturelles, et de monter avec elles des produits innovants, des projets collaboratifs, toujours pour répondre aux attentes des habitants de ma ville, par exemple, garder les enfants pendant les vacances scolaires en dehors du centre de loisirs et proposer un mode de garde qui allie le culturel et sportif, en lien avec d'autres associations, qu'elles soient fédérales ou pas. Quand, par le hasard des choses, j'ai expliqué au Premier ministre ce que nous faisions pour éviter les noyades des enfants et des adultes, puisque c'était l'objectif de ces stages pendant les vacances et de mon activité au quotidien, il m'a indiqué que le ministère des sports avait engagé ce type de démarche, à savoir ne plus s'occuper uniquement des fédérations et des associations qui se consacrent au sport de haut niveau, mais intégrer une réflexion sur le sport pour tous, qui ne serait pas forcément géré par des fédérations et des associations.
Je comprends toutes les pétitions, vos remontées du terrain et dans les assemblées générales. C'est normal puisque, depuis huit mois, nous disons aux fédérations et aux associations qu'elles pourraient peut-être faire différemment, faire évoluer les modèles qu'elles offrent à leurs pratiquants, proposer des créneaux différents d'activités et cibler leur action sur d'autres publics. La préoccupation du ministère n'est pas uniquement l'accès au haut niveau ou l'obtention de 80 médailles aux Jeux – d'ailleurs, le Président de la République n'a jamais évoqué ce chiffre de 80 médailles. Bien entendu, la réussite aux Jeux olympiques et paralympiques est importante, ce n'est pas moi qui vous dirai le contraire. Organiser les Jeux sur notre territoire est une chance : nous allons tout faire pour les réussir et rapporter le nombre de plus élevé possible de médailles. Pour autant, ce n'est pas moi qui compterai les médailles, les médias s'en chargeront très bien. De toute façon, ces résultats dépendent des sportifs et des entraîneurs, pas de nous.
Quand je suis arrivée au ministère, ce travail avec les fédérations était déjà engagé. Mais l'idée n'est pas de prendre la place de tel ou tel organisme, comme on l'a dit tout à l'heure. Ainsi, l'INSEP ne sera pas du tout écarté, mais au contraire, se trouve au coeur des préoccupations de cette agence de haut niveau. L'INSEP va collaborer avec l'Agence, dans le cadre de la préfiguration qu'a commencée Claude Onesta pour le haut niveau et la haute performance. L'Agence va apporter une plus-value aux fédérations dans leur action pour le sport de haut niveau. Nous faisons donc confiance aux fédérations, aux entraîneurs et aux sportifs. Reste que la carrière du sportif, son double projet et sa reconversion n'étaient pas le souci principal des fédérations, je peux en témoigner, et Martin Fourcade dit la vérité. Les fédérations ont pourtant des fonds à ce titre, mais n'étaient pas très attentives à ces enjeux.
Aujourd'hui, nous voulons, dans le souci de réussir les Jeux, que l'on s'intéresse au sportif – et à l'entraîneur –, qu'il soit dans la fédération ou en dehors, par exemple s'il est parti s'entraîner à l'étranger. Chapeauter la partie « sport de haut niveau » des fédérations vise donc à réconcilier les uns et les autres, à mettre le sportif et son entraîneur au coeur du dispositif, à s'occuper de bien gérer leurs carrières, quels que soient les intérêts des présidents de fédérations, des directeurs techniques nationaux et des gestionnaires.
S'agissant du développement des pratiques, il faut bien identifier ce qui relève de la pratique à visée sportive, pour élargir la base des pratiquants. Il ne s'agit pas forcément de trouver les futurs champions des JO de 2024 ; on connaît déjà les sportifs « médaillables potentiels », ils se trouvent dans les pôles « espoirs » et nos filières de haut niveau, et les DTN connaissent parfaitement les sportifs à qui ils vont proposer de concourir en 2024. Il faut se donner les moyens de les accompagner, avec des cellules de recherche pour améliorer les performances et les matériels, une veille à l'international, c'est-à-dire des éléments spécifiques au très haut niveau. La partie du budget pour 2019 qui sera dédiée au haut niveau s'élèvera à environ 96 millions d'euros, soit un montant supérieur à celui qui a été notifié en 2018 dans ce domaine.
Le montant qui sera consacré par l'Agence au développement des pratiques, et qui ne sera donc pas dédié au haut niveau ni à la haute performance, s'établira à 196 millions d'euros. Cette somme de 196 millions d'euros correspond aux montants que distribuait déjà le CNDS, et que l'Agence continuera à destiner aux associations sur le terrain, auxquels s'ajouteront des crédits du programme 219.
Le mode d'attribution des financements va évoluer. Je reprends l'exemple des associations que j'ai créées. Pour obtenir des crédits du ministère, la seule voie qui s'offrait à moi était de proposer mon projet à la fédération de natation, pour que l'un de ses responsables l'érige en préoccupation nationale fédérale et obtienne du ministère les moyens nécessaires pour développer ce programme dans tous les clubs sur le territoire. J'ai essayé bien des fois, cela n'a pas marché. J'ai même tenté de devenir directeur technique national (DTN) de ma fédération pour porter ce projet, mais on m'a opposé une fin de non-recevoir au motif que la priorité était le haut niveau. L'autre solution aurait été de m'adresser au CNDS pour obtenir un financement. Mais le montage de dossiers, que ce soit auprès du CNDS, de la région ou encore du département, requiert beaucoup trop de temps, notamment pour une petite association. J'ai préféré essayer d'imaginer un autre modèle, d'autres activités, que de passer mon temps à remplir des dossiers.
L'Agence va aller chercher les projets dans les territoires : ces projets pourront être proposés par les fédérations si elles s'y sont investies, mais aussi par d'autres acteurs – ce pourrait, par exemple, être l'association que je dirigeais. L'Agence privilégiera des actions coordonnées. Ce n'est plus l'association qui se présentera seule, comme cela se faisait auprès du CNDS, mais plutôt un ensemble d'associations, de collectivités, de plusieurs acteurs qui proposeront un projet de plus grande envergure sur chaque territoire, dont on respectera les spécificités. Ce sera particulièrement le cas, bien sûr, pour les territoires carencés.
Il est certain que dans le Jura, les besoins sont différents de ceux identifiés en Ile-de-France, où les parents recherchent des solutions de garde et des activités permettant à leurs enfants d'apprendre à nager. Les problèmes de garde sont moins aigus dans le Jura, mais en revanche, les trajets peuvent être longs, et c'est plutôt dans les transports qu'il faut investir. On y trouve aussi nombre d'éducateurs qui ont deux diplômes, celui de moniteur de ski pour l'hiver, mais aussi un diplôme de natation, d'athlétisme ou de gymnastique, qu'ils utilisent peu, faute de projets mis en oeuvre au niveau local. Notre objectif est d'identifier les bonnes pratiques sur le terrain, dans chaque région, au sein du tissu associatif, fédéral et non fédéral, et d'essayer de les reproduire sur des territoires plus carencés.
Cela m'amène à la question des CTS, des personnels des services déconcentrés et des personnels mis à disposition des fédérations. Dans notre nouveau modèle, nous aurons davantage besoin de fonctions de conseil et d'assistance pour monter les projets dont je viens de parler. Les personnels ne pourront plus se contenter d'instruire les dossiers déposés au CNDS ; de nouvelles missions devront être définies. Le mode de gestion des CTS devra évoluer, pour récupérer les conseillers qui se consacraient au développement des pratiques, puisque ce développement se fera de façon transversale entre les fédérations d'une part, les territoires et les autres acteurs d'autre part. Il faudra les faire monter en compétences et les réaffecter sur de véritables missions de conseil et d'animation des territoires, et non plus seulement de contrôle et de gestion de dossiers. C'est là un vrai défi. Nous demanderons à certaines fédérations de rétrocéder une partie de leurs CTS.
Une mission d'inspection a déjà engagé un travail sur les missions des CTS, mais elle n'avait pas eu vent de cette lettre de cadrage, parue dans la presse de manière inopinée alors que c'était un document de travail interne. Il s'agit de propositions faites au ministère par Action publique 2022, comme à tous les ministères, pour nous mettre en mouvement. Mais notre conception du sport n'est pas celle qu'Action publique 2022 nous propose. Elle ne se résume pas à une agence qui gérerait le sport de haut niveau, tandis que le sport pour tous serait réservé aux territoires, sans intervention du ministère. Dans cette configuration, en effet, un ministère des sports deviendrait superflu – et c'est ce qu'Action publique 2022 propose. Au contraire, tout le travail engagé par Laura Flessel, et que nous poursuivons, vise à maintenir une continuité dans l'accès au haut niveau tout en s'investissant dans le sport pour tous.
Bien entendu, ce travail prend du temps, nécessaire à la mise en oeuvre de la transformation. De ce fait, vous rencontrez des acteurs mécontents, qui prennent à témoin des sportifs qui ne comprennent pas de quoi il s'agit. Pour ma part, j'ai déjà expliqué nos objectifs en tête à tête à Teddy Riner ou à Martin Fourcade. Et les différents présidents de fédérations, même ceux qui ne voulaient pas participer à la concertation au vu de leurs intérêts personnels, qui vont bien au-delà du sport comme bien commun de tous, et de leurs préoccupations électorales, même eux, donc, sont d'accord, lorsqu'on leur explique notre projet, pour aller vers le développement du sport dans les territoires, et sont prêts à nous accompagner.
Bien sûr, chacun souhaite avoir davantage de moyens financiers, moi y compris. Mais pourquoi avoir trois fois plus de crédits lorsque les actions proposées sur le terrain ne nécessitent qu'un tiers de cette somme ? Ce sont les fédérations qui ont proposé ces actions, ce n'est ni moi ni Laura Flessel qui les avons proposées. Si les fédérations avaient proposé des projets permettant de prétendre à un milliard d'euros de budget, nous aurions peut-être lutté pour obtenir cette somme. Mais l'argent inscrit dans le présent budget correspond aux projets qui sont développés dans les territoires et dans les fédérations.
La baisse de crédits que certains mettent en avant tient uniquement à la surévaluation du coût d'un dispositif visant à compenser les exonérations de charges sociales pour les arbitres et les juges. Lorsque l'on établit le budget de l'année suivante, le montant de la dépense sur ce poste n'est pas connu. Ce montant avait été surévalué en 2018, à 40 millions ; cette année, 20 millions sont inscrits, mais ces crédits ne seront peut-être pas utilisés en totalité. Dans ce cas-là, Bercy nous indique que les moyens supplémentaires peuvent être conservés si l'on a une action à financer. Pour ma part, lorsque je suis arrivée avec le projet « savoir nager », et que l'on m'a demandé d'évaluer le montant des crédits nécessaires, j'ai répondu qu'il était de 15 millions. Je n'allais pas demander 40 millions si mon projet ne correspondait pas à un tel budget ! Pour moi, un budget sincère signifie d'investir sur les projets que l'on souhaite mener.
Cela dit, je ne ferai pas ce travail toute seule. Je suis à l'écoute de tous. Que tous les parlementaires, quel que soit leur bord, qui veulent proposer des dispositifs sur leur territoire viennent en discuter avec nous. Le ministère souhaite reprendre la main et la nouvelle Agence ne fonctionnera pas sans lui. C'est bien moi, avec le préfigurateur, avec vous également, qui allons décider des axes stratégiques de financement.