L'avis qui m'a été confié porte sur le budget consacré à la recherche dans les domaines du développement durable et de la gestion des milieux et des ressources, qui se répartit, au sein de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », dite MIRES, entre plusieurs actions du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », du programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » et du programme 193 « Recherche spatiale ». Ce dernier augmentera en 2019 de 205 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) par rapport aux crédits votés pour 2018, pour s'élever à 1,82 milliard d'euros. Le programme 172 progressera également d'environ 118 millions d'euros en AE et 172 millions d'euros en CP, pour atteindre des dotations respectives de 6,84 et 6,94 milliards d'euros. Inscrites à 1,77 milliard d'euros en AE et 1,73 milliard d'euros en CP, les dotations du programme 190 n'augmenteront, quant à elles, que de 5,8 millions d'euros en AE ; elles reculeront même de 7,2 millions d'euros en CP.
On pourrait se satisfaire de cette situation qui traduit globalement de réels efforts financiers. Toutefois, il apparaît que ces renforts profiteront bien peu aux recherches portant sur la transition énergétique et le développement durable. Dans le contexte d'augmentation des taxes sur l'essence, il aurait pu en être autrement.
La seule évolution qui leur bénéficiera réellement est le renforcement de l'enveloppe allouée par le programme 172 aux appels à projets de recherche de l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui compte ces thématiques parmi ses priorités. Toutefois, les 33 millions d'euros d'AE supplémentaires ne sont pas spécialement fléchés, et le rebasage de 86 millions d'euros en CP couvrira surtout l'apurement des retards de versement des aides de l'agence.
La consolidation des dépenses de fonctionnement et d'investissement dans les grandes infrastructures de recherche, promise par le projet de loi de finances pour 2019, constitue à l'évidence un élément de sécurisation des opérateurs financés par le programme 172. Mais les crédits consacrés aux recherches menées dans le domaine de l'environnement au titre de l'action 18 stagneront. De leur côté, les crédits alloués aux recherches dans le domaine de l'énergie par l'action 17 augmenteront de 18 millions d'euros en AE et de 14 millions d'euros en CP afin, seulement, de renforcer la contribution française à de très grandes infrastructures internationales de recherche, particulièrement le réacteur thermonucléaire expérimental ITER de Cadarache.
S'agissant du programme 193, il faut noter que le renfort financier accordé sera intégralement consacré au rattrapage de la dette que la France a contractée auprès de l'Agence spatiale européenne (ESA). Ces prévisions permettront enfin à notre pays de respecter ses engagements, mais à la condition que le Gouvernement lève la réserve prise sur les crédits de cette année et renonce à en constituer une nouvelle l'année prochaine.
Quant au programme 190, consacré au développement durable et à l'énergie, le recentrage des subventions qu'il verse à l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN) pour les recherches dans les nouvelles technologies de l'énergie fera effectivement croître son enveloppe de 28 millions d'euros. Mais cela ne fera pas progresser les ressources mobilisées par l'institut sur ces sujets car, dans le même temps, le PLF pour 2019 ampute à nouveau ses moyens de 4 millions d'euros. Après un recul de plus de 25 % depuis 2010, les ressources propres de l'institut ne suffisent plus à compenser le manque à gagner. L'opérateur s'est trouvé en déficit opérationnel en 2017, et cela devrait se reproduire en 2018. Or, même revalorisée, l'enveloppe de 126 millions d'euros allouée en 2019 par le programme 190 aux travaux de l'IFPEN pour la recherche sur les nouvelles technologies de l'énergie ne couvrira même pas les dépenses que l'institut y consacre déjà.
J'y insiste : l'IFPEN ne pourra pas continuer sur cette trajectoire.
En sens inverse, le projet de loi de finances pour 2019 ramènera, au moins en apparence, l'enveloppe prévue pour les recherches du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dans le domaine des nouvelles technologies de l'énergie de 72 millions d'euros en 2018 à 51 millions en 2019. Et en parallèle, l'enveloppe consacrée à la recherche nucléaire civile augmentera de près de 28 millions d'euros entre les prévisions pour 2018 et celles pour 2019. Dans l'absolu, je suis convaincu de la nécessité de maintenir une recherche de pointe en ce domaine : le nucléaire est déjà une voie de production d'énergie décarbonée, comme l'a récemment rappelé le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Et s'il convient de soutenir activement le déploiement des autres sources d'énergie renouvelable, la France n'est pas en capacité de ramener la part du nucléaire dans sa consommation d'électricité à 50 % dès 2025. En attendant la réalisation de cet objectif, il faut que la recherche continue à améliorer et sécuriser toujours plus les technologies à l'oeuvre, et travaille à résoudre l'important problème de la gestion des déchets. En outre, une analyse plus fine montre que l'augmentation de 28 millions d'euros avant mise en réserve ne couvrira pas la réalité des besoins de financement du CEA en 2019.
Par ailleurs, je déplore que cette augmentation se fasse au détriment de l'enveloppe théoriquement dédiée aux investissements du CEA dans les autres énergies décarbonées. Certes, les dotations réellement versées les années précédentes n'ont jamais dépassé 52 millions d'euros, malgré une enveloppe affichée à plus de 73 millions. Au surplus, le CEA consacre à ces dépenses un budget bien plus substantiel, estimé à près de 164 millions d'euros en 2018 ; il a indiqué qu'il pense maintenir son effort financier dans le même ordre de grandeur en 2019.
II n'en reste pas moins que cette nouvelle ventilation des crédits alloués aux recherches dans l'énergie ne traduit pas vraiment les ambitions affichées par le Gouvernement en matière d'énergies alternatives.
La seule stabilisation des dotations ne me semble pas à la hauteur des défis posés par les dérèglements climatiques, dont les effets dévastateurs se multiplient ces dernières années.
En raison de ces différents choix décevants, je ne proposerai pas l'adoption des crédits des programmes 172, 190 et 193.
Outre l'examen de ces crédits, dans mon rapport j'ai souhaité approfondir deux thématiques : la contribution de la recherche publique française au développement des solutions en hydrogène pour la transition énergétique, et sa contribution à la construction d'une agriculture durable.
Ces travaux ont renforcé ma conviction que les nouvelles technologies de l'hydrogène peuvent apporter des solutions très efficaces pour le déploiement des énergies renouvelables et l'essor des mobilités durables. L'hydrogène est en effet la voie la plus prometteuse pour le stockage massif de longue durée, mais aussi pour les échanges de l'électricité produite par des sources par nature très intermittentes et éparpillées. L'hydrogène peut aussi être utilisé pour produire de la chaleur, en l'injectant dans le réseau de gaz naturel, ou encore comme carburant des véhicules fonctionnant à l'électricité produite par une pile à combustible. Cette technique permet de réduire la taille des batteries, qui seraient surdimensionnées dans le cas de transports lourds réalisant de grands trajets.
Mais aujourd'hui, l'hydrogène n'est encore utilisé dans notre pays que par quelques grosses industries et il n'est produit que par la méthode de vaporeformage d'hydrocarbures, qui est fortement émettrice de CO2. Une autre technique beaucoup plus vertueuse existe déjà, a fortiori si elle utilise une énergie décarbonée : l'électrolyse de l'hydrogène à partir de l'eau ; mais le coût de cette approche demeure prohibitif.
L'État français soutient des programmes de recherche sur l'hydrogène et ses divers usages depuis l'année 2005. Devant les progrès obtenus et les grandes potentialités de ce combustible, il a décidé d'accélérer le développement des nouvelles solutions. En juin dernier, le ministère de la transition écologique et solidaire a présenté un plan de déploiement de l'hydrogène pour la transition énergétique qui vise à encourager l'investissement des industriels français dans ces nouvelles approches en accompagnant financièrement les premières installations d'électrolyseurs dans les usines consommant de l'hydrogène.
L'ambition très pertinente de ce plan est de favoriser à la fois une décarbonation plus rapide de diverses activités et la création d'une filière française en levant les obstacles financiers et psychologiques aux investissements. En stimulant l'innovation, cette initiative portera ces déploiements à une échelle susceptible de diminuer les coûts. Toutefois, je relève que le Gouvernement avait promis 100 millions d'euros pour les appels à projets de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) en 2019. Or, seuls 70 millions d'euros seraient réellement fléchés à ce jour.
Mais ces nouvelles technologies et applications n'ayant pas encore atteint les niveaux de maturité et de développement souhaités, des actions de recherche et développement supplémentaires sont également nécessaires. Il faut s'attaquer aux verrous, imaginer de nouvelles solutions, qu'il s'agisse d'affiner les procédés de production d'hydrogène vert, d'évaluer les conditions de température et de pression envisageables pour son stockage, de pleinement maîtriser les risques que présente l'usage de l'hydrogène ou de développer une gamme de moyens de transport lourd utilisant ce carburant.
Pour ce faire, le Gouvernement se contente de maintenir ses financements, via l'ANR et l'ADEME, qui s'appuient, en autres, sur les programmes de démonstration des investissements d'avenir en cours. Heureusement, les grands opérateurs de la recherche publique concernés, le CEA, leader mondial dans la technologie très prometteuse de l'électrolyse haute température, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'IFPEN, se mobilisent plus que jamais, s'organisant pour gagner en efficacité. Contrairement à ce qu'il s'est passé pour le photovoltaïque, quelques grands groupes industriels s'associent également à ces travaux, convaincus que l'hydrogène est une voie d'avenir pour la transition énergétique, même si elle ne pourra en être la solution unique.
Afin d'obtenir des résultats probants, la chaîne de l'innovation a besoin de soutiens publics plus substantiels assurés sur plusieurs années. D'autres pays comme l'Allemagne sont davantage investis dans ce domaine.
Ma deuxième thématique était consacrée à l'accompagnement apporté par la recherche publique à notre agriculture. Les agriculteurs français sont en effet confrontés au défi majeur de révolutionner leurs méthodes culturales en seulement quelques années pour s'adapter aux interdictions présentes ou à venir de produits phytopharmaceutiques. Or, toutes les solutions de substitution ne sont pas encore parfaitement au point, ni opérationnelles ; et il demeure des impasses techniques pour certaines cultures.
La recherche publique française n'a pas attendu les ultimatums, donnés aux utilisateurs de néonicotinoïdes ou de glyphosate particulièrement, pour améliorer la mesure et l'évaluation des effets non intentionnels des produits chimiques actuellement utilisés. Il est indispensable que cette recherche fondamentale soit non seulement poursuivie, mais renforcée, car décideurs et professionnels doivent être en mesure d'évaluer l'innocuité des solutions alternatives avant d'y recourir.
La recherche s'est aussi attachée à développer et expérimenter de nouvelles approches grâce aux appels à projets de l'ANR, qui a apporté 57 millions d'euros entre 2008 et 2017, et au plan « Écophyto » par lequel ont été investis 62 millions d'euros depuis 2009. Le réseau des fermes « Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires » (DEPHY), avec l'appui technique de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), a permis de montrer la faisabilité et la crédibilité économique d'une réduction significative, voire de l'abandon des traitements chimiques par le recours à de nouvelles méthodes.
J'ai pu constater enfin que les grands opérateurs de recherche sont désormais investis dans l'objectif d'apporter un accompagnement et des solutions à la sortie des phytopharmaceutiques, notamment l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et l'INRA. Après avoir pris connaissance de leurs récents bilans portant sur les alternatives existantes aux produits à base de néonicotinoïdes ou de glyphosate, les deux organismes ont multiplié leurs travaux pour combler les manques ou accompagner l'émergence de nouvelles solutions.
L'État a par ailleurs décidé de compléter les moyens qu'il mobilise à travers le plan « Écophyto », l'ANR, les subventions des différents opérateurs concernés et le financement de grandes infrastructures, par un nouveau programme prioritaire de recherche du programme d'investissement d'avenir (PIA), intitulé « Alternatives aux phytosanitaires » et doté de 30 millions d'euros sur cinq à sept ans.
Il n'en reste pas moins que ces recherches demandent plusieurs années, parfois des décennies, pour donner des résultats opérationnels et fiables. Aussi vous dis-je mon inquiétude quant à la capacité à court terme de notre agriculture à renoncer aux traitements chimiques pour assurer la protection indispensable de ses cultures.