La préparation de l'avenir constitue l'une des priorités affichées dans le présent projet de loi de finances, notamment par le soutien apporté à la recherche et à l'innovation, et plus particulièrement aux innovations de rupture. Cette priorité trouve une traduction concrète dans les crédits budgétaires alloués à la recherche au sein de la mission que nous examinons aujourd'hui. Dans le prolongement de l'évolution engagée dans la loi de finances pour 2018, ces crédits augmentent de 2,2 %, en étant portés de 14,83 à 15,16 milliards d'euros, soit une hausse de plus de 330 millions d'euros. Dans le contexte budgétaire actuel, il s'agit d'un véritable effort, que je tiens à souligner.
Les moyens dévolus à l'Agence nationale de la recherche (ANR) sont nettement revalorisés, dans la lignée de l'augmentation déjà réalisée en 2018, ce qui permettra de poursuivre le redressement du taux de sélection des projets de recherche. Autre point important, la contribution à l'Agence spatiale européenne (ESA) est augmentée de 210 millions d'euros pour poursuivre l'apurement de la dette de la France à son égard.
Je voudrais souligner la nécessité de maintenir cet effort budgétaire en faveur de la recherche dans la durée, car nous sommes encore nettement en deçà de l'objectif que l'Europe s'était fixé en 2000 et a réaffirmé en 2013, c'est-à-dire consacrer 3 % du produit intérieur brut (PIB) aux dépenses de recherche, publiques et privées. En France, ces dépenses représentaient de l'ordre de 2,2 % du PIB en 2017. Leur part a connu un léger tassement depuis 2014.
J'évoquerai brièvement la valorisation de la recherche, qui constitue l'une des clés de la compétitivité des économies modernes. Dans un rapport de mars dernier, la Cour des comptes a dressé un bilan assez mitigé des nouveaux outils de valorisation mis en place à partir de 2010 dans le cadre du PIA, qu'il s'agisse des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), des instituts de recherche technologique (IRT), des instituts pour la transition énergétique (ITE) ou encore des consortiums de valorisation thématique (CVT). La Cour souligne notamment que la création de nouvelles structures, sans rationalisation de l'existant, a conduit à une forme de sédimentation des dispositifs et à des difficultés de gouvernance de l'« écosystème de la valorisation », qui est devenu très complexe. La Cour relève également que les premiers résultats de ces structures se sont révélés généralement en deçà des attentes. Elle a formulé plusieurs préconisations, notamment la mise en extinction des CVT et le resserrement des SATT et IRT, ainsi que le développement des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE).
Le Gouvernement a pris plusieurs mesures en la matière depuis la publication de ce rapport, ce qui montre la grande attention qu'il porte à la valorisation de la recherche et à la diffusion de l'innovation. Certaines structures ont été mises en extinction, notamment plusieurs CVT et la SATT Grand Centre, avec parallèlement la conduite d'évaluations des différentes structures. Le projet de loi PACTE comporte aussi plusieurs dispositions pour favoriser le passage entre recherche et entreprenariat, et propose également une réforme du dispositif de mandataire unique. Le présent projet de loi de finances prévoit une hausse de l'ordre de 15 % des crédits alloués au dispositif CIFRE.
Plus largement, le Gouvernement a engagé une politique ambitieuse en faveur de l'innovation, et plus particulièrement des innovations de rupture, avec la création du fonds pour l'innovation et la mise en place du plan « Deep Tech » confié à Bpifrance, en sus de l'installation d'un conseil interministériel de l'innovation.
J'en viens à la partie thématique de mon avis. J'ai choisi de m'intéresser au crédit d'impôt recherche (CIR), rattaché au programme 172, qui constitue la première dépense fiscale de notre budget – si l'on ne prend pas en compte le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), lequel va s'éteindre, remplacé par un allègement de charges sociales.
Le CIR constitue un dispositif fiscal emblématique, par son coût, de l'ordre de 6 milliards d'euros, par sa relative stabilité dans le temps, caractéristique relativement rare en matière fiscale, et par la place qu'il occupe dans le soutien public aux dépenses de recherche-développement des entreprises. Il représente à lui seul les deux tiers de ce soutien, qui atteint au total 0,4 % du PIB. Au fil de sa montée en charge, notamment après sa réforme de 2008, il a remplacé pour partie les aides directes à la recherche des entreprises.
Le CIR constitue un élément clé de la compétitivité de l'environnement fiscal français pour les activités de recherche et d'innovation, comme l'ont souligné tous mes interlocuteurs. L'un des points forts du CIR est sa neutralité à l'égard des projets de recherche développés par les entreprises, à la différence des dispositifs de subvention directe. Le crédit d'impôt est égal à 30 % des dépenses de recherche engagées.
Par ailleurs, le CIR comporte un volet « innovation », intitulé crédit d'impôt innovation (CII), réservé aux PME, et dont le taux est ramené à 20 %.
Je me suis efforcé dans mon rapport d'apporter des données chiffrées sur les entreprises bénéficiaires du CIR et du CII, sur leur taille et leur secteur d'activité. Je me bornerai à indiquer ici que les PME bénéficient d'un tiers de la créance fiscale, un autre tiers étant absorbé par les entreprises entre 250 et 5 000 salariés. Les très grandes entreprises, au-delà de 5 000 salariés, représentent le dernier tiers.
L'un des enjeux centraux du CIR est bien sûr l'évaluation de son impact. Un grand nombre de travaux et de rapports ont été conduits, mais ils concluent généralement à la difficulté à évaluer précisément l'efficacité du CIR, notamment pour des raisons méthodologiques, avec la nécessité d'identifier ex post des dépenses de recherche qui n'auraient pas été réalisées sans le CIR et d'établir un scénario contrefactuel. Un consensus se fait jour néanmoins sur un effet d'additionnalité du CIR. Pour chaque euro de CIR versé aux entreprises, on observe une augmentation de leur effort de recherche-développement d'un euro en moyenne. En revanche, l'on n'observe pas d'effet de levier ou d'effet multiplicateur sur les dépenses de recherche-développement privées. Plusieurs études sont en cours de finalisation sur le CIR et la mesure de son impact, notamment au sein de France Stratégie. Nous devrons être attentifs à leurs conclusions.
Le deuxième enjeu est la mesure des effets du CIR sur l'emploi des chercheurs et des jeunes docteurs. Là encore, il n'existe pas d'éléments statistiques précis sur le nombre d'emplois de chercheurs soutenus par le CIR. L'on observe simplement que le nombre de chercheurs en entreprise a crû de façon continue depuis 2008, pour atteindre 226 000 en 2015. Un nombre croissant d'entreprises recourt également au dispositif « jeunes docteurs », qui consiste à doubler le salaire pris en compte pour le calcul du CIR lors de l'embauche d'un jeune docteur, pendant les deux premières années. Je rejoins donc la préoccupation de ma collègue Amélie de Montchalin de mieux mesurer l'effet du CIR sur l'emploi des chercheurs, en demandant aux entreprises qui bénéficient du CIR, au-delà d'un certain montant, de donner des indications sur leur politique d'embauche à l'égard des chercheurs et docteurs. Un amendement a été déposé à cet effet en seconde partie du projet de loi de finances, sur les articles non rattachés.
Enfin, j'ai souhaité m'intéresser à l'appropriation de l'outil du CIR par les entreprises, notamment les PME. Plusieurs des personnes que j'ai auditionnées ont souligné que les PME s'étaient « décomplexées » en matière de CIR et de CII et qu'elles manifestaient une réelle appétence pour ces outils fiscaux. Néanmoins, il m'a également été indiqué que les petites entreprises pouvaient rencontrer des difficultés pour apprécier l'éligibilité de leurs dépenses au CIR, car elles ne disposent pas forcément de l'expertise juridique nécessaire, à la différence des grandes entreprises, notamment pour faire la distinction entre dépenses de recherche et dépenses d'innovation. Cela peut conduire à des réticences de la part des PME, de peur de connaître un contrôle fiscal et de devoir rembourser le crédit d'impôt, éventuellement plusieurs années après l'avoir perçu. À noter que le montant des redressements au titre du CIR est relativement limité au regard de la dépense fiscale, oscillant entre 200 et 270 millions d'euros par an au cours des dernières années.
Il est pourtant essentiel que les PME s'approprient le CIR et le CII, alors même que ces entreprises sont les plus à même de développer et de faire vivre des innovations de rupture, essentielles pour positionner notre économie sur des secteurs de haute technologie.
J'ai d'ailleurs constaté que, paradoxalement, les outils mis à la disposition des entreprises, notamment des PME, pour vérifier l'éligibilité de leur demande de CIR, sont très peu utilisés. Le nombre de rescrits demandé au titre du CIR est inférieur à 300 par an, ce qui est très peu, rapporté au nombre d'entreprises qui bénéficient du CIR et au nombre de rescrits demandés dans d'autres domaines.
À cet égard, on peut penser que les entreprises ne sont pas incitées à demander un rescrit par les cabinets de conseil, qui n'ont pas intérêt à voir leur marché s'assécher en cas de réponse négative de l'administration sur l'éligibilité d'un projet. Sur ce point, il a été indiqué à plusieurs reprises que certains cabinets de conseil pouvaient se montrer « pousse-au-crime » en incitant les entreprises, notamment les PME, à demander le bénéfice du CIR, alors même que les dépenses concernées n'y étaient pas éligibles. Un dispositif de référencement des cabinets de conseil a été mis en place en 2016, sous l'égide du Médiateur des entreprises, à Bercy. Il serait utile que les délégations régionales à la recherche et à la technologie (DRRT) se voient confier une mission de signalement des cabinets de conseil défaillants auprès du Médiateur, pour qu'ils soient déréférencés le cas échéant.
Sur ce point, les moyens dévolus aux DRTT sont relativement restreints. Celles-ci jouent un rôle d'expertise en matière de CIR, avec l'élaboration de rescrits et l'appui apporté à l'administration fiscale dans le cadre de ses contrôles. Les DRRT coordonnent et animent également les politiques de recherche et d'innovation au plus près des territoires et des entreprises. Lors de l'examen des crédits, je vous proposerai un amendement visant à accroître leurs effectifs, aujourd'hui limités à une centaine d'emplois dans les dix-sept DRRT.