Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice et le projet de loi organique qui l'accompagne traduisent un engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne électorale de 2017.
Le Président de la République entendait faire de la justice une priorité. Cet engagement a été renouvelé par le Premier ministre au moment de sa déclaration de politique générale en juillet 2017. Il répond à un constat ancien, clair et partagé : la société française se transforme ; l'État redéfinit ses missions ; les services publics se modernisent et, évidemment, celui de la justice n'échappe pas à ces mutations.
Pour rendre le meilleur service possible aux citoyens et aux justiciables, la justice doit donc se renforcer et s'adapter. Pour se renforcer, il lui faut des moyens. Nous devons ici rattraper un retard cruel et le Gouvernement répond à cette nécessité en décidant de consacrer un budget très important à la justice. Si cette augmentation budgétaire est nécessaire, elle ne saurait, à elle seule, suffire à répondre aux défis qui sont devant nous.
Le monde change et la justice aussi. Comment pourrait-il en être autrement puisque la justice est en prise avec tous les aspects de la société et qu'aucun secteur ne lui échappe ? Pour se renforcer, la justice doit donc aussi se réformer en s'adaptant aux besoins actuels des justiciables. Mon ambition est très simple et, à certains égards, elle peut paraître modeste mais je la crois essentielle : je souhaite que les Français se sentent écoutés, protégés, pris en considération par leur justice. J'ai la conviction profonde que la justice sera plus crédible si elle est plus compréhensible pour les citoyens et si elle apporte des solutions en temps utile aux problèmes quotidiens qu'ils rencontrent. C'est cette conviction qui donne au projet que je porte ses caractéristiques propres et son contenu ambitieux.
Quelles sont les caractéristiques de ce projet ? Trois traits caractérisent cette réforme : elle est globale et concrète ; elle a été construite pour le justiciable ; elle consacre des moyens importants à la justice.
Dès mon arrivée à la chancellerie, j'ai fait le choix d'une réforme globale – ce qui peut lui donner un aspect très hétérogène – et concrète. Elle est globale car le texte qui vous est proposé conjugue à la fois des moyens – c'est une loi de programmation pour la justice – et des évolutions relatives aux procédures, aux méthodes et à l'organisation – c'est une loi de réforme pour la justice. Elle est concrète car elle s'appuie de manière pragmatique sur des propositions qui sont venues du terrain, dans le respect de principes indépassables comme la garantie des droits. Je n'ai pas répondu à des considérations idéologiques dont notre justice a parfois souffert dans le passé. J'ai eu la volonté de mettre en action des principes qui auront un effet direct et rapide sur la justice au quotidien.
La deuxième caractéristique de cette réforme est d'avoir été construite avec les acteurs et pour le justiciable. J'ai organisé des consultations, les chantiers de la justice, d'octobre 2017 à janvier 2018. Ces consultations ont permis d'entendre tous les acteurs et de faire remonter des propositions issues du terrain. Des concertations ont ensuite été menées avec toutes les parties prenantes. J'ai bien sûr voulu écouter les propositions, comprendre les arguments et y répondre, mais sans jamais abandonner mon ambition initiale pour la justice.
Une réforme suscite toujours des réactions, surtout dans notre pays. Certains expriment des craintes face au changement, d'autres ont des aspirations nouvelles. Ces craintes et ces aspirations sont loin d'être toujours convergentes, selon que l'on se place du point de vue des avocats, des magistrats, des élus. Je le redis ici avec une grande clarté : cette réforme n'a pas pour vocation de faire la part belle à tels ou tels acteurs de notre système juridique, à telle ou telle profession. Elle ne néglige ni les points de vue ni les intérêts de chacun mais elle entend surplomber ces intérêts singuliers en suivant une seule boussole : l'intérêt du justiciable, c'est-à-dire l'intérêt général. C'est dans cet état d'esprit que j'ai présenté les deux projets de loi au Sénat et que je suis aujourd'hui devant vous.
La troisième caractéristique de la réforme est de consacrer des moyens à la justice. Il s'agit d'une priorité gouvernementale. Nous avons besoin de moyens pour investir, recruter et pour assurer une justice de qualité. C'est tout l'intérêt d'une loi de programmation sur cinq ans : elle offre une visibilité indispensable. Les moyens mis en jeu sont tout à fait considérables. Une première étape a été franchie avec la loi de finances pour 2018 qui avait permis d'obtenir une hausse du budget de 3,9 % et la création de 1 100 emplois. Une deuxième étape est intervenue avec le budget pour 2019, que je vous ai présenté la semaine dernière : l'augmentation de nos moyens s'accélère avec une hausse des crédits de 4,5 % et la création de 1 300 emplois.
Dans le projet de loi de programmation qui vous est soumis, il est prévu des moyens dont l'importance doit être mesurée à la hauteur de la discipline budgétaire à laquelle le Gouvernement s'astreint par ailleurs. Le budget de la justice augmentera ainsi de 1,6 milliard d'euros en cinq ans, passant de 6,7 à 8,3 milliards d'euros hors pensions, c'est-à-dire à 9 milliards d'euros avec les pensions, ce qui représente une hausse de 24 %. Durant cette loi de programmation, nous engagerons 6 500 recrutements. On peut toujours vouloir plus et proposer des chiffres encore plus élevés – cela a d'ailleurs été la position du Sénat – mais on ne peut pas s'abstraire du contexte financier et budgétaire global auquel le Gouvernement s'astreint. Il ne faut pas nier le caractère positif et volontariste de la mise en jeu de tels moyens au service de la justice.
De l'utilisation de ces moyens, on peut attendre une amélioration des conditions de travail des magistrats et des personnels, une résorption des vacances de postes et la possibilité de constituer des équipes autour des magistrats. Ce budget va aussi nous permettre de passer de l'ère de l'informatique à celle du numérique. Il s'agit pour moi d'un axe absolument stratégique. C'est le défi qu'il nous faut relever pour que la justice soit vraiment à la hauteur de l'attente des justiciables. À cette fin, nous allons engager plus de 500 millions d'euros dans cette révolution numérique.
Ces moyens se déploieront naturellement dans le secteur pénitentiaire avec la construction de 15 000 places de prison, dont 7 000 seront livrées et 8 000 engagées d'ici à 2022. Le texte propose des dispositions qui permettent d'accélérer la construction des établissements pénitentiaires par l'allégement de certaines procédures. Le projet de loi de programmation prévoit aussi la création de vingt centres éducatifs fermés qui constitueront l'une des réponses envisageables, parmi une gamme de propositions, à la question des jeunes mineurs délinquants.
Au-delà des moyens, ce projet de loi est d'abord un texte de réforme, comme le Conseil d'État l'a fortement souligné dans son avis. Son contenu ambitieux se décline autour de six axes.
Le premier axe s'attache à la procédure civile qui concerne la justice de tous les jours, celle de la vie quotidienne, qui est parfois peu spectaculaire et pourtant essentielle. Mon projet est simple : il faut simplifier les procédures, faciliter la vie des gens, recentrer le juge sur son coeur de métier tout en maintenant une justice humaine, protectrice et proche des justiciables. Autrement dit, nous voulons une justice de meilleure qualité et les dispositions du projet de loi vont dans ce sens.
La simplification des procédures passe, par exemple, par la réduction des modes de saisine de la juridiction civile, ou par une procédure de divorce plus fluide qui permette de diviser par deux la durée des divorces contentieux qui dépasse actuellement deux ans. J'insiste sur ce point parce qu'il est emblématique de ce que je souhaite pour la justice. Le divorce est parfois le premier contact de nos concitoyens avec la justice. On a longtemps considéré que la procédure devait durer un certain temps devant les juridictions pour être certain que, finalement, le mariage ne pouvait pas être sauvé, si vous me permettez ce terme. En conséquence, nous avons des procédures inadaptées aux préoccupations actuelles de nos concitoyens qui souhaitent que leur situation soit rapidement clarifiée et stabilisée. Cette volonté de rapidité ne signifie pas que nous allons sacrifier les procédures protectrices, surtout dans des matières où demeurent de fortes inégalités entre les femmes et les hommes et où des enfants sont parfois impliqués. C'est pourquoi je propose de réformer, d'élaguer les formalités et les procédures inutiles, tout en maintenant les mesures protectrices.
Il faut aussi faciliter la vie des gens en supprimant des formalités inutiles. En matière de protection des majeurs vulnérables, il est possible de procéder à de telles simplifications, tout en renforçant les droits des personnes concernées. J'étais hier avec ma collègue Sophie Cluzel dans un établissement qui accueille des majeurs sous protection, et nous avons bien compris l'importance qu'il y avait pour eux à ce que des initiatives soient prises concernant leurs droits fondamentaux, notamment l'exercice de leur droit de suffrage. Ces initiatives rejoignent celles qui seront d'ailleurs prises par le groupe La République en Marche. Pour ces personnes, nous souhaitons aboutir à un équilibre entre dignité et protection.
Pour plus de simplicité, la dématérialisation des petits litiges du quotidien me semble aussi être une voie à explorer et une faculté nouvelle à offrir à nos concitoyens. La dématérialisation des injonctions de payer, par exemple, permettra d'obtenir plus rapidement une ordonnance. Faciliter la vie des gens, c'est aussi permettre aux personnes qui sont séparées d'obtenir rapidement la revalorisation de leur pension alimentaire sans devoir suivre nécessairement les méandres de procédures judiciaires qui sont trop lentes. Nombre de femmes sont concernées par cette situation. C'est pourquoi nous proposons d'expérimenter un dispositif qui a fait ses preuves dans d'autres pays, tout en maintenant un recours possible devant le juge.
Il faut aussi recentrer le juge sur son coeur de métier. Cela nécessite, me semble-t-il, de développer les procédures de règlement amiable des différends. C'est ce que nous proposons. Cela suppose que nous prenions en considération les outils nouveaux que sont les plateformes juridiques, mais en les encadrant par un haut niveau de garantie pour les utilisateurs. Là encore, l'adaptation à notre monde est une évidente nécessité, mais nous ne voulons pas la faire à n'importe quel prix.
Pour assurer une justice de meilleure qualité, nous allons proposer d'étendre le périmètre de la représentation obligatoire par un avocat dans le cas de contentieux complexes. La mesure ne s'appliquera pas aux litiges inférieurs à 10 000 euros. Grâce à ces mesures et à de nombreuses autres que je ne peux pas ici détailler, l'expertise de l'avocat sera plus fine et mieux dirigée dans l'intérêt du client. Le juge sera recentré sur son office, son travail s'en trouvera facilité car la résolution de tous les litiges ne passera plus nécessairement par lui. Il existe en effet d'autres voies pour pacifier et responsabiliser notre société.
S'agissant de la procédure civile, je dois constater que le Sénat est revenu sur bon nombre des mesures proposées en les vidant bien souvent de leur substance. Je regrette vraiment les préventions du Sénat quant au recours au numérique et à la dématérialisation. Ces préventions, je dois l'avouer, m'ont étonnée. En réalité, ces mesures liées au numérique ou à la dématérialisation constituent un grand progrès si les garanties nécessaires sont apportées et si la justice demeure toujours humaine, c'est-à-dire si le contact entre le justiciable et les services judiciaires reste toujours et partout possible. C'est le cas dans le projet que je vous propose et il ne saurait en aller autrement. Pour ma part, je ne souhaite pas renoncer à l'ambition initiale de cette réforme. J'ai déjà eu l'occasion de dire que le statu quo n'était pas acceptable et je sais que votre rapporteure, Mme Laëtitia Avia, partage mes préoccupations.
Le deuxième axe de la réforme concerne la procédure pénale. Je ne veux pas céder au grand soir de la procédure pénale et aux fantasmes qu'il peut générer. J'ai voulu construire des solutions pratiques, nées des constats issus du terrain, grâce au travail effectué en commun avec le ministère de l'intérieur pour la phase de l'enquête. La procédure pénale s'est complexifiée au cours des dernières années, à l'occasion des réformes qui se sont succédé parfois sans cohérence. Cela nuit à l'action des enquêteurs et de l'autorité judiciaire.
Parallèlement, nous devons constater que la criminalité prend des formes nouvelles qui imposent plus de réactivité et de simplicité dans l'action. J'y insiste : nous devons être plus agiles pour mieux protéger les Français. Je tends à plus d'efficacité tant pour les justiciables que pour les acteurs de la justice, et cela sans sacrifier la garantie des droits. Pour le coup, l'expression « en même temps » prend ici tout son sens : efficacité et en même temps garantie des droits.