La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a fait l'objet d'une longue concertation, depuis maintenant plus d'une année. Elle a été lancée par les cinq chantiers de la justice, qui en forment en quelque sorte l'architecture, l'impulsion – vous avez rappelé, madame la garde des Sceaux, à quel point les parties prenantes avaient été associées. Force est d'ailleurs de constater que le texte tient d'ores et déjà compte d'un certain nombre de ces concertations.
Au plan pénal, ce n'est pas une énième loi de circonstance, tant s'en faut ; il s'agit bien d'une ambition forte, actuelle, moderne pour notre justice. Même si cinq textes importants ont été votés ces quatre dernières années, le chantier de la réorganisation de notre justice est encore loin d'être achevé.
Notre protection contre le terrorisme et le crime organisé doit encore et toujours être améliorée. Elle suppose une véritable modernisation des outils à disposition des forces de sécurité, pour éviter tout décrochage avec des pratiques de plus en plus diffuses des auteurs, sous-tendus par une idéologie de violence et de mort.
C'est pourquoi le projet de loi comporte des dispositions relatives aux techniques spéciales d'enquête, aux interceptions et à la géolocalisation, ainsi qu'au parquet national antiterroriste. En outre, cette protection nécessite l'amélioration du circuit de prise en charge des victimes, ainsi que de l'indemnisation de leur préjudice, de plus en plus difficile à évaluer – ce qui explique la présence de dispositions relatives au juge de l'indemnisation du préjudice corporel des victimes d'actes de terrorisme (JIVAT), les tribunaux parisiens devenant seuls compétents en matière d'indemnisation des victimes du terrorisme.
Mais la perception qu'ont les Français de la justice ne s'arrête pas, fort heureusement, au terrorisme. Ils réclament aussi des réponses pénales face à la délinquance du quotidien : des réponses simples, lisibles, rapides, adaptées aux circonstances et efficaces. Nous avons besoin d'une justice qui fonctionne, d'une justice accessible, équilibrée entre la nécessaire répression des comportements déviants – y compris les plus insignifiants – et la protection intime des libertés individuelles.
Les attentes des acteurs, professionnels de la justice, ne sont finalement pas différentes : l'efficacité du système, la pertinence des mesures, la modernisation des outils sont souhaitées et attendues.
C'est pour répondre à cette grande ambition que le titre IV du projet de loi engage une réforme structurelle de la procédure pénale, dont les dispositions se sont complexifiées au fil de l'adoption de différentes lois. Pour autant, il ne s'agit pas de la veille du grand soir de la révolution procédurale que certains pourraient appeler de leurs voeux !
La lecture attentive du projet de loi recèle de très nombreuses dispositions de nature à opérer ce changement attendu et à générer les simplifications dont les Français, tout autant que les professionnels, ont besoin : plainte en ligne, développement des amendes forfaitaires, recours au juge unique, mais aussi harmonisation des règles de procédure ou amélioration des cadres d'enquête.
Cette démarche pragmatique et efficace assurera l'accès à la justice – en particulier pour les victimes, tout en préservant les garanties des justiciables. Elle permettra en outre à ses acteurs de se recentrer sur leur coeur de métier.
Mais l'adaptation de notre arsenal procédural devra également s'appuyer sur un effort numérique conséquent. Vous l'avez rappelé il y a quelques jours lors de votre audition budgétaire, madame la ministre, ce virage permettra de potentialiser les dispositions du texte et de le rendre opérationnel. Un demi-milliard d'euros – que je vous proposerai par amendement de mieux flécher – devrait rapidement permettre l'établissement ou la conversion des pièces de procédure sous format numérique. Le dossier pénal sera ainsi entièrement dématérialisé et sécurisé, et la signature numérique unique possible. Cette simplification permettra aux forces de sécurité de pleinement apprécier l'évolution enclenchée.
Le titre V de la loi, consacré au sens de la peine, répond à des objectifs de même nature en renforçant la cohérence et l'efficacité des peines. Bien sûr, la détention reste une mesure indispensable de protection sociale, mais elle doit cesser d'être le socle et la référence de toutes les peines dans notre imaginaire collectif. C'est pourquoi l'échelle des peines est repensée pour que chacune d'entre elles puisse apporter d'égales garanties de protection sociale, de lutte contre la récidive et de réinsertion, dans le cadre d'une individualisation des peines qui prévaut et continuera à prévaloir dans notre droit.
Un esprit de responsabilité et de lucidité domine : arrêt des peines de très courte durée, dont la seule conséquence est d'accentuer la désocialisation des auteurs, quand elles ne leur offrent pas une formation accélérée en délinquance ; s'agissant des condamnations inférieures ou égales à deux ans d'emprisonnement, responsabilité pleine et entière du juge correctionnel qui prononcera initialement la peine, qui sera ensuite effectivement mise en oeuvre dans toutes ses dimensions, contrairement à la pratique actuelle – totalement incomprise par nos concitoyens ; mise en oeuvre de peines modernes et dynamiques, faisant réellement office de sanction, tout en n'obérant pas l'avenir du condamné et ses chances de réinsertion – c'est le sens de l'instauration au deuxième niveau de l'échelle des peines de la détention à domicile sous surveillance électronique, de l'évolution fondamentale du travail d'intérêt général et du renforcement de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Mais la clarté de la peine et son effectivité ne peuvent se concevoir sans leurs modalités matérielles et financières de mise en oeuvre. C'est le sens de votre programme ambitieux : construction de nouvelles places de prison, qui intègre la diversification des établissements pénitentiaires à laquelle vous avez fait référence ; construction d'une vingtaine de centres éducatifs fermés pour les mineurs ; augmentation des moyens techniques et humains consacrés à la chaîne judiciaire, tout à fait remarquable dans ce contexte de restriction budgétaire.
La loi de programmation répond pleinement à notre ambition d'une justice rénovée. Bon nombre de dispositions du projet de loi ont fait débat au Sénat et méritent d'être expliquées, reprises et sans doute encore amendées. C'est l'exercice de notre démocratie. Il se poursuivra devant notre assemblée et, au-delà de la technique parlementaire et des postures, les mille amendements déjà déposés devant notre Commission sont révélateurs de cette richesse.
L'évolution en profondeur de notre justice se fera en replaçant nos concitoyens – en particulier les victimes – au centre des préoccupations, en recentrant les professionnels sur leur coeur de métier, en simplifiant si possible les parcours d'accès à la justice, en clarifiant les responsabilités de ses acteurs, en apportant des réponses plus efficientes, tout en garantissant les libertés individuelles, dont les droits de la défense sont et restent le socle. C'est l'ambition de ce projet de loi. Nul doute qu'elle sera atteinte.