Ce projet de loi est très controversé. Il suscite de sérieuses inquiétudes, exprimées sans relâche par les professionnels du droit, magistrats et avocats, mais aussi associations et acteurs du monde pénitentiaire.
Je salue pour ma part la programmation budgétaire, jugée insuffisante par certains, mais qui offre une visibilité financière dont nous avions besoin.
En ce qui concerne la méthode, l'organisation en amont des chantiers de justice est à saluer, comme l'avait été la conférence de consensus mise en place par Mme Christiane Taubira. Il en est de même de la volonté d'apporter une réponse globale à une institution en souffrance, en traitant du budget mais pas seulement.
Le volet réglementaire est fondamental, veillons à ce que, dans les débats, nous puissions préciser les modalités de consultation des acteurs de justice en amont de ces textes, comme en amont des ordonnances.
Sur le fond, je tiens d'abord à rappeler que la simplification ne peut se faire au détriment de l'intérêt des usagers du service public de la justice. En tant que députés, nous devons veiller au maintien de l'accès aux juges et de l'accès au droit.
La dématérialisation peut, à terme, devenir un outil de proximité, en facilitant l'accès au droit et aux juges et à une décision attendue dans de courts délais. Mais nous devons impérativement prévoir des phases de transition et accompagner les plus vulnérables et ceux qui ne croient plus en la justice. La dématérialisation ne doit pas faire disparaître les interlocuteurs dont ont besoin les plus fragiles d'entre nous : nous devons tirer les enseignements de la dématérialisation ratée des permis de conduire et des cartes grises, et faire en sorte que les difficultés de compréhension pratique, les difficultés techniques ou économiques ne soient plus un obstacle entre le citoyen et la justice. Prévoyons pour cela, avec les services d'accueil unique du justiciable, un accompagnement humain compétent. D'autant que les crédits réservés à la numérisation – 500 millions d'euros sur cinq ans – sont à mon sens insuffisants, si l'on tient compte en particulier de ce qu'exigent la maintenance au quotidien, la formation mais aussi l'évolution permanente de la technologie.
En ce qui concerne la médiation, soyons attentifs au développement des plateformes : le droit marchand s'installe et fera payer aux justiciables plus que ne le fait le service public de la justice. Nous courons le risque d'une justice à deux vitesses : coûteuse et rapide pour les uns, lente et soumise à l'aide juridictionnelle pour les autres. D'une manière générale, nous devons être vigilants à ne pas mettre la justice hors les murs du tribunal, en installant un système de médiation qui retarderait l'accès au juge et découragerait les plaignants d'introduire un recours.
En matière de procédure civile, la question de l'aide juridictionnelle est centrale. Or son augmentation ne résulte actuellement que de la seule majoration légitime des unités de valeur des avocats, décidée en 2007. Son financement n'est pas assuré, il devra l'être.
En matière de procédure pénale, l'équilibre entre l'accusation et les libertés individuelles n'est pas au rendez-vous. L'autorité judiciaire doit exercer un contrôle qui ne peut être aussi réduit qu'il l'est dans le projet de loi. Le caractère intrusif des techniques spéciales d'enquête – écoutes téléphoniques, perquisitions – fait obstacle à leur banalisation, et nous sommes opposés à leur généralisation pour des infractions encourant une peine de prison de trois ans, même si nous devons trouver une solution pour l'enlèvement d'un enfant par l'un de ses parents.
En ce qui concerne les peines, nous regrettons un moratoire – que vous n'êtes pas la première à mettre en oeuvre, j'en conviens – qui reporte à treize ans l'objectif de l'encellulement individuel.
Ce texte s'inscrit dans la suite de ceux que nous avons votés sous le précédent quinquennat en ce qu'il fixe comme objectif l'efficacité et le sens de la peine, avec la volonté de sortir de cet affichage du « tout enfermement ». Mais des mesures contredisent cette volonté de limiter l'incarcération. En premier lieu, fixer le quantum de la peine permettant de bénéficier d'aménagements ab initio à un an au lieu de deux aura pour conséquence de rendre systématique l'exécution en établissement pénitentiaire des peines supérieures à un an, ce qui va à l'encontre de votre volonté salutaire de lutter contre la surpopulation carcérale.
En second lieu, ne pas vouloir faire de la peine de probation une peine à part entière est une occasion manquée d'amplifier l'objectif que vous vous êtes fixé de ne pas faire de l'emprisonnement la référence.
Très préoccupant, enfin, est, à notre sens, le hiatus entre la politique pénale telle qu'elle est envisagée et le manque de personnel, qu'il s'agisse des greffiers ou des conseillers d'insertion et de probation : majorer leur nombre comme vous le faites ne suffira pas à faire des solutions alternatives à l'emprisonnement une réponse de qualité et sécurisée.
Nous le voyons actuellement avec le cri d'alerte lancé par les juges des enfants du tribunal de Bobigny, qui ne parlent pas pour eux mais dénoncent précisément les mesures éducatives qu'ils ne peuvent pas mettre en place. Je crains fort que la loi que nous allons examiner conforte les magistrats dans leur opinion.