Intervention de Ugo Bernalicis

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 8h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Madame la ministre, vos propos, hier matin sur France Inter ou ici même, me font craindre que vous ne tombiez dans l'angélisme, dont je vous rappelle la définition : « Attitude spirituelle ou intellectuelle consistant dans le souci excessif de se conformer à un type idéal ignorant ou refusant d'admettre certaines réalités humaines ».

S'il me semble que vous êtes la plus angélique des ministres que nous avons eus, c'est notamment à cause de votre position sur le sens de la peine. De nombreuses études ont prouvé qu'être incarcéré était un facteur de récidive majeur : il y a environ 70 % de récidive pour ceux qui passent par la case prison. Votre angélisme en l'occurrence consiste à ne pas tenir compte de cette réalité humaine et à construire des places de prisons, quand une attitude rationnelle et raisonnable voudrait que l'on revoie le code pénal pour réduire le nombre de peines de prison prononcées.

L'idée de Mme Taubira de faire de la contrainte pénale une peine de probation autonome n'était pas une si mauvaise idée, mais vous la rejetez au motif qu'elle n'est pas suffisamment prononcée ! Pourtant, le taux de récidive chez ceux qui bénéficient de cette mesure est extrêmement faible. Mieux vaudrait donc élargir le champ d'application de cette mesure plutôt que de la remplacer par un sursis avec mise à l'épreuve, certes amélioré mais qui n'écarte pas l'emprisonnement.

J'ai donc le sentiment d'être dans un univers orwellien, où les mots ne veulent plus rien dire : il faut que ceux qui doivent être en prison soient en prison, avez-vous dit tout à l'heure, et que ceux qui n'ont rien à y faire soient dehors. C'est une bien belle phrase… Pour ce qui me concerne, je suis pour le bien et contre le mal, et je trouve que la douleur, ça fait mal !

Je reviens sur les quatre directions qui orientent votre projet de loi.

Vous parlez d'abord d'une justice mieux financée : je me permets d'en douter, sachant que plus de la moitié des efforts consentis sera consacrée à construire des places de prison.

Une justice moins complexe ensuite. C'est vous qui le dites, ce qui ne vous empêche pas de privilégier la transformation numérique, en dépit de l'expérience ratée de l'Agence nationale des titres sécurisés et des mises en gardes du Défenseur des droits sur l'accès au numérique. Tout laisse penser que nous nous orientons vers une justice à deux vitesses.

En troisième lieu, une justice de proximité : il y a dans cette revendication quelque chose de diabolique de votre part puisque, si vous maintenez certains lieux de justice, vous ne prenez pas la responsabilité de revoir la carte judiciaire mais vous vous défaussez sur d'autres de cette responsabilité. Compte tenu de la très faible hausse de leurs moyens, les tribunaux que vous poussez à fusionner vont être contraints de se spécialiser dans tel ou tel type de contentieux, ce qui fait qu'il y aura peut-être un tribunal près de chez vous, mais qu'il vous faudra quand même traverser tout le département pour avoir accès au bon juge.

Quant à une justice plus rapide, certes on divorcera plus rapidement – et la déjudiciarisation est parfois une bonne chose – mais, dans de nombreux domaines, la mise en oeuvre d'une procédure de règlement va contraindre les gens à payer, là où ils disposaient d'un service certes lent mais gratuit. Vous me rétorquerez que certains conciliateurs seront gratuits mais, comme ils ne seront pas assez nombreux, il s'agira, là encore, d'une voie longue. Finalement, dans le monde de Jupiter, mieux vaudra avoir quelques moyens financiers pour accéder à la justice !

Pour rendre la justice plus rapide vous entendez également donner plus de pouvoir à des magistrats qui ne sont pas là pour rendre la justice. En effet, si l'on se réfère à la définition du magistrat, on apprend qu'il s'agit d'une « personne ayant pour fonction de rendre la justice ou de la requérir au nom de l'État » : dans le premier cas, il s'agit d'un juge, dans le second d'un procureur. Or le procureur, nommé par l'exécutif, ce n'est pas la justice ; la justice, c'est le juge, même si cela semble vous étonner, madame la ministre, bien que vous utilisiez à dessein le terme de magistrat, pour entretenir un flou qui vous arrange.

En ce qui concerne enfin l'aide juridictionnelle, vous faites encore une fois les choses à l'envers. Vous devriez d'abord revoir l'aide juridictionnelle, puis élargir la représentation obligatoire, mais vous faites le contraire. Aujourd'hui, un smicard voit ses frais de justice pris en charge à hauteur de 55 % seulement, ce qui, dans un pays comme la France, n'est pas normal, car ces frais devraient être pris en charge dans leur totalité. J'ignore comment vous l'assumez, moi, je ne peux pas.

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