Vos observations étant extrêmement denses, je sélectionnerai simplement, si vous m'y autorisez, deux ou trois éléments.
Je remercie tout d'abord MM. Jean Terlier et Stéphane Mazars pour leurs propos liminaires. Nous avons travaillé ensemble. Oui, cette ambition pour la justice a un coût.
Monsieur Masson, vous avez énuméré de nombreux points qui vous posent difficulté. Je n'en retiendrai ici que trois. Vous dites que la fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance induit la disparition des tribunaux de proximité. Je ne vois pas, si ce n'est par pure posture politique, pour quelle raison vous affirmez cela. Vous n'êtes pas tenu de me croire, monsieur le député, mais nous avons précisément la volonté de garder les tribunaux à proximité. Je considère que dans les litiges du quotidien, chaque Français doit avoir accès à un juge à proximité. Pourquoi ne pas entendre cela ? Pourquoi ne pas le comprendre ? Pourquoi nous faire le procès a priori de vouloir la disparition de ces tribunaux de proximité ? Cela n'a pas de sens, de mon point de vue. Je l'affirme à nouveau devant vous : nous maintenons les tribunaux de proximité, et nous laissons même la possibilité aux chefs de juridiction de conforter les contentieux qui y seront jugés. C'est une mesure de rationalisation, de clarté pour le justiciable, qui permet d'avoir un seul tribunal. Il y aura le tribunal administratif et le tribunal judiciaire. Et lorsque le justiciable ira au tribunal judiciaire, il ira à celui qui est le plus près de chez lui, ou un peu plus loin si cela lui est possible.
S'agissant des juges de la liberté et de la détention, vous avez dit que la réforme ne marcherait pas, qu'ils n'étaient pas assez nombreux. Mais dans les petits tribunaux de grande instance, ces juges – au nombre d'un ou de deux – ne sont parfois pas occupés à temps plein. Dans les tribunaux plus importants, on en compte quatre, cinq, six voire sept – comme à Bobigny. Ils exercent un rôle essentiel. Il est vrai que leurs fonctions s'élargissent, mais ils sont suffisamment nombreux au moment où je vous parle pour les remplir. Ce sont des juges statutaires, spécialisés. Pour faire plaisir à M. Bernalicis, ce sont des magistrats du siège. Ils sont totalement indépendants – comme les procureurs.
Nous avons décidé de ne pas traiter dans ce texte l'indépendance des juges. Je pense notamment à la modification du statut des magistrats du parquet, avec la nomination sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Nous le ferons dans le cadre de la révision constitutionnelle, puis nous modifierons la loi organique. Il est plus logique de travailler ainsi. Ce n'est donc pas un point que nous omettons : c'est au contraire une volonté que nous affichons.
Monsieur Balanant, merci d'avoir relevé la trajectoire budgétaire favorable qui permet de répondre aux difficultés que rencontre la justice en France. Vous avez évoqué un point de désaccord auquel je suis évidemment très attentive : la suppression de la vidéo-audience. Le mot choisi n'est pas le bon, ce n'est pas de la vidéo-audience, mais de la visioconférence. Il ne s'agit pas en effet de juger une affaire au fond par ce biais. Ce système vise principalement à être utilisé pour la prolongation de la détention provisoire. Je parle bien de prolongation, car la première décision aura lieu en présence physique de la personne. Cet outil est destiné à éviter des extractions judiciaires, qui sont très consommatrices de temps.
Vous m'avez également interrogée sur la justice commerciale et l'aide juridictionnelle : ces deux points ne feront pas partie du texte. S'agissant de l'aide juridictionnelle, nous souhaitons travailler avec les avocats, qui ont mis en place des états généraux prévus pour courir tout au long du premier semestre de l'année 2019. C'est l'un des ateliers communs que nous menons avec eux. Nous voulons conduire un travail au fond afin de pouvoir faire évoluer la situation dans le budget pour 2020.
Quant à la justice commerciale, il me semble que la réforme n'est pas mûre, et je ne souhaite donc pas l'aborder dans le présent texte.
Monsieur Zumkeller, merci d'avoir relevé que l'empilement des textes suppose de prendre un certain nombre de mesures, même si je ne propose pas aujourd'hui de réécrire le code de procédure pénale – ce qui ne serait pas inutile. Vous avez mené un travail sur l'exécution des peines lors de l'avant-dernière législature, sous la présidence de M. Warsmann ; nous y sommes très attentifs.
Vous avez également fait part de la nécessité du suivi psychiatrique des mineurs, et de l'importance de ce sujet car la frontière est parfois fragile avec celle de l'enfermement. Vous avez pleinement raison. Ce dossier, dont je me suis emparée avec Mme Agnès Buzyn dans le cadre de la stratégie nationale de santé, appelle des réponses à différents niveaux, y compris dans le cadre de l'enfermement. Nous devons beaucoup mieux traiter les détenus atteints de problèmes psychiatriques.
Madame Untermaier, je vous remercie pour votre approche, comme toujours constructive, même si vous avez également évoqué de nombreux points de divergence. Vous avez soulevé une inquiétude qui serait partagée par toutes les professions ; j'entends pleinement ce qui est dit tant par certains avocats que par certains magistrats ou certains personnels de justice. Je souhaite les rassurer : nous sommes extrêmement attentifs à l'ensemble des observations qui nous remontent. Nous avons beaucoup travaillé avec les avocats, mais je leur ai toujours dit que je prendrai les propositions qui me paraîtraient pertinentes dans le cadre de l'objectif que je poursuis. Il n'est pas question que les avocats rédigent le projet que je porte. J'assume nos différences, tout en les respectant.
Lorsque je parle de dématérialisation ou de numérisation, je n'oublie pas, moi non plus, l'accompagnement des plus vulnérables. Vous avez mentionné les services d'accueil unique du justiciable : ils sont en effet essentiels pour l'accompagnement de la réforme que je porte. Le directeur des services judiciaires sait très bien que déployer de tels services dans tous les tribunaux, avec la formation des personnels d'accueil est un objectif prioritaire pour moi.
En revanche, je ne suis pas d'accord lorsque vous dites que cela risque de se traduire par une justice à deux vitesses, coûteuse et rapide pour les uns, lente et gratuite pour les autres. Je n'ai pas le temps d'engager ici un débat en profondeur, mais je ne partage pas ce diagnostic. Nous sommes extrêmement attentifs à ce que la justice soit la même pour tous.
De même, je suis très attentive à l'équilibre entre les pouvoirs d'enquête et les libertés individuelles. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans la discussion, chaque fois que nous simplifions les pouvoirs d'enquête, nous prévoyons toujours soit une autorisation, soit le contrôle d'un juge, soit les deux. Nous avons pris en compte toutes les observations formulées par le Conseil d'État afin de réintroduire, lorsque cela nous avait échappé, un contrôle judiciaire là où c'était nécessaire. Je pense que nous avons réussi à trouver cet équilibre.
Enfin, je ne reporte pas l'encellulement individuel à treize ans. Certes, nous allons livrer 7 000 places de prison supplémentaires en 2022, et 8 000 un peu après, mais il ne faut pas oublier qu'en même temps, nous sommes en train de modifier la politique des peines. Cette modification devrait précisément conduire à une diminution du nombre de personnes incarcérées.
Monsieur Bernalicis, si Faust m'avait promis l'éternelle jeunesse, sans doute aurais-je pu pactiser avec lui, mais tel n'est pas le cas. Je n'ai pas rencontré Faust, et je ne suis donc pas diabolique – ni angélique. Je partage un certain nombre de vos observations : la prison est en effet désocialisante, notamment pour les courtes peines. C'est bien la raison pour laquelle la politique des peines que je soutiens vise à diminuer le nombre de très courtes peines d'emprisonnement et à proposer d'autres sanctions, autonomes et pas seulement alternatives par rapport à la prison. Dans un certain nombre de cas, nous voulons en effet couper toute référence à l'emprisonnement.
Pour autant, j'ai souhaité revoir la contrainte pénale. Cette mesure lancée par Mme Christiane Taubira est tout à fait respectable dans son principe. Nous maintenons l'intégralité du dispositif, mais je souhaite développer le recours à cette mesure en l'adossant à un mécanisme qui fonctionne bien, le sursis avec mise à l'épreuve, en créant un sursis probatoire renforcé, qui prend le meilleur des deux peines. La contrainte pénale n'était pas dissociée de la prison, car en cas de rupture, on en revenait forcément à la peine d'emprisonnement. Nous essayons simplement d'améliorer le dispositif.
Monsieur Peu, ne déformez pas mes propos. Hier, en réponse à l'appel des juges des enfants du tribunal de Bobigny, j'ai simplement expliqué que la protection de l'enfance en danger était une politique publique partagée entre les départements et l'État pour la justice – et sans doute aussi pour la santé. Ce propos portait sur la protection de l'enfance en danger, qui est l'aspect le plus mis en exergue dans la tribune des juges des enfants. In fine, dans leur texte – et je ne l'ai pas omis, monsieur le député – il y a des éléments qui me concernent strictement et qui portent sur l'aspect pénal. Je sais lire un texte.