Intervention de Corinne Vignon

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Vignon, rapporteure pour avis :

J'ai l'honneur de vous présenter mon avis sur les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». J'ai choisi, cette année, de m'intéresser aux droits conjugaux et familiaux de retraite, dans la perspective de l'évolution systémique de nos quarante-deux régimes de retraite vers un unique régime universel de retraite par points.

Il me tenait à coeur de montrer que, loin de représenter une menace pour ces dispositifs de solidarité, la transition vers un système universel de retraite par points pouvait être une chance de les recentrer sur leurs objectifs, de les améliorer, voire de les compléter par l'émergence de nouvelles solidarités. J'ai, pour ce faire, réalisé une quinzaine d'auditions, dont il ressort que les dispositifs actuels des droits conjugaux et familiaux de retraite sont loin de susciter la satisfaction unanime de nos concitoyens et qu'ils sont largement perfectibles.

S'agissant tout d'abord des droits conjugaux de retraite, qui représentent environ 10 % de la masse totale des pensions, soit quelque 30 milliards d'euros sur un total de 308 milliards, loin de moi l'idée d'en nier l'utilité – bien au contraire. Dans la mesure où le taux d'emploi des femmes est inférieur à celui des hommes et où leur salaire, à qualification égale, est inférieur de près de 20 %, la pension moyenne de droit direct des femmes ne représente aujourd'hui que 60 % de celle des hommes. Or les droits dérivés issus de la réversion permettent de réduire cette différence de niveau de pension, pour porter la pension moyenne globale des femmes à 75 % de celle des hommes.

Dans une logique de réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, il est donc absolument crucial de préserver le principe même de la réversion dans le futur système universel de retraite. S'il est nécessaire de ménager une transition très longue entre l'ancien et le nouveau système de droits dérivés, il est tout aussi nécessaire d'adapter les modalités. Nous savons tous ici que les treize dispositifs de réversion différents ont en commun d'être réservés aux couples mariés. Or un mariage est loin d'ouvrir les mêmes droits de réversion selon les régimes dont relèvent les membres du couple. Je ne m'étendrai pas sur les innombrables disparités en matière de conditions liées à la durée de mariage, à l'absence de remariage, aux ressources ou encore à l'âge du conjoint survivant, ni sur les divergences en matière de partage de la pension de réversion entre les différents conjoints successifs.

Une très large majorité des personnes que j'ai entendues appellent de leurs voeux une convergence des règles de réversion dans le cadre de la réforme. Selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), l'unification des finalités et des règles des dispositifs de réversion peut être réalisée sans grande difficulté technique dans un régime par points. Toutefois, il faudra s'interroger sur le financement des pensions de réversion et se demander s'il est juste ou non qu'il repose sur l'ensemble des cotisants, qu'ils soient mariés ou pas.

Notons que l'Allemagne, la Suisse et le Royaume-Uni ont adopté une conception patrimoniale de la réversion, dite technique du splitting, en vertu de laquelle il est fait masse des droits à la retraite acquis par les deux membres du couple pendant la durée de l'union pour les partager entre eux, soit au divorce, soit à la première liquidation, soit au premier décès. Mais, dans une logique plus assurantielle, on peut aussi imaginer que la réversion prenne la forme d'un mécanisme de garantie du niveau de vie du conjoint survivant, à travers le versement d'un certain pourcentage de la somme des droits acquis par les deux membres du couple avant le décès de l'un d'entre eux.

Quelle que soit la logique retenue, j'estime pour ma part que l'universalisation des règles de la réversion ne pourra pas conduire à la remise en cause du principe de la réversion au profit des orphelins. Ce système existe dans les régimes de la fonction publique, mais aussi dans ceux de la SNCF, des marins ou encore des mines. Il faudrait, de mon point de vue, que la réversion soit étendue aux quelque 500 000 orphelins de moins de 21 ans que compte notre pays.

S'agissant des droits familiaux, qui représentent 5 % de la masse totale des pensions, soit 15 milliards d'euros, et dont une large part bénéficie aux femmes, là encore, je tiens à souligner l'utilité des dispositifs actuels, à savoir la majoration de durée d'assurance (MDA), la majoration de pension pour enfants ou encore l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). En effet, les carrières des femmes sont plus fortement et durablement affectées par l'arrivée d'enfants que celles des hommes. Les femmes recourent souvent au temps partiel et touchent des salaires plus faibles. Toutefois, ces dispositifs ne sont pas aussi efficients que l'on pourrait l'espérer dans une logique de réduction des inégalités entre les hommes et les femmes.

Premièrement, ils n'existent pas dans tous les régimes de retraite. Par exemple, le régime de base des professions libérales ne prévoit pas de majoration de pension pour enfants.

Deuxièmement, lorsqu'ils existent, les dispositifs ne sont pas toujours cohérents entre eux. Ainsi, alors que la MDA vise à permettre aux parents, en particulier aux mères, de rester sur le marché du travail pendant longtemps, l'AVPF tend pour sa part à leur permettre de rester en dehors dudit marché pendant une période assez longue.

Troisièmement, chacun des dispositifs présente des incohérences internes difficilement justifiables. Par exemple, alors que, dans le cadre du régime général et des régimes alignés, la MDA au titre de la maternité est de quatre trimestres par enfant, elle n'est, depuis 2004, que de deux trimestres dans le régime de la fonction publique. La majoration pour enfants, quant à elle, est versée dès le deuxième enfant dans le régime des marins, mais seulement à partir du troisième dans les régimes de retraite des salariés du secteur privé, de la fonction publique, de la SNCF et de la RATP, avec, en outre, de considérables variations de taux.

Quatrièmement, on a en partie perdu de vue les objectifs initiaux des droits familiaux de retraite. Alors que les MDA ciblaient à l'origine des femmes dont les carrières étaient incomplètes, elles ont été, au fil du temps, étendues à toutes les femmes, y compris celles qui ont une carrière complète, ce dont certaines ont profité pour partir à la retraite plus tôt. Si les MDA bénéficient à ce profil de retraitées, elles s'avèrent en revanche inutile pour d'autres qui atteignent l'âge de la retraite au taux plein : pour ces dernières, les trimestres validés grâce au dispositif sont en réalité inutiles. Quant aux majorations de pension pour enfants, leur caractère proportionnel aboutit à ce qu'elles profitent majoritairement aux hommes en général, et particulièrement aux pères de famille nombreuse aisés – ce qui, vous le comprenez sans difficulté, accentue les inégalités au lieu de les atténuer. Une majoration de pension forfaitisée et versée dès le premier enfant : voilà l'une des revendications des personnes que j'ai auditionnées, et qui se rapproche beaucoup de l'attribution de points dès le premier enfant annoncée par M. Jean-Paul Delevoye le 10 octobre.

L'attribution d'un nombre de points au titre des enfants offrirait plusieurs avantages pour nos concitoyens. D'abord, les droits accordés au titre de la solidarité conduiraient nécessairement à augmenter la pension de leurs bénéficiaires. Ensuite, les Français y gagneraient en équité car, quelle que soit leur profession, ils se verraient accorder le même nombre de points au titre de la naissance, de l'adoption ou de l'éducation d'un enfant. Enfin, ils y gagneraient en prévisibilité, car dans un régime par points, il est relativement aisé de déterminer, au moment du fait générateur du droit lié à la solidarité, la contrepartie en termes de points attribués, alors que le niveau des MDA et de l'AVPF n'est connu qu'à la liquidation de la retraite.

Cette réforme pourrait même susciter de nouveaux droits familiaux, car bien des personnes – surtout des femmes – interrompent ou réduisent leur activité professionnelle pour accomplir des tâches autres qu'éducatives – je pense à l'aide apportée à des proches en situation de handicap ou de perte d'autonomie. Les aidants familiaux ne peuvent guère compter, pour se constituer des droits à la retraite, que sur l'AVPF et, s'agissant de l'éducation d'enfants handicapés, sur les MDA, dont le plafond varie d'ailleurs selon les régimes : huit trimestres pour le régime général, mais quatre dans la fonction publique – alors qu'il est rare que le handicap d'un enfant ne se manifeste que pendant quatre à huit trimestres.

Toutefois, pour que cette solidarité nouvelle soit supportable sur le plan financier, il faut au préalable que l'on identifie, sur la base de critères clairs, les personnes concernées et le temps dédié à ces activités au détriment de l'activité professionnelle. Selon les études, notre pays compterait entre 8 et 11 millions d'aidants, qui consacreraient à cette activité 30 à 40 heures par semaine ; 57 % d'entre eux seraient des femmes. Il serait souhaitable que nous ayons une connaissance plus fine de ces réalités pour calibrer au mieux le financement des points de solidarité. Celui-ci doit-il reposer sur l'impôt – ou, le cas échéant, sur un tiers payeur – plutôt que sur les cotisations des assurés ? Ce choix ne serait pas dépourvu de sens quand on sait que la contribution économique des aidants, sur la base de la valorisation d'une heure d'aide au SMIC horaire, était estimée entre 7 et 11 milliards d'euros en 2008.

Pour conclure, je voudrais citer la Confédération française des retraités (CFR), qui, dans la contribution qu'elle m'a adressée, écrit : « seul un système de retraite universel permettra de sauvegarder le système de retraite par répartition » et « toutes les modifications à apporter aujourd'hui aux systèmes de retraite existants doivent aller dans le sens d'une convergence des régimes tous secteurs – privés et publics – confondus (y compris les régimes spéciaux) ». C'est bien la preuve qu'au-delà des postures, les Françaises et les Français sont prêts pour une réforme qui ne saurait se résumer à l'application pure et simple d'un modèle suédois, allemand ou italien, mais doit correspondre à un projet de société français, plaçant la solidarité au coeur du système de retraite.

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