Permettez-moi d'abord de saluer les habitants de la Polynésie française qui, eux, peuvent suivre nos débats sur une question aussi importante que l'enseignement supérieur et la recherche, ce qui n'est pas le cas des Françaises et des Français de la métropole, de même que d'un grand nombre de parlementaires...
La France consacre seulement 2,2 % du produit intérieur brut à la recherche et au développement, ce qui place notre pays en deçà de l'objectif de 3 % de la stratégie de Lisbonne.
Cette situation pousse à s'interroger sur la place qu'accordent les gouvernements successifs à la recherche, en particulier, à la recherche publique. Pourtant, une fois encore, ce n'est pas cette dernière qui est favorisée dans ce budget que l'on dit contraint alors que l'État se prive de recettes avec le crédit d'impôt recherche.
Depuis 2008, le coût du crédit d'impôt recherche explose. En 2017, il a coûté pas moins de 6,1 milliards d'euros aux finances publiques, contre 1,8 milliards en 2007. Systématiquement sous-évalué, il devrait atteindre 6,2 milliards l'année prochaine.
Or, monsieur le rapporteur spécial l'a souligné, ses effets sur le développement de la recherche et sur l'emploi des chercheuses et chercheurs sont difficilement mesurables.
Toutes les études parues s'accordent sur le fait qu'il produit peu d'effets leviers sur la recherche, un euro de CIR entraînant dans le meilleur des cas un euro investi. De plus, 80 % des crédits sont captés par de grands groupes, ce qui entraîne des effets d'aubaines incontestables.
Si l'on peut entendre qu'une PME en croissance ait besoin de cette aide fiscale pour développer ses dépenses de recherche et développement, nous savons que les grands groupes ont les moyens de procéder à ces dépenses et ont intérêt à le faire. De plus, le CIR, comme toutes dépenses fiscales neutres de cette nature – je pense notamment au CICE – soulève un problème dans sa conception même. En effet, aucun critère sur la nature des recherches n'est établi : que vous fassiez de la recherche et développement pour mettre en place des algorithmes financiers ou de la recherche en faveur de la transition énergétique, vous bénéficiez du même crédit d'impôt.
L'État, au minimum, devrait pouvoir le conditionner aux recherches développées, à leur utilité sociale ou environnementale. Par exemple, entre 2008 et 2016, Sanofi a supprimé 4 700 postes dont 2 000 d'ingénieurs et chercheurs, tout en reversant sur cette période pratiquement 30 milliards de dividendes. Pourtant, en 2016, ce groupe a touché 130 millions de crédit impôt recherche. Pourquoi l'État fait-il cadeau de ces 130 millions, qui auraient pu par exemple être alloués au CNRS ? Le CIR semble donc une opportunité pour certaines entreprises : elles le captent en le détournant de sa fonction première et il devient alors un outil d'optimisation fiscale.
Pendant ce temps, le budget de la recherche publique stagne et le CNRS continue de baisser le nombre de ses recrutements. Ici se trouve le principal écueil de nos politiques budgétaires. Cela fait des années et des années qu'une érosion de notre base fiscale est menée par les différents gouvernements. Nous nous privons de dizaines de milliards de recettes fiscales à travers tout un tas d'exonérations d'impôts bénéficiant toujours au mieux lotis, que ce soit les entreprises ou les ménages. Dans le même temps, pour compenser ces pertes de recettes, on contraint la dépense.
La recherche illustre parfaitement ce paradoxe. Permettez-moi de citer Alain Prochiantz, chercheur en neurobiologie et professeur au Collège de France : « Constatons seulement que priver la recherche publique de ces milliards supplémentaires dans son budget annuel condamne notre pays à décrocher tôt ou tard dans la compétition internationale et à perdre son rang de cinquième ou sixième puissance mondiale dans la production des connaissances. »
Le CIR doit donc impérativement être recentré sur les entreprises qui en ont réellement besoin et, surtout, il doit permettre de financer des recherches répondant à l'intérêt général. La recherche publique, en particulier la recherche fondamentale et non programmable, pâtit aussi du recours au système d'appel à projet. L'Agence nationale de la recherche bénéficie cette année encore de crédits en hausse de 33 millions. Pourtant, son fonctionnement par appel à projet devient une véritable difficulté pour nombre de chercheurs. Seuls 14 % des projets proposés sont finalement financés, si bien que les scientifiques perdent leur temps et leur énergie à chercher d'hypothétiques financements.
Cette contrainte sur la liberté des chercheurs est un frein à la recherche fondamentale, à la découverte et à la prise d'initiative : elle assèche la production scientifique. De même, la course aux publications est un réel danger pour la qualité de la recherche.
Enfin, je regrette que rien dans ce budget n'améliore les conditions de vie et de travail des doctorants et des doctorantes et des dizaines de milliers de vacataires sous-payés, sans qui, pourtant, l'Université ne pourrait pas fonctionner.
Pour toutes ces raisons, le groupe GDR ne votera pas les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».