Intervention de Frédérique Vidal

Séance en hémicycle du mardi 13 novembre 2018 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2019 — Mission recherche et enseignement supérieur (état b)

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Mesdames, messieurs les députés, vous vous apprêtez à examiner plusieurs amendements relatifs à un seul et même sujet, qui nous mobilise tous. Je me permets donc de prendre quelques instants afin de jeter quelques jalons du débat qui va avoir lieu.

Chaque année, sur notre territoire, près de 1 700 cas de cancer sont détectés sur des enfants et des adolescents de moins de quinze ans. Ils sont à l'origine de 500 décès par an. Chacun de ces décès est un drame absolu, qui nous frappe et nous touche tous.

Il n'existe pas de mots pour exprimer ce que vivent les familles qui voient disparaître un enfant. Les accompagner, sachez-le, marque à jamais. Personnellement, j'ai accompagné, dans le cadre de mes recherches, des familles d'enfants atteints d'anomalies génétiques les menant à la mort à l'issue d'horribles souffrances. Je ne l'oublierai jamais.

Tous, sur tous les bancs, nous n'avons que ce seul et même objectif de faire reculer les cancers pédiatriques. Dans quelques instants, nous aurons, je le sais, l'occasion de prendre ensemble des décisions fortes pour y parvenir. Mais je voulais aussi vous dire que face à cette douleur, face à cette injustice – parce qu'il n'y a rien de plus incompréhensible que de voir disparaître un enfant – , il y aurait quelque chose de dérisoire à vouloir se perdre dans les chiffres. Ce que nous voulons faire, c'est le maximum, c'est-à-dire avant toute chose adopter la bonne stratégie, celle qui produira des résultats, celle qui fera effectivement reculer cette maladie et la mortalité qu'elle entraîne.

C'est pourquoi je veux prendre un moment pour vous dire où nous en sommes dans ce combat.

Les taux de guérison des cancers de l'enfant avoisinent aujourd'hui 80 % ; c'est une progression de 20 % ces quinze dernières années. Ces progrès sont évidemment dus à la mobilisation de l'ensemble des scientifiques et des médecins, soutenus par toute la société, notamment dans le cadre des plans cancer successifs.

L'enjeu, aujourd'hui, pour les cancers de l'enfant comme pour un certain nombre d'autres, c'est d'arriver à traiter ceux qui résistent aux stratégies thérapeutiques construites au cours de ces dernières années. Je pense à certaines formes de tumeurs du tronc cérébral, ou à certains sarcomes : autant de gros progrès ont été accomplis pour soigner les leucémies, autant pour ces formes particulières nous sommes encore très démunis. Or ils touchent notamment des enfants.

Ces difficultés ne viennent pas, comme je l'ai parfois entendu, d'un sous-financement chronique – mais je ne veux pas me lancer ce soir dans la comptabilité du malheur, cela n'aurait aucun sens. Les moyens du plan cancer sont là depuis des années, et ils bénéficient largement à la recherche sur les cancers pédiatriques. Chaque année, l'Institut national du cancer – INCa – finance la recherche sur le cancer à hauteur de 64 millions d'euros ; un peu plus de 8 millions sont spécifiquement dédiés aux cancers pédiatriques. Ces sommes ne comprennent bien sûr ni la masse salariale, ni le financement des laboratoires par les universités ou les organismes de recherche.

Il est hasardeux, pour une raison que vous serez nombreux à comprendre et que votre rapporteure spéciale connaît bien, d'essayer de donner un chiffre consolidé des dépenses : nous ne disposons pas aujourd'hui de système d'information commun aux acteurs de la recherche qui permettrait d'agréger les efforts engagés par chaque institution. Vous aurez ce soir l'occasion d'y remédier, en inscrivant dans la loi cette obligation pour l'ensemble de la recherche publique.

Mais au-delà, ces chiffres consolidés sont de toute façon difficiles à établir. L'important est de partager une vision claire de ce que nous pouvons attendre de la recherche.

La réalité, c'est qu'il n'y a pas un, mais des cancers. Certains mécanismes leur sont communs ; pas tous. Si nous voulons vaincre les cancers les plus résistants, nous devons surtout changer d'approche et comprendre ce qui les rend singuliers, afin d'imaginer des stratégies nouvelles et innovantes.

Pour cela, nous avons besoin de l'ensemble de la recherche fondamentale. Lutter contre les cancers pédiatriques, ce sont les pédiatres oncologues qui le disent, ce sont les chercheurs de l'Institut Curie notamment qui le disent, c'est augmenter la connaissance des mécanismes fondamentaux, en particulier du développement embryonnaire – car les cancers de l'enfant sont majoritairement des anomalies du développement, ce qui fait leur particularité. C'est aussi proposer de nouvelles méthodes d'étude et d'analyse, de nouvelles méthodes d'imagerie et de séquençage, de nouveaux modèles cellulaires ou animaux. C'est encore penser des approches thérapeutiques nouvelles, comme la protonthérapie, l'immunothérapie, la chirurgie laser… C'est travailler enfin au niveau européen, car ces cancers pédiatriques sont autant de pathologies rares ; or la constitution de cohortes est nécessaire pour poser les bonnes questions, et donc les bons diagnostics.

Je ne prendrai ici qu'un seul exemple : celui des tumeurs infiltrantes du tronc cérébral. Nous ne savons pas encore de quelle discipline viendra la solution : de techniques améliorées de radiochirurgie, issues de la recherche en physique ? De la biologie du développement, par une meilleure caractérisation de ces tissus ? De l'analyse du développement du système nerveux, touché par ce cancer ?

Hier encore, je discutais avec le professeur Delattre et son équipe, qui travaillent depuis des années sur ces questions : les chercheurs évoquent aussi l'intelligence artificielle, le big data ; ils parlent d'attirer des talents du monde scientifique venus d'autres disciplines, parce que c'est là qu'est l'enjeu.

C'est pourquoi le Gouvernement souhaite vous proposer un amendement no 2513 , qui permettra de consacrer 5 millions d'euros dès 2019 à la recherche destinée à faire reculer les cancers chez l'enfant. Ces crédits budgétaires deviendront bien sûr récurrents. Cette année, 2 millions seront issus d'un redéploiement des investissements en matière de recherche, et 3 millions seront redéployés depuis un autre programme.

Ces 5 millions d'euros, nous ne vous proposons donc pas de les affecter pour solde de tout compte, mais bien d'en faire un engagement au long cours, et partagé.

La stratégie de financement à long terme des cancers les plus résistants aux traitements et des cancers pédiatriques, c'est dans le contexte des suites du plan cancer que nous devrons la dessiner. Cela concernera aussi bien la recherche de base que la recherche translationnelle, ou encore les essais cliniques prévus dans le cadre des programmes concernés, qui ne dépendent pas de cette mission-ci, ainsi que les soins et l'accompagnement des soins. C'est là le cadre dans lequel Agnès Buzyn et moi-même pourrons calibrer l'effort pluriannuel de notre pays. Encore une fois, la recherche sur les cancers pédiatriques en particulier alimente aussi la recherche sur tous les autres cancers : ces deux champs, bien que différents, ne sont pas étanches. Chaque connaissance acquise sur les cancers pédiatriques profite à l'ensemble de la recherche, comme inversement chaque connaissance acquise en matière de biologie du développement ou chaque progrès dans le développement d'un laser à Polytechnique peut fournir des solutions thérapeutiques pour les cancers de l'enfant.

Ce travail sera bien sûr mené en étroite concertation avec l'Assemblée nationale. Vous serez associés à cette réflexion et nous pourrons faire ensemble les points d'étape nécessaires pour construire un consensus sur ce sujet. Nous devons en faire une cause commune.

C'est pourquoi je demanderai aux auteurs des différents amendements déposés ce soir sur ce sujet de les retirer au profit de celui du Gouvernement. S'il vous plaît, ne rentrons pas dans des querelles de chiffres quand nous partageons un même objectif. Passons un message unique aux enfants et à leurs familles : chacun à notre place, chacun dans notre rôle, nous sommes à pied d'oeuvre ; ils peuvent compter sur nous.

C'est pourquoi je voudrais terminer en remerciant votre assemblée de s'être saisie de cette question essentielle. Monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure spéciale, cette cause a trouvé en vous d'excellents avocats. Je salue également les auteurs des amendements, Mme Trastour-Isnart, Mme Descamps, M. Saddier, M. Brun, M. Diard, M. Perrut et naturellement M. le président Woerth. Ensemble, vous avez posé, nous avons posé les bases d'une mobilisation commune au service des enfants et de leurs familles.

C'est dans cet esprit que je vous invite à voter l'amendement déposé par le Gouvernement à l'issue d'un travail parlementaire que je crois exemplaire et fructueux.

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