Intervention de Laurence Roques

Réunion du mardi 16 octobre 2018 à 18h20
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Laurence Roques :

Je vais m'efforcer de faire un peu de pédagogie dans un domaine où l'on dit tout et n'importe quoi. Mais, en préambule, je souhaite vous indiquer que les magistrats attendent eux aussi que le statut des enfants nés par GPA soit fixé car la situation juridique actuelle est complexe et laisse à chaque juge une part très libre d'appréciation.

Il ne s'agit pas de prendre position aujourd'hui pour ou contre la GPA : elle est désormais un phénomène sociologique et a donné naissance à des enfants. Les arrêts « Mennesson » et « Labassée » du 26 juin 2014 de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ont par ailleurs fixé un cadre. S'appuyant sur l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la CEDH a en effet indiqué que les États sont libres d'interdire ou d'autoriser la GPA, mais que leur marge d'appréciation est limitée en ce qui concerne l'intérêt supérieur de l'enfant au regard du droit à l'identité. Or, ce droit à l'identité, tel que le définit la CEDH, est le droit à une identité totale et conforme à l'état civil étranger.

Les enfants vivant en France nés de GPA possèdent des actes de naissance étrangers conformes au droit étranger autorisant la GPA et conformes également à des jugements étrangers. Sans prétendre faire un cours de droit international, je rappellerai que l'exequatur des jugements étrangers permet de reconnaître intégralement ces jugements sans que l'État puisse invoquer l'ordre public. Depuis les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation a reconnu qu'au nom de l'intérêt des enfants et du droit à l'identité, il n'est pas possible d'écarter la parentalité issue de GPA au regard de l'ordre public, revenant ainsi sur la jurisprudence des arrêts Mennesson qui avait donné lieu à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme.

En 2017, la Cour de cassation a été de nouveau confrontée à la question de la transcription des actes de naissance d'enfants nés de GPA hétérosexuelles. Il me faut ici préciser ce que sont ces transcriptions. Ces enfants nés par GPA possèdent des actes de naissance étrangers sur lesquels les parents correspondent au jugement issu de GPA : dans le cas des époux Mennesson, ces parents sont donc Mme et M. Mennesson. Les actes étrangers de ces enfants sont valables en France mais certaines administrations, notamment pour la délivrance des passeports et des cartes d'identité, exigent à tort la transcription de ces actes sur les registres français d'état civil – à tort car, depuis le XIXe siècle, toute personne née à l'étranger de nationalité française peut obtenir de l'officier d'état civil français une transcription sur un registre des mentions des actes d'état civil étrangers. Cette facilité permet aux Français nés à l'étranger de ne pas y réclamer à chaque fois l'acte et d'échapper aux aléas politiques de ces pays, qui pourraient entraîner la disparition d'actes d'état civil. En règle générale, la transcription que réalise l'officier d'état civil est une copie fidèle. Celui-ci, cependant, est tenu de ne porter que des mentions conformes à la philosophie juridique du droit français. C'est d'après ce critère et au nom de l'ordre public que les transcriptions des actes d'enfants nés de GPA à l'étranger ont été refusées dans un premier temps, la GPA n'étant pas légale en France. Saisie sur ces dossiers, la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré que, même si les actes étrangers peuvent suffire, ces enfants rencontrent des problèmes dans leur vie quotidienne, certains n'ayant ni passeport ni carte d'identité tandis que pour d'autres la crèche refuse l'exercice conjoint de l'autorité parentale en ne reconnaissant pas la mère d'intention ou, dans le cas de GPA homoparentales, l'autre parent d'intention. La CEDH relève encore que certains notaires refusent de considérer comme valables les actes étrangers des enfants issus de GPA, notamment pour les droits de succession.

L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme indique donc que si la transcription n'est pas obligatoire, elle facilite grandement la vie quotidienne des enfants nés de GPA. Mais la Cour de cassation, lorsqu'elle a été saisie en 2017 sur cette question de transcription, a encore compliqué le débat. Plutôt que de minimiser les problèmes que rencontrent ces enfants en mettant en avant le fait qu'ils disposent d'actes étrangers qui reconnaissent les parents d'intention grâce aux jugements étrangers, elle a décidé que la mère d'intention ne serait pas transcrite, les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme imposant selon elle seulement de transcrire le parent biologique. La Cour de cassation s'est en effet appuyée sur le paragraphe 91, aux termes duquel la violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est d'autant plus flagrante que le parent est biologique. L'interprétation de la Cour de cassation est donc a minima en ce qu'elle considère que le père seul possède une parentalité biologique certaine. Cette interprétation est d'autant plus douteuse que, dans un certain nombre de cas de GPA, le père n'est pas non plus le donneur de gamètes. Ce refus de mentionner les deux parents sur l'acte d'état civil constitue, selon moi, la première erreur de la Cour de cassation.

Sa seconde erreur est de prétendre se conformer à l'article 8 en proposant l'adoption, car l'adoption pose plusieurs problèmes que les juges du fond ne manqueront pas de soulever. En effet, dès lors que des actes étrangers portent que des personnes sont parents d'intention, comment ces personnes pourraient-elles déposer une requête en adoption de leurs propres enfants ? On ne peut d'un côté dire que les actes étrangers sont valables en présentant l'inscription comme une facilité, et de l'autre obliger les parents à demander au juge ce qu'il n'a pas le droit de faire.

L'arrêt de 2017 de la Cour de cassation crée également une discrimination entre les parents mariés et ceux qui ne le sont pas car il ne peut y avoir d'adoption des enfants du conjoint en l'absence de conjoint. Or, comme vous le savez, une évolution sociétale datant des années 1970 fait que plus d'enfants naissent désormais hors mariage que dans le cadre marital. Pour ces parents ayant des enfants nés par GPA, sauf à modifier l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sur la liberté matrimoniale, la Cour de cassation ne propose aucune solution. De plus, l'adoption suppose que le conjoint consente à l'adoption. Or, les enfants nés de GPA sont maintenant de vieux enfants qui ont douze, quinze, voire dix-sept ans, et leurs parents n'échappent pas au fait qu'un couple sur deux se sépare au cours des dix premières années du mariage. Dans ces cas de divorce, le consentement du conjoint ne peut être obtenu et des pères contestent alors la filiation d'intention de la mère en considérant que, pour la Cour de cassation, ces mères ne sont pas des mères puisqu'il leur faut adopter leurs propres enfants ! Parce que le statut de ces femmes à l'égard de leurs enfants est flou, leurs anciens conjoints font appel à des avocats qui contestent les filiations de leurs enfants devant les juridictions.

Pour plaider tous les jours devant ces juridictions, je peux vous assurer que les magistrats réclament une clarification du législateur. En attendant, le tribunal de Nanterre accepte l'adoption, tandis que celui de Créteil la refuse. Le tribunal de grandes instances de Nantes résiste pour sa part à la jurisprudence de la Cour de cassation de façon très argumentée. Il considère que la résolution de la Cour de cassation n'est pas conforme au droit international privé puisque les enfants nés de GPA et leurs parents disposent de jugements étrangers valables, opposables en France, et il note également que la transcription du père au nom du sacro-saint respect de la filiation biologique ne saurait être valide puisqu'en droit français la filiation n'est pas biologique.

Je conclurai en rappelant que ce dossier n'est pas récent. La France a été condamnée il y a plus de treize ans par la Cour européenne des droits de l'homme pour la distinction qu'elle établissait entre les enfants adultérins et les autres enfants. C'est au nom de ce même principe du respect de l'ordre public et de défense de l'institution du mariage et de la fidélité dans les couples qu'on discriminait alors l'enfant adultérin en ne l'autorisant pas à succéder de la même façon. Heureusement que certains clients comme les époux Mennesson, en étant des acharnés de la justice, font évoluer le droit. J'ai relu dernièrement l'arrêt « Mazurek » concernant cet enfant qui, parce qu'il ne pouvait succéder, était allé demander justice à la Cour européenne des droits de l'homme. Au nom déjà de l'ordre public déjà, la France s'était mise dans une ornière et la CEDH avait rappelé que l'enfant n'a pas à répondre des actes de ses parents. De la même façon, nous n'avons pas aujourd'hui à nous prononcer pour ou contre la GPA, mais à décider quel doit être le statut juridique de ces enfants.

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