Intervention de Audrey Kermalvezen

Réunion du mardi 16 octobre 2018 à 18h20
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Audrey Kermalvezen, co-fondatrice de l'association Origines :

Comme pour la GPA, les juges sont déconcertés par le flou législatif qui règne en matière d'accès aux origines. Ils n'ont eu de cesse de faire un appel au législateur pour clarifier cette question qui mérite d'autant plus d'être examinée par le Parlement que le Conseil d'État annonce une très probable condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme sur ce sujet.

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et le Conseil d'État recommandent une modification de la loi pour l'avenir. Cette position n'est pas tenable en termes d'égalité de traitement car elle oublie les 70 000 personnes déjà nées d'un don de gamètes. Pour ces personnes et pour les enfants à naître, nous vous demandons de supprimer le caractère d'ordre public de l'anonymat. La lecture des débats parlementaires montre qu'en 1992 les parlementaires étaient déjà conscients du caractère imparfait du choix qu'ils faisaient. Ils considéraient qu'il faudrait rediscuter du caractère irréversible de l'anonymat dès qu'un bilan pourrait être dressé de l'expérience qu'en ont faite les couples et les enfants concernés. Mesdames et messieurs les députés, nous sommes arrivés au moment où tirer les leçons de cette expérience est possible : les enfants du don sont aujourd'hui avocats, employés de banque, ingénieurs, parlementaires, et nous vous disons aujourd'hui comment nous ressentons l'anonymat des donneurs.

Nous ne comprenons pas qu'en 2018 on puisse encore affirmer que l'anonymat irréversible serait dans notre intérêt et la privation de ses origines moins grave que la prétendue ambiguïté de référence identitaire que produirait la connaissance de l'identité du donneur. Comment peut-on écrire que poser la question au donneur ne serait pas dénué d'impact car celui-ci pourrait réaliser à cette occasion qu'un enfant est né de son don ? J'espère qu'il s'en doute, puisque la naissance d'enfants est évidemment l'objet de ce don ! Le vide abyssal où nous plonge l'ignorance à vie de la connaissance de nos origines n'est en revanche pas pris en compte et nous avons le sentiment d'une infantilisation terrible, pour ne pas dire d'une aliénation. Est-ce que les personnes conçues avec un don de gamètes, est-ce que les donneurs ont le droit de disposer d'eux-mêmes et de déterminer où se situe leur intérêt ? Nullement. En France aujourd'hui, le principe d'anonymat est d'ordre public et s'impose à eux, y compris contre leur volonté.

L'enfant issu d'un don de gamètes est privé de la connaissance des antécédents médicaux de l'un de ses géniteurs car aucun suivi des donneurs n'a lieu après le don. Or, Gérard, le donneur d'Arthur, a par exemple découvert qu'il était atteint d'une mutation génétique tardivement, à l'âge de soixante-cinq ans. Cette information médicale ne figure donc pas dans le dossier conservé au sein des centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain (CECOS), la banque du sperme française. C'est pourquoi il est de notre devoir de demander aux anciens donneurs d'actualiser leurs dossiers médicaux, sur le modèle de ce que fait le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles qui recontacte depuis 2002 les femmes ayant accouché sous X. À cette occasion, il leur serait demandé de s'inscrire sur une plateforme numérique d'échange anonyme qui permettra aux donneurs qui le souhaitent et aux jeunes adultes en ressentant le besoin de faire connaissance de manière anonyme puis de décider s'ils souhaitent lever leur anonymat respectif.

Cette idée de plateforme numérique, qui a été défendue par d'éminentes personnalités dans une tribune parue récemment dans le journal Libération, nous semble ménager un équilibre entre le droit de l'enfant à connaître ses origines et le respect de la vie privée du donneur. Elle va dans le même sens que la fiche de données non identifiantes dont la fédération française des CECOS propose la création mais elle a sur elle l'immense avantage de permettre la mise à jour des données médicales et l'instauration d'un échange, pourrait-on dire, sur mesure. Cette plateforme serait gérée par un comité multidisciplinaire dédié à l'accès aux origines créé soit ex nihilo soit par extension du Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP). Le CNAOP pourrait aussi organiser des médiations pour les rencontres entre donneur et enfant. Il transmettrait les informations génétiques, ainsi que le prévoit le code de la santé publique, et transmettrait aussi à l'enfant l'identité du donneur si celui-ci est décédé.

Le législateur, s'il n'a pas su anticiper les questions que l'enfant conçu par don de gamètes se poserait plus tard, doit à présent les prendre en compte. Puisque l'État a organisé l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, ce dont nous lui sommes reconnaissants, il lui faut permettre la communication entre les personnes concernées qui le souhaitent en mettant en place un pont permettant aux libertés individuelles de s'exercer. Mme Simone Veil disait : « Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême. »

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