Intervention de Laurence Roques

Réunion du mardi 16 octobre 2018 à 18h20
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Laurence Roques :

Vous nous avez demandé pourquoi les États ont des législations si variées sur la GPA, y compris en Europe. Je crois que les pays peuvent être répartis en deux groupes. Un premier regroupe les pays de philosophie kantienne pour lesquels l'homme est au-dessus de tout et doit être protégé, même contre sa volonté : c'est cette philosophie qui, dans notre pays, a fait choisir le don gratuit qui concerne les gamètes mais aussi plusieurs principes qui sont ceux de la PMA. Le second groupe est constitué de pays, souvent anglo-saxons, dont le droit est fondé sur le principe de la liberté individuelle qui permet aux personnes majeures de disposer librement de leur corps. En France, des débats font ainsi rage sur le statut de la GPA, qui pour certains serait une location de son corps, alors que d'autres nient qu'il puisse y avoir une libre disposition du corps dans une relation qui relèverait de l'abus de pouvoir. Dans les pays anglo-saxons, un juge vérifie l'équilibre des parties dès lors que le consentement est libre et éclairé. Mais il importe surtout de noter que la France est le seul pays à interdire la GPA sans parvenir à gérer le statut des enfants nés de GPA à l'étranger.

Pourquoi la France résiste-t-elle ainsi, malgré la jurisprudence de la Cour européenne ? La Cour de cassation vient de rendre dans le dossier Mennesson un énième avis dans lequel elle demande que la Cour européenne réinterprète l'arrêt qu'elle avait rendu en 2014. Les jumelles ont bientôt dix-huit ans et le combat des époux Mennesson durera bientôt depuis deux décennies, puisque la réponse de la Cour européenne va prendre encore deux ans !

La Cour de cassation dit clairement qu'elle entend dissuader les couples de recourir à la GPA. Elle considère que plus la procédure sera compliquée, moins les gens y auront recours. Mais c'est se tromper d'analyse ! Car je sais, pour avoir défendu un certain nombre de couples, que c'est le désir d'enfant qui fait la GPA, quels que soient les obstacles juridiques. Les époux Mennesson ont été mis en garde à vue et ont été poursuivis pénalement, une ordonnance de non-lieu ayant été rendue car l'infraction n'était pas constituée à l'étranger. Leur exemple montre ce dont les gens qui recourent à la GPA sont capables ! La GPA ne concerne d'ailleurs pas seulement les riches. J'ai parmi mes clients des couples qui consacrent à une GPA toutes leurs économies ou qui recourent à des prêts. Certes, ils bénéficient d'une solidarité familiale, mais c'est parce que le désir d'enfant est le plus fort. Car, lorsqu'on considère la GPA, il nous faut aussi prendre en compte le fait que l'adoption à l'étranger est devenue très rare suite aux règles qu'a instaurées la convention de La Haye. On dit ainsi à ces couples qu'ils ne pourront ni adopter, ni avoir des d'enfant nés par GPA.

Et comment expliquer que des femmes qui n'ont pas d'ovocytes puissent enfanter, car le don d'ovocytes est autorisé en France, tandis qu'on empêche d'avoir des enfants des femmes frappées d'une maladie qui les prive d'utérus ou empêche leurs grossesses d'aller à terme ? Je ne vous rappellerai pas, sur ce sujet, plusieurs scandales concernant des femmes âgées d'une trentaine d'années qui avaient pris des médicaments. Aujourd'hui, la science autorise et juge éthique le don d'ovocyte, alors qu'avoir un enfant par GPA est interdit. Or, les avancées de la science font qu'il n'est plus possible de tenir que « la mère est toujours sûre », et je pense que nous ne pourrons pas, à terme, faire l'économie d'une réflexion sur la filiation et la parentalité. Cet adage est, vous l'avez dit, très vieux, et d'un temps où des femmes portaient déjà des enfants pour d'autres qu'elles leur laissaient ensuite : je vous renvoie à la Bible. En revanche, est nouveau le fait que l'enfant puisse avoir trois mères : celle qui donne ses ovocytes, qu'on appellera la mère biologique, celle qui porter l'enfant, qui est la gestatrice, et celle qui est à l'origine du projet d'enfant, la mère d'intention. Et j'aurais envie de dire, en paraphrasant la célèbre réplique de Raimu dans Fanny de Marcel Pagnol, que « la mère, c'est celle qui aime ».

Désormais, la Cour de cassation considère que la seule mère possible est la mère qui accouche, même si l'enfant est né d'un don d'ovocyte. Pour la Cour européenne des droits de l'homme, le matériel biologique est en revanche fondamental pour l'identité de l'enfant, ce qui a d'ailleurs donné lieu à toute la jurisprudence sur l'anonymat. La Cour de cassation s'est donc de toute évidence mise elle-même dans une ornière car la Cour européenne n'acceptera pas que la mère d'intention ne soit pas reconnue juste parce qu'elle n'a pas accouché. C'est la raison pour laquelle elle a interrogé en 2018 la Cour européenne pour savoir s'il ne conviendrait pas de distinguer entre les femmes qui, dans le cadre de la GPA, auront donné leurs ovocytes ou ne les auront pas donnés. Mais valider cette distinction ne reviendrait qu'à créer une nouvelle discrimination !

Si la France décidait à l'avenir de ne plus considérer que la mère est celle qui accouche, il serait possible d'appliquer pour la mère la règle existant pour le père : de même que le père est celui qui reconnaît l'enfant, la mère serait celle qui déclare être mère de l'enfant. En attendant l'ouverture éventuelle d'un débat sur la filiation, le plus simple, pour améliorer le statut des enfants nés de GPA, serait de reconnaître automatiquement la validité des actes et surtout des jugements étrangers qui ont donné lieu à cette filiation. Ainsi, il n'y aurait pas d'opposabilité. Si l'on voulait absolument mentionner que ces enfants sont nés de GPA, on pourrait envisager que, comme il en est depuis 2005 pour l'adoption plénière, existent pour ces enfants deux actes de naissance : un acte destiné aux administrations ne mentionnant pas l'adoption, afin que les enfants adoptés ne soient pas discriminés, et une copie intégrale que seul l'enfant adopté peut demander et qui porte la totalité de sa filiation. Le grand drame de l'adoption plénière était en effet que certains parents ne disaient pas à leurs enfants qu'ils avaient été adoptés, en sorte qu'ils ne pouvaient pas avoir accès à leurs dossiers, notamment aux dossiers de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) pour les enfants nés lors d'accouchements sous X.

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