Intervention de Joëlle Belaisch Allart

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 14h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Joëlle Belaisch Allart :

Monsieur le président, j'évoquerai principalement la préservation de la fertilité dans le cadre de l'autoconservation, mais nous pourrons aborder aussi les autres modes de préservation.

Le désir d'enfant est devenu de plus en plus tardif. On accuse toujours les femmes, la pilule, le carriérisme, mais il faut aussi le temps de rencontrer l'homme de sa vie ou le « prince charmant », c'est-à-dire celui avec qui on veut faire un enfant et fonder une famille, et surtout que celui-ci soit d'accord pour le faire. Toutes les études scientifiques sur ce sujet montrent que le problème principal est bien celui de l'homme et non celui de la femme carriériste.

De plus, la fertilité des femmes, ainsi que celle des hommes, chute avec l'âge. Contrairement à une idée reçue, l'assistance médicale à la procréation (AMP) « classique » – intraconjugale avec l'ovocyte et le sperme du couple – ne compense pas la chute de la fertilité due à l'âge. Si les ovaires sont vieux, s'il n'y a plus de follicules, on pourra toujours stimuler, il n'y aura jamais de réponse. À toutes les femmes dans la quarantaine qui viennent dans nos cabinets et dont la réserve ovarienne est trop faible, nous ne pouvons proposer que le recours au don d'ovocytes. À l'énoncé de l'expression, on pense en France : pénurie de donneuses. C'est vrai, mais à cela s'ajoute le fait que ces grossesses sont plus risquées, parce que le foetus est totalement étranger à la mère et non pas semi-étranger comme dans une grossesse classique. Il existe pourtant une solution permettant de régler ce problème pour toutes les femmes de la quarantaine concernées : c'est la conservation d'ovocytes à un âge où leur fertilité est encore optimale.

C'est le sujet de ce jour. L'autoconservation consiste tout simplement, autour de la trentaine, à trente-cinq ans maximum, à stimuler l'ovulation et à opérer une ponction pour recueillir les ovocytes afin de les congeler. En pratique, cela se fait dans un centre de fécondation in vitro (FIV). Or actuellement, cette conservation n'est légale en France que dans le cadre de la préservation de la fertilité avant un traitement potentiellement stérilisant. Le cas classique est celui d'une femme atteinte d'un cancer du sein qui va subir une chimiothérapie. Après avoir enlevé le cancer et avant la chimiothérapie, on peut prévoir une préservation de la fertilité. C'est possible dans un nombre de centres limité parce que le schéma régional d'organisation sanitaire (SROS) l'a cantonné à un nombre extrêmement réduit de centres.

Il y a des arguments « pour » et quelques arguments « contre », que nous acceptons tout à fait d'entendre. Les arguments « pour » sont le recul de l'âge du désir d'enfant, l'allongement de la durée de la vie, le fait que la technique de congélation par vitrification – la plus efficace – est autorisée depuis la loi de 2011 et la pénurie de dons d'ovocytes. Il suffirait, dit-on souvent, que les femmes fassent leurs enfants plus tôt. Mais un retour en arrière est impossible. Même si les patientes sont informées, elles n'ont pas toujours, j'y insiste, rencontré à temps l'homme avec qui faire un enfant. C'est leur liberté individuelle.

Pourquoi autoriser l'autoconservation ? Il y a l'égalité homme-femme. Il y a le fait que sur le plan médical, une grossesse avec ses propres ovocytes pose moins de problèmes qu'avec un don d'ovocytes. Et puis, comme les internautes l'ont exprimé au Comité consultatif national d'éthique (CCNE), si on ne l'autorise pas, on va pousser les femmes de quarante ans désespérées de n'avoir pas rencontré l'homme de leur vie ou leur « prince charmant », à faire un enfant seules, au risque d'augmenter le nombre des familles monoparentales involontaires, parce qu'elles se disent : c'est maintenant ou sinon je ne l'aurai jamais.

Bien sûr, il y a des arguments « contre », notamment l'inégalité sociétale, si c'est payant – le coût est d'environ 3 000 euros –, et les risques liés à la stimulation de l'ovulation et à la ponction. Ces derniers sont très faibles, inférieurs à 1 %. Je me permets de vous signaler que dans le cadre du don d'ovocytes, la France entière, dans le cadre de la loi, a jugé qu'on pouvait faire prendre ces risques à une donneuse pour le bénéfice de quelqu'un d'autre. Dès lors, on ne voit pas pourquoi on refuserait à une femme de prendre ces risques pour elle-même.

On met en garde contre le faux espoir que peut donner le recours à l'autoconservation. Est-ce que ce sont des « bébés au congélateur » ? Fort heureusement, non : ce ne sont que des ovocytes. Nous disposons aujourd'hui de données claires. En congelant dix ovocytes avant l'âge de 35 ans, les chances de naissance sont de 60 % ; après l'âge de 35 ans, elles sont de 30 %.

On évoque aussi l'encouragement qui serait apporté à des grossesses tardives. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), que je représente, estime qu'idéalement, les femmes doivent reprendre leurs ovocytes avant l'âge de 40 ans et que, dûment informées des risques, elles peuvent le faire jusqu'à 50 ans. Pourquoi avoir rédigé une phrase un peu ambiguë ? Parce qu'en fixant un âge limite à 45 ans, on autoriserait l'autoconservation à une femme de 44 ans et neuf mois, obèse, hypertendue, diabétique, dont la grossesse serait très dangereuse, tandis qu'on la refuserait à une femme de 45 ans et un jour, « jeune », mince et en bonne santé. Nous avons donc décidé, à l'unanimité, de considérer que le retrait pour utilisation serait optimal avant 45 ans et possible entre 45 et 50 ans, si l'état de la femme le permet.

J'ajoute qu'un sondage réalisé au sein du Collège montre que 80 % des professionnels soutiennent la demande d'autoconservation. Nous pensons qu'il n'y a pas de raison de ne pas laisser les femmes libres de décider. Surtout – et je le dis à titre personnel – il est difficile à l'ère d'internet de ne voir que des frontières financières. Actuellement, tout autour de nous, l'autoconservation est possible.

Vous savez mieux que moi que si nul remet en cause des lois universelles comme « Tu ne tueras pas » ou « Tu ne voleras pas », une loi qui n'existe que d'un côté de la frontière, parfois fondée sur des croyances ou des idées religieuses discutables, pose question. On ne comprend donc plus la loi actuelle. L'Académie nationale de médecine a tranché en faveur de l'autoconservation, de même que le CCNE, dont j'ai été membre, et les professionnels.

Pour nous, il ne resterait plus que deux interrogations. Premièrement, en quoi la société est-elle concernée ? Elle l'est au regard d'une éventuelle prise en charge, mais nous pensons tous que l'on peut dissocier autorisation et prise en charge. Deuxièmement, et c'est la vraie question éthique, comment l'autoriser sans l'encourager ? Bien sûr, il vaut mieux que l'enfant ait des parents pas trop vieux, bien sûr il vaut mieux convaincre et expliquer. Nous voudrions que toutes les femmes soient informées. Cela ne signifierait en rien que toutes les femmes franchiraient le pas, puisque les dernières statistiques de l'Institut national d'études démographiques (INED) et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) montrent que 78 % des femmes font leurs enfants avant 35 ans, en sorte que moins de 25 % seraient concernées.

Enfin, les professionnels de santé insistent sur le fait que la préservation n'est actuellement possible que dans un très petit nombre de centres autorisés par le SROS, dans le cadre de la préservation avant un traitement potentiellement stérilisant. Nous voudrions que l'autoconservation ovocytaire soit possible dans tous les centres d'AMP, actuellement au nombre de 102 selon les dernières données de l'Agence de la biomédecine (ABM), privés et publics, et que cela ne relève plus d'une autorisation, comme celle du SROS pour le cancer. Dans notre dernier sondage, 77 % des gynécologues se déclarent favorables à l'autoconservation dans tous les centres publics et privés, parce que nous n'en pouvons plus de voir les femmes sortir en larmes de nos bureaux ou aller à l'étranger, pour celles qui le peuvent. Il ne nous semble pas très conforme à la justice et au progrès que celles qui le peuvent le fassent et que celles qui ne le peuvent pas ne le fassent pas.

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