Intervention de Virginie Rio

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 14h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Virginie Rio :

Notre association de patients de l'AMP et de personnes infertiles et stériles regroupe en majorité des couples hétérosexuels âgés de 31 à 36 ans, ainsi que des femmes seules, des hommes et des femmes marqués par différentes infertilités et qui vivent des parcours d'AMP intraconjugaux ou avec don de gamètes, en France ou à l'étranger – des parcours d'ailleurs plus ou moins longs.

Notre projet associatif s'inscrit dans un champ large, qui s'étend de la prévention à la sensibilisation du grand public au sujet de la fertilité, de l'infertilité et de l'AMP, en passant par l'information, l'accompagnement et le soutien des personnes en parcours d'AMP, ainsi que de celles qui en sortent, avec ou sans enfant.

Nous nous investissons pour témoigner, informer et agir sur toutes les questions médicales liées aux infertilités et à l'AMP. Nous participons pour cela à des congrès médicaux, à des groupes de travail avec l'ABM et des professionnels de l'assistance médicale à la procréation. Nous essayons d'organiser tous les ans une semaine de sensibilisation sur l'infertilité. Nous accompagnons quotidiennement les personnes qui s'adressent à nous. Pour cela, nous proposons aussi des groupes de parole et de soutien dans différentes villes de France.

Nos actions concernant aussi les questions administratives et sociales, notamment les autorisations d'absence, qui permettent de mieux articuler les protocoles de soins avec les obligations professionnelles.

Nous menons également des actions culturelles et artistiques, afin de montrer à la société que l'infertilité n'est pas un tabou. Nous proposons des ateliers créatifs. Nous avons même organisé une exposition.

Pour nous, la révision de la loi de bioéthique est une formidable occasion de remettre à plat les quelque cinquante ans d'assistance médicale à la procréation en France. Je rappelle que la société française des débuts de l'assistance médicale à la procréation n'est plus du tout la même qu'aujourd'hui et n'est même plus la même que celle de la première loi de bioéthique, qui date d'il y a déjà vingt-quatre ans. Il en va de même des techniques médicales. Nous souhaitons que la loi de bioéthique gagne en cohérence et en pertinence sans contrevenir aux principes éthiques que sont la bienfaisance, l'autonomie, la non-malfaisance et la justice.

Pourtant, actuellement, le système médico-juridique de l'AMP induit des inégalités, maintient des discriminations, empêche l'amélioration de certains diagnostics et de certaines thérapeutiques. Il provoque aussi des tensions dans la société et surtout ne permet pas le respect de ces quatre grands principes pour nombre de nos concitoyens. C'est pourquoi, forts de notre expérience, nous souhaitons insister sur quatre points.

Premièrement, il est indispensable que la santé environnementale et la santé reproductive deviennent des sujets de premier plan dans notre pays et que la société comme les acteurs politiques en prennent pleinement conscience. Il importe de penser l'infertilité et l'assistance médicale à la procréation en termes de santé publique globale. Nous déplorons, avec le CCNE, le peu d'intérêt qu'a suscité le thème « santé et environnement » lors des États généraux de la bioéthique. Pour nous, c'est pourtant le point essentiel, car sans action en direction de la santé environnementale, la fertilité humaine n'ira pas bien loin, même avec une AMP plus performante. Pour nous, cela n'a pas de sens que de ne penser qu'à la solution « AMP » sans s'occuper des causes des infertilités. L'AMP est une chance incroyable pour les couples infertiles, mais c'est une chance que nous aimerions tous ne pas avoir à utiliser. Pour cela, il faut une prise de conscience et une mobilisation majeure autour des enjeux, sanitaires, démographiques et économiques, actuels et futurs, de la fertilité et de l'infertilité de l'AMP. C'est pourquoi nous demandons, avec notre partenaire le Réseau Environnement Santé (RES), une grande loi de santé environnementale pour 2019.

Deuxièmement, il faut absolument que l'assistance médicale à la procréation continue à s'inscrire dans les valeurs de solidarité nationale, de droits de l'homme, de respect des libertés humaines fondamentales, dont la santé sexuelle et reproductive fait partie au niveau mondial. Il faut absolument intensifier le respect de la dignité des hommes et des femmes qui ont recours à l'AMP et des enfants qui en sont issus. Nous tenons à rappeler que les enfants que nous avons du mal à avoir ont quand même des yeux et des oreilles, comme tous les autres enfants, et entendent tous les propos négatifs prononcés au sujet de l'assistance médicale à la procréation depuis ces dernières années.

Troisièmement, nous souhaitons affirmer que l'assistance médicale à la procréation doit rester dans le domaine de la santé. Pour nous, c'est une nécessité éthique absolue de maintenir l'AMP du côté du soin. Il faut la protéger des lois libérales du marché. Le domaine de la reproduction humaine ne doit pas devenir un nouveau marché à conquérir et à développer. Les personnes infertiles ne sont pas des cibles commerciales mais bien, comme l'indique l'Organisation mondiale de la santé (OMS), des patients ayant des libertés et des droits.

Quatrièmement, il faut recadrer et limiter les pratiques indignes et illégales qui ont toujours cours en France, comme le recours par défaut au don de spermatozoïdes en dehors de tout cadre sanitaire et juridique, la pression exercée sur les couples pour pallier le manque de dons, avec la pratique du don relationnel, les discriminations par l'argent qui persistent, l'inégalité dans l'accès aux soins en fonction du statut conjugal ou de la sexualité ou du phénotype.

Lors de notre audition au CCNE, nous avons sélectionné quatre thèmes à étudier et à faire évoluer. Nous ne reviendrons pas sur les éléments détaillés figurant dans les documents que nous vous avons remis, mais nous voulons rappeler ici les titres principaux, qui sont pour nous les points essentiels.

Il faut modifier la définition de l'AMP et les indications de recours à cette technique, actuellement prévues à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique. Ouvrir cet article permettrait de moderniser la loi de bioéthique et de mettre en oeuvre les droits fondamentaux relatifs à la santé reproductive, de mettre fin aux discriminations et d'apporter plus de cohérence.

Il convient aussi de repenser la question du don de gamètes. Nous proposons la mise en place d'une commission regroupant tous les acteurs qui ont émergé via différentes associations, depuis une dizaine d'années, sans jamais travailler ensemble. Nous souhaitons évidemment que les professionnels soient associés à cette commission, parce qu'il faut absolument penser ensemble toutes les questions relatives au don de gamètes.

Concernant l'autorisation de l'autoconservation des ovocytes, c'est pour nous une nécessité. Elle doit s'inscrire dans un programme global de prévention de la fertilité, de nature à réaliser des économies financières, sociales et psychiques importantes. Cela permettrait aussi de réduire la pression exercée sur les donneuses d'ovocytes.

Pour notre association, il est vraiment temps de penser et d'agir différemment au sujet de la fertilité et de l'infertilité. Ces sujets ne doivent plus être traités comme une source de polémique idéologique ni vécues comme un tabou ou une honte. Nous demandons que tout soit mis en oeuvre pour qu'ils deviennent des sujets de santé publique de premier plan.

C'est à vous, Mesdames et Messieurs les députés, mais aussi aux sénateurs ainsi qu'au Gouvernement, de relever ce défi d'une révision de la loi de bioéthique à la hauteur des besoins et des attentes des professionnels, mais surtout des patients, une loi plus cohérente, notamment sur les questions environnementales actuelles, et qui fasse sortir l'assistance médicale à la procréation de la marge dans laquelle elle est maintenue. C'est un sujet complexe car il faut, dans le même temps, ouvrir les indications de l'AMP, améliorer les résultats des techniques actuelles et lutter contre l'augmentation du nombre des situations générant l'infertilité et la stérilité. Nous pensons qu'en regardant en face les problèmes sans parti pris idéologique, nous pouvons réussir cette évolution, car face à la fertilité humaine qui est menacée et au recours à la technique d'AMP qui augmente, la fuite en avant n'est plus possible.

Nous espérons que cette révision de la loi de bioéthique enclenche enfin une prise de conscience collective, parce que les alertes existent depuis bientôt soixante ans et sont encore plus anciennes que l'AMP en France. Il y a cinquante-six ans, Mme Rachel Carson, une biologiste, a écrit un livre qui alertait sur la santé reproductive des oiseaux. L'appel de Wingspread, qui a permis la première définition des perturbateurs endocriniens et évoqué leur impact sur la fertilité des mammifères, c'était il y a vingt-sept ans. L'étude danoise qui a mis en évidence une chute de la qualité et de la quantité du sperme humain date de vingt-six ans. La hausse du nombre de jeunes femmes en insuffisance ovarienne précoce, de celles atteintes du syndrome des ovaires polykystiques, d'endométriose et autres maladies qui impactent la fertilité, les 10 % de couples qui, aujourd'hui, sont atteints d'infertilité inexpliquée, les plus de 147 730 tentatives d'AMP qui ont été réalisées en France, tous ces éléments sont vécus par nos concitoyens.

En 2015, 3,1 % des enfants naissaient grâce à une assistance médicale à la procréation. Les chiffres sont stables, bien que l'INED ait prévu une augmentation, mais, depuis 2009, un peu plus de 2 % des enfants sont nés en France grâce à une technique d'AMP. En tant que parents, on s'en réjouit, mais en tant que personnes infertiles, on souhaite arrêter cette inflation. Trop de couples infertiles sont des lanceurs d'alerte qui s'ignorent mais qu'il faudrait pourtant écouter. Ils sont « invisibilisés » par les représentations sociales et les préjugés qui perdurent en France. Mais regardez autour de vous, allez dans les salles d'attente des gynécologues ou des centres d'AMP et vous les verrez, nombreux, bien trop nombreux. Nous les côtoyons au quotidien. N'omettons pas non plus tous les gens qui ne se savent pas encore infertiles, parce qu'ils ne sont pas encore dans le désir d'enfant. Pour nous, l'avenir de la santé reproductive et de la fertilité humaine se vit aujourd'hui, et c'est en 2019 que vous pourrez soit la moderniser, loin la maintenir dans ses incohérences et ses faiblesses. Les enjeux sont extraordinairement importants pour les enfants et les adultes d'aujourd'hui et pour la société française. Merci de nous donner la possibilité de le dire !

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