Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 14h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Je dirai, sous forme de boutade, qu'il ne faut peut-être pas trop le dire à certains hommes, qui se mettraient à fumer encore plus à titre contraceptif !

Je voudrais d'abord me réjouir de vous retrouver toutes les quatre réunies pour guider notre réflexion. Dans le passé, on a trop souvent engagé des réflexions professionnelles masculines, sans doute pas inutiles, mais il n'y aurait aucun sens que les femmes ne soient pas au premier plan de la réflexion. Nous nous réjouissons aujourd'hui que vous nous apportiez vos compétences et vos impressions sur l'état actuel de notre société sur ce sujet et sur ce vers quoi nous devons évoluer dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique.

Vous avez cité l'augmentation de l'âge moyen des grossesses. Il est aujourd'hui de 31 ans. Pour le premier enfant, il est passé à 29 ans, en augmentation de 5 ans en à peine plus de trois décennies, alors que l'âge moyen du maximum de fertilité est bien inférieur. Désormais, le premier enfant est conçu au moment où le taux de fertilité est déjà en chute significative. Le phénomène s'amplifie parce que l'on voit reculer encore l'âge de la première grossesse. Il est donc nécessaire de réagir. D'évidence, l'éducation est indispensable pour les jeunes filles mais aussi pour les jeunes garçons. Ils doivent être, les uns et les autres, conscients de l'horloge biologique, singulièrement de l'horloge biologique féminine qui, curieusement, reste méconnue. Aujourd'hui encore, beaucoup de femmes, et plus d'hommes encore, croient que la fertilité féminine reste constante jusqu'à la ménopause, moment où elle chuterait brutalement. L'éducation est donc indispensable. Comment impulser une forte action éducative ?

Curieusement, assez peu d'études sont réalisées en France en comparaison des pays anglo-saxons. D'ailleurs, vous nous avez fourni un article rédigé par des auteurs internationaux publié dans la revue Human Reproduction, où on lit notamment : « Message must remain that woman best chances of having a healthy child are through natural reproduction at relatively early age », c'est-à-dire « la meilleure chance d'avoir un enfant en bonne santé est de le concevoir à un âge relativement précoce ». Il suffirait de faire connaître cette phrase à tout le monde. On ne le sait pas, parce qu'il existe des obstacles dans l'Éducation nationale, dans les familles, au sein de la société et sur les réseaux sociaux.

La première cause est l'efficacité de la contraception, que nous appelons pourtant tous de nos voeux. Sans contraception efficace, davantage d'enfants naîtraient de femmes beaucoup plus jeunes. Dès lors qu'elle existe, la tentation naturelle, non seulement pour la femme mais aussi pour le couple, est d'attendre, pour avoir un enfant, que la vie professionnelle, la vie familiale, les conditions de logement, et plus encore le couple, soient stabilisés. C'est souvent un facteur majeur. À notre siècle, les femmes entre 25 et 30 ans sont nombreuses à ne pas vivre encore en couple stable. Tant que les femmes ne sont pas assurées d'avoir trouvé le « prince charmant », elles ne font pas d'enfant. Il faut en prendre conscience. Nous avons un devoir d'éducation que nous ne savons pas encore bien remplir. Donnez-nous des idées.

Il faut aussi dire aux jeunes femmes que tout ce qui est mis en avant, c'est-à-dire la vitrification, la PMA avec ovocytes autoconservés, la possibilité de faire don des ovocytes autoconservés lorsqu'il n'y a plus de projet d'enfant, n'est pas simple. Pour beaucoup de femmes, c'est le parcours du combattant. La stimulation ovarienne, la vitrification des ovocytes, les PMA répétées parfois suivies d'échec avec leurs impacts psychologiques : les gens les découvrent après. En tant que médecin, de nombreuses femmes m'ont parlé a posteriori de leurs déboires en ces termes : « Je ne savais pas que c'était si compliqué, pourquoi cela ne marche-t-il pas à tous les coups ? » Il aurait mieux valu qu'elles l'apprennent et en soient conscientes très tôt pour concevoir leur projet de vie. Cela étant, tout en faisant cette éducation, nous devons respecter la liberté de choix. C'est dans cet esprit que nous essayons de réfléchir avec vous.

Vous évoquez une grande loi pour la santé et l'environnement. Nous l'appelons tous de nos voeux, mais je ne suis pas sûr qu'elle arrivera en 2018, ni même en 2019. Mais demandons-nous d'ores et déjà : qu'est-ce qui est urgentissime ? Certes, essayons d'exclure de nos champs et de notre environnement tous les produits tératogènes et cancérigènes, mais avant l'adoption d'une grande loi, essayons d'impulser la disparition des perturbateurs endocriniens, de lutter plus efficacement contre le tabac et de promouvoir une bonne nutrition et l'exercice physique.

Les hommes refusent de parler de la chute de la fertilité masculine. Tous les journaux féminins en parlent, aucun journal masculin ne le fait. On y voit des femmes assises sur des motos ou sur des voitures, mais on ne parle pas de ces sujets fondamentaux. Mais même si les hommes n'en parlent pas, et peut-être précisément parce qu'ils n'en parlent pas, ils sont très perturbés. L'infertilité est vécue douloureusement par beaucoup d'hommes comme une atteinte à leur honneur. C'est la raison, dans le passé, du secret sur les dons de sperme. Il s'agissait de préserver l'image sociale d'hommes fertiles. Il faut vaincre ces barrières. Donnez-nous des idées pour lancer des campagnes. Vous pouvez être fers de lance pour éduquer la population.

Troisièmement, la recherche est indispensable. La PMA a beaucoup progressé. Grâce à la vitrification, elle est presque aussi efficace avec des ovocytes congelés qu'avec des ovocytes frais, sauf qu'avec des ovocytes frais, le taux reste faible et augmente peu. Il faut développer la recherche scientifique, lui insuffler une dynamique nouvelle pour retrouver une meilleure fertilité et réaliser des études en sciences humaines. Les enfants nés d'ovocytes autoconservés sont très peu suivis en France. Il y a moins d'appétence sur ce sujet chez nos responsables des programmes de recherche, moins de thèses en sciences humaines, que dans les pays anglo-saxons. Il faut réduire ce déficit. Sans recherche universitaire ou par les organismes spécialisés, nous en resterons aux idées du XXe siècle. Il faut prévoir, peut-être pas dans la loi mais dans les textes réglementaires, la réalisation d'études prospectives sur l'évolution des enfants et des mères, car quelle que soit la réflexion que nous conduirons ou les auditions que nous réaliserons, notre loi ne sera pas parfaite. Ce sera un travail humain à améliorer. Engager une évaluation prospective dès le début permettra d'identifier les problèmes et d'apporter des corrections autant pour les enfants que pour les mères.

Pour conclure, quelles limites d'âge minimum et maximum proposeriez-vous ?

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