Mesdames et messieurs, merci de nous avoir conviés devant cette auguste assemblée. Ma présentation ne reflétera pas forcément la pensée de mes collègues et nous donnera donc l'occasion de discuter.
Toute notre discussion sera couverte sur le plan juridique par la loi de 1994 qui dispose : « Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales, y compris l'échographie obstétricale et foetale, ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité. » Dans son avis, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) propose d'amender la dernière partie de cette phrase : « détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité. »
De quoi parle-t-on exactement en termes d'organisation ?
L'organisation du DPN est structurée en quarante-huit centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN), établis depuis 1994. De très nombreux participants contribuent à l'optimisation de la prise en charge des DPN, et je ne saurais trop insister sur le rôle des sages-femmes et des conseillers en génétique – qui malheureusement n'ont pas encore un statut officiel en France, alors que ce métier existe depuis plusieurs dizaines d'années et qu'il est absolument indispensable au fonctionnement de nos CPDPN.
Pour le DPI, il existe cinq centres : Montpellier, représenté par le professeur Samir Hamamah, Béclère-Necker, représenté par le professeur Nelly Achour-Frydman et moi-même, Strasbourg, Nantes et Grenoble qui a ouvert tout récemment.
Ces structures sont extrêmement encadrées pour éviter toute dérive. Les CPDPN sont soumis à l'autorisation de l'Agence de la biomédecine, tandis que les laboratoires de génétique moléculaire ou de cytogénétique dépendent des agences régionales de santé (ARS).
Cette diapositive un peu compliquée résume les pratiques de DPN et DPI en France.
Voyons tout d'abord les cas les plus fréquents, ceux de DPN non programmés. La grossesse se déroule parfaitement, dans le bonheur le plus complet, et arrive soudain ce que nous appelons un signe d'appel biologique ou échographique. Dans une telle situation, très anxiogène pour le couple, on distingue deux cas.
Dans le premier cas, la maladie évoquée est une trisomie 21, accessoirement une trisomie 13 ou 18. Depuis 2017, nous pouvons alors pratiquer un diagnostic prénatal avancé non invasif (DPANI) de la trisomie 21. Ce diagnostic offre l'avantage d'être réalisé non pas sur un prélèvement de tissu foetal invasif mais par le biais d'une simple prise de sang puisque de l'ADN foetal circule dans le sang maternel. L'analyse de ce mélange d'ADN foetal et d'ADN maternel montre une absence de trisomie 21 dans 90 % des cas. La grossesse peut alors se poursuivre, tout va bien. Dans 10 % des cas, le DPANI montre que la trisomie 21 est probable. Le diagnostic doit alors être confirmé à l'aide d'un caryotype qui nécessite un geste invasif d'amniocentèse.
Le signe d'appel peut évoquer une autre maladie. On passe alors directement à l'amniocentèse et à la recherche d'un réarrangement chromosomique car c'est à peu près la seule chose que l'on sache faire actuellement. On essaie de rechercher une anomalie de nombre ou de structure des chromosomes, mais nous sommes encore incapables, dans le cours d'une grossesse, de rechercher une anomalie génétique. Nous ne savons pas détecter une faute d'orthographe dans le bouquin que constitue le gène. Nous pouvons chercher s'il y a un bouquin en trop – une trisomie 21 – ou si un gros chapitre du bouquin a été arraché – un réarrangement chromosomique.
Venons-en maintenant aux diagnostics programmés. Le couple, qui sollicite ce diagnostic prénatal ou préimplantatoire, a déjà eu le malheur d'avoir un enfant atteint d'une maladie génétique grave. On lui a évalué un risque de récidive de maladie important : 25 %, 50 % ou autres. Lorsque l'anomalie génétique est identifiée, selon le choix du couple, on peut proposer un DPN ou un DPI.
En cas de DPN, deux prélèvements sont possibles pour récupérer du tissu foetal : un prélèvement à douze semaines de placenta, de trophoblaste ; un prélèvement à seize semaines de liquide amniotique. Ces prélèvements donnent lieu à des tests génétiques ou chromosomiques. Si le foetus est atteint, on propose au couple de pratiquer une interruption médicale de grossesse (IMG).
En cas de DPI, le début du processus est celui consacré dans toute AMP : on induit une multi-ovulation chez la femme ; sous échographie, on prélève les ovocytes qui en sont issus ; chaque ovocyte fait l'objet d'une fécondation in vitro (FIV) par injection d'un spermatozoïde provenant du sperme du conjoint ; l'embryon est mis en culture pendant trois à cinq jours. On prélève alors une ou deux cellules, que l'on appelle des blastomères, pour effectuer l'analyse génétique pour laquelle le couple demande un DPI. Les embryons dont l'analyse génétique indique qu'ils ne sont pas atteints peuvent être réimplantés dans l'utérus de la mère. Quand les choses vont bien, cela aboutit à une grossesse.
Voilà le panorama général actuel des DPN et DPI en France.
Pourquoi choisir un DPN plutôt qu'un DPI dans le cadre d'un diagnostic programmé ? Le DPN offre deux avantages : ce n'est pas une procédure très lourde car il n'y a pas d'invasion médicale dans la vie reproductive ; les chances de grossesse sont plus élevées qu'avec une procédure de DPI qui, selon les centres, aboutit à un taux de grossesse par cycle de l'ordre de 20 % à 25 %.
En revanche, le DPN présente deux points négatifs : le délai entre la conception et le prélèvement, qui est extrêmement anxiogène pour les couples, se situe entre quatorze et dix-huit semaines ; il existe un risque d'avoir un foetus atteint et donc de devoir recourir à une IMG, ce qui est toujours un traumatisme pour le couple, en particulier pour la femme.
Quels sont les points positifs du DPI ? Du fait du diagnostic très précoce sur l'embryon, si la grossesse va à son terme, il n'y a pratiquement pas de risques que l'enfant soit atteint, ce qui écarte le recours menaçant à une IMG. Il y a aussi plus de chance d'avoir un enfant sain par cycle puisque six à huit embryons sont testés à chaque fois. Avec six ou huit embryons sur lesquels une analyse génétique est réalisée, il y a beaucoup plus de chance de trouver un embryon sain à implanter que dans le cas d'un DPN avec un embryon unique déjà implanté dans l'utérus de la mère.
Le DPI comporte aussi beaucoup d'éléments défavorables. Le premier tient au long délai qui s'écoule entre la demande du couple et la réalisation de la fécondation in vitro (FIV) et qui est dû à la modestie des moyens accordés aux centres. Il varie de neuf mois pour les anomalies chromosomiques à dix-huit mois pour les maladies monogéniques. Pour les couples, il est difficilement acceptable de devoir attendre aussi longtemps. C'est aussi une procédure extrêmement lourde, aussi bien physiquement que psychiquement pour les femmes. Les couples placent souvent beaucoup d'espoirs dans cette procédure. Malheureusement, on doit récuser certaines demandes qui ne sont pas fondées ou, surtout, dont la faisabilité n'est pas acquise, en particulier quand les femmes n'ont pas assez d'ovocytes ou qu'elles sont trop âgées. Enfin, les échecs sont très nombreux : le taux de succès est d'environ 20 %, ce qui n'est pas enthousiasmant.
J'en viens aux commentaires sur le rapport du CCNE.
Pour le DPN, sur lequel le CCNE n'a pas fait beaucoup d'observations, je vous ai rappelé la loi en vigueur qui insiste sur la notion d'affection d'une particulière gravité. Le CCNE propose de modifier ce texte de la manière suivante : « Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales, y compris l'échographie obstétricale et foetale, ayant pour but d'assurer au mieux, in utero, chez l'embryon ou le foetus, le dépistage, le diagnostic, l'évaluation pronostique et, si possible, le traitement des pathologies ou malformations pendant la grossesse. »
À mon avis, la disparition de la notion de gravité expose à deux risques : une multiplication de demandes de DPN non fondées pour des particularités foetales mineures ; une judiciarisation en cas de maladie non détectée car non détectable. Avec l'échographie et les marqueurs biologiques, nous sommes bien loin de pouvoir détecter toutes les anomalies ; nous sommes bien loin de pouvoir étudier la totalité du génome de tous les embryons. Nous nous exposons donc à des problèmes juridiques.
Le CCNE est extrêmement favorable au DPANI (ou DPNI), cette procédure de détection sur ADN foetal circulant dans le sang maternel. Sa proposition est la suivante : « Il apparaît, au plan éthique et médical, judicieux de favoriser un développement des approches de DPNI sur le sang de la mère et des recherches élargissant la validité des résultats à un nombre supérieur d'anomalies génétiques. La question de son éventuelle extension à l'analyse d'autres gènes de prédisposition, voire à l'ensemble du génome foetal, nécessitera d'apporter une réflexion éthique. »
Je ne peux que souscrire à ce commentaire favorable au DPNI. Cependant, je peux vous dire que « l'extension à l'analyse d'autres gènes de prédisposition, voire à l'ensemble du génome foetal », ce n'est pas pour demain, ni même dans trois, quatre ou cinq ans. Je peux me tromper, mais je pense que ça va demander beaucoup plus de temps. En outre, je ne comprends pas très bien pourquoi le CCNE a placé cette question au niveau du DPNI alors que cette problématique est propre aux tests génétiques, d'une manière générale : pour la population générale, et dans les situations de DPN ou de DPI.
Quant au dernier point, à savoir la position du CCNE vis-à-vis du DPI, je pense que mes collègues pourront commenter mieux que moi. Le CCNE s'est focalisé sur une situation particulière : la recherche d'aneuploïdie, c'est-à-dire l'anomalie du nombre des chromosomes. La trisomie 21 est une aneuploïdie.
La loi en vigueur dispose que « Le DPI ne peut être effectué que lorsqu'a été préalablement identifiée, chez l'un des parents ou l'un de ses ascendants immédiats (…) l'anomalie ou les anomalies responsables d'une telle maladie. Le diagnostic ne peut avoir d'autre objet que de rechercher cette affection. » Cela sous-entend que l'on ne peut rien faire d'autre, qu'il s'agisse de diagnostic ou de recherche.
La proposition du CCNE est la suivante : « Indépendamment de ce contexte de maladie familiale, le DPI pourrait avoir une autre indication : la recherche d'anomalies chromosomiques prédictives d'échecs de FIV, (…) d'une part, pour les couples ayant recours au DPI et, d'autre part, pour certains couples infertiles. »
Chez les embryons du tout-venant – si j'ose dire – ou exposés à un risque génétique du fait d'antécédents familiaux, il est extrêmement fréquent qu'il y ait des anomalies de nombre de chromosomes, en tout début d'embryogénèse, qui aboutissent à des fausses couches. À l'étude génétique du DPI, le CCNE propose d'ajouter la recherche des anomalies de nombre des chromosomes. L'objectif est de ne pas réimplanter les embryons indemnes de la maladie génétique recherchée mais porteurs d'une anomalie chromosomique survenue fortuitement, comme c'est fréquent, afin d'essayer d'améliorer le taux de grossesse qui est très peu satisfaisant.
Je vais vous donner mon avis personnel. Cette proposition rencontre des opinions favorables et d'autres qui le sont moins. L'objectif à atteindre, c'est-à-dire améliorer le taux de grossesse, est scientifiquement controversé. L'augmentation des chances de grossesse après un test d'aneuploïdie n'a jamais été formellement démontrée.
Autre inconvénient : le risque d'éliminer des embryons potentiellement sains. Certaines anomalies chromosomiques constatées sur des embryons se corrigent de façon spontanée. Si l'on élimine ces embryons, on ne peut pas constater cette correction. Ces techniques, qui sont un peu délicates, exposent aussi à des risques de faux positifs. On peut estimer qu'un embryon est porteur d'une anomalie chromosomique alors que ce n'est pas le cas. Voyez que j'émets quelques réserves sur cette option.
N'omettons pas d'aborder l'aspect financier. Si l'on demande aux laboratoires d'ajouter un test d'anomalies chromosomiques pour tous les DPI qui ne le justifient pas au départ, cela va coûter cher à la société. En revanche, l'enjeu financier sera tout à fait intéressant pour les laboratoires – en particulier les établissements privés – qui vont développer ce type de tests. Faisons attention à ne pas nous laisser intoxiquer par des professionnels qui auraient des arrière-pensées plus financières que médicales.
Pour terminer, je peux développer un peu la définition de l'aneuploïdie. C'est ce qui caractérise une cellule qui ne possède pas le nombre normal de chromosomes, comme dans le cas de la trisomie 21. Voyez sur cette diapositive, un embryon normal, issu de la fécondation d'un ovocyte par un spermatozoïde. Tout va bien, c'est une grossesse normale. La trisomie 21, que j'ai prise en exemple, résulte le plus souvent d'une non-disjonction des deux chromosomes 21 dans l'ovocyte. Ce n'est pas normal. L'embryon trisomique donne des fausses couches ou des enfants handicapés. Il y a beaucoup d'autres aneuploïdies que la trisomie 21.
Pour un embryon, il y a quatre situations : sain ; porteur de la maladie génétique familiale ; indemne de la maladie génétique familiale mais porteur d'une aneuploïdie ; porteur à la fois de la maladie génétique familiale et d'une aneuploïdie. Dans le cadre d'un DPI, le CCNE propose de rechercher la maladie familiale en cause et une aneuploïdie, ce qui équivaut à écarter trois embryons sur quatre et à ne réimplanter que les embryons sains afin d'optimiser les chances de grossesse.
Il existe une possibilité que l'aneuploïdie soit limitée aux cellules placentaires. Quand on étudie les anomalies chromosomiques, l'embryon est déjà au stade de blastocyste, où les cellules placentaires et les cellules embryonnaires sont différenciées. On étudie les cellules placentaires. Or une aneuploïdie peut être confinée au placenta, l'embryon étant sain. Soit cette anomalie touchant l'embryon se corrige spontanément, soit il y a un résultat erroné. Il existe donc un risque d'écarter des embryons potentiellement sains.