Intervention de Nelly Achour-Frydman

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 10h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Nelly Achour-Frydman, responsable de l'UFR Biologie de la reproduction de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le diagnostic génétique préimplantatoire est réservé à des couples, souvent fertiles, ayant une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment de son diagnostic. Il consiste à prélever une ou deux cellules d'embryons issus de fécondation in vitro, âgés de trois jours. Les embryons indemnes sont transférés dans l'utérus ou congelés.

D'après le dernier rapport médico-scientifique de l'Agence de la biomédecine, en 2016, 1 300 tentatives ont eu lieu en France, donnant lieu à 180 accouchements, et 199 enfants sont nés vivants.

Le premier point que je souhaite aborder concerne le régime d'autorisation du DPI. En effet, il est autorisé « à titre exceptionnel ». Trois centres hospitaliers universitaires ont été autorisés à le pratiquer en 1999, un quatrième en 2011 et un cinquième en 2017. Pourtant, d'après le rapport de l'Agence de la biomédecine, il existe quarante-neuf centres de diagnostic prénatal (DPN) sur notre territoire. L'offre de soins est donc organisée de telle sorte qu'il soit beaucoup plus aisé pour un couple de recourir au DPN et à l'interruption médicale de grossesse, qui est extrêmement traumatisante, plutôt qu'au DPI.

Il n'y a pas de liste de maladies éligibles au DPI et les indications retenues par les cinq centres de DPI sont les mêmes que celles du DPN. C'est-à-dire que pour les professionnels agréés, l'embryon et le foetus ont le même statut, la même valeur morale.

Alors même que le DPI a pour finalité d'éviter la pratique de l'interruption médicale de grossesse, son accès est rendu difficile pour les couples, en raison tout d'abord de la distance qui existe parfois entre leur résidence et le centre le plus proche, puisqu'il n'y a que cinq centres en France, mais également du fait d'un délai d'attente beaucoup trop long : entre un et deux ans selon les pathologies. Les couples sont découragés et retentent une grossesse spontanée qui s'achève parfois par une interruption médicale de grossesse. Cette forme d'incitation à la pratique du DPN est vécue par les couples comme une maltraitance qu'ils nous attribuent souvent. Cela soulève une question éthique évidente.

Dans ce contexte juridique d'exceptionnalité, les hôpitaux publics qui ont été autorisés à pratiquer le DPI devraient prendre conscience qu'il est de leur devoir d'augmenter l'activité de leur centre de DPI.

Mon deuxième point porte sur la question de l'eugénisme. Selon moi, l'eugénisme consisterait à vouloir éradiquer une mutation ou un trait génétique de notre espèce. Je tiens donc à rappeler solennellement que dans le cas des maladies récessives, lorsque chaque membre du couple est porteur de la mutation sans être malade et qu'un DPI a révélé des embryons porteurs de cette mutation à l'identique des parents, donc étant eux-aussi « porteurs sains », ils sont transférés dans l'utérus car le souhait de ces couples est d'avoir un enfant indemne de la maladie, y compris s'il est porteur de ce trait génétique particulier et s'il risque à son tour d'être confronté aux mêmes problèmes que ses parents. Ces couples se sentent souvent insultés par les propos idéologiques tenus par certains sur des plateaux de télévision ou dans la presse. Je veux rappeler qu'avoir un enfant malade est une épreuve terrible et qu'il faut simplement entendre que la seule différence entre ces couples et ceux qui ne sont pas confrontés à cette expérience, c'est la souffrance.

C'est donc au nom de ces couples, et pour eux, que je soutiens ici que le DPI n'est pas un eugénisme organisé.

Mon troisième point concerne la note que je vous ai adressée en préalable à cette audition, concernant l'amélioration de la qualité des soins pour les couples infertiles. En 2016, 300 000 embryons ont été conçus dans les laboratoires de fécondation in vitro. Parmi eux, 71 000 ont été transférés dans l'utérus et 75 000 congelés. À l'issue du transfert de ces embryons, 11 700 enfants sont nés. Ce qui revient à dire que 17 % des embryons seulement s'implantent et donnent naissance à un enfant. Par ailleurs, pour 3 000 embryons, il y aura une implantation, mais elle aboutira à une fausse couche. Les embryons transférés sont pourtant choisis par des biologistes extrêmement bien formés et selon des critères morphologiques standardisés. Pourtant, 83 % des embryons ne répondront pas aux espérances fondées par les biologistes et les couples au moment de leur transfert.

Malgré tous nos efforts, nous ne pouvons pas offrir mieux aux couples. Alors on tente le transfert de deux embryons, car cela augmente mathématiquement les chances que l'un d'eux s'implante, en prenant le risque d'exposer le couple à une grossesse gémellaire, qui survient encore dans 15 % des cas.

L'une des causes d'échec d'implantation ou de survenue de fausse couche est l'existence d'anomalies chromosomiques, extrêmement fréquentes au stade où nous transférons l'embryon. C'est pourquoi l'ensemble des sociétés savantes de reproduction et trois collèges de médecine se sont prononcés en faveur de la pratique du diagnostic des anomalies chromosomiques sur l'embryon avant son transfert. Comme pour le DPI, un prélèvement de cellules est nécessaire, mais sur des embryons âgés de cinq ou six jours. Les cellules sont prélevées sur le trophectoderme, qui est le futur placenta, et non sur le futur foetus, déjà constitué, qui s'appelle la masse cellulaire interne de l'embryon. L'objectif est de rechercher les anomalies chromosomiques qui empêchent l'implantation ou mettent en péril la grossesse.

C'est pour cela que nous avions décidé que ne serait recherchée aucune anomalie chromosomique compatible avec la viabilité de la grossesse, comme les anomalies touchant les chromosomes sexuels ou les trisomies viables, comme les trisomies 13, 18 ou 21, puisque l'objectif est d'éviter la survenue de fausses couches ou un défaut d'implantation. Dans son dernier avis, le CCNE a émis un avis favorable à cette pratique pour des couples particuliers, et le Conseil d'État a recommandé une étude médico-économique sur ce sujet dans un avis aux délibérations duquel j'ai eu la chance de prendre part.

J'aurai aimé aborder le problème du DPI avec typage des antigènes d'histocompatibilité (HLA), mais il a fallu faire des choix au vu du temps qui m'était imparti.

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