Intervention de Nelly Achour-Frydman

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 10h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Nelly Achour-Frydman, responsable de l'UFR Biologie de la reproduction de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart :

En ce qui concerne la manière dont la recherche sur l'embryon peut aider à améliorer la qualité des soins, il faut d'abord avoir à l'esprit qu'il existe deux régimes de recherche différents : d'une part, celui qui aboutit à la destruction de l'embryon et dont les autorisations sont gérées par l'Agence de la biomédecine et, d'autre part, le régime mis en place par la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016, dont l'article 155 autorise la recherche clinique au bénéfice de l'embryon, si le couple y consent. La recherche biomédicale ou impliquant la personne humaine est donc possible depuis 2016.

C'est la raison pour laquelle, dans l'avis rendu par les sociétés savantes de biologie et médecine de la reproduction et par trois collèges de médecins hospitalo-universitaires, nous nous sommes prononcés en faveur de travaux cliniques visant à évaluer l'intérêt de la pratique de ces recherches d'aneuploïdies. La littérature fait déjà état de quatre études prospectives randomisées réalisées par nos collègues américains ou anglais qui ont démontré leur bénéfice, mais ce n'est pas suffisant.

Nous estimons donc qu'il faudrait déposer auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) une demande de recherche clinique. Nous voyons déjà néanmoins deux obstacles se dresser devant nous. Le premier est qu'on soit tenté de nous accuser de vouloir faire du DPI – lequel est réservé aux pathologies d'une particulière gravité – et d'essayer pour cela de contourner la loi, sachant que, pour des recherche cliniques menées dans le cadre d'une AMP, l'ANSM consulte l'Agence de la biomédecine.

Le second problème est que, pour mener ce type de recherches, il faut souscrire une assurance. Or on ne voit pas trop quel assureur accepterait d'assurer une étude impliquant des embryons destinés à être implantés, car même si le couple a donné son accord, il n'est pas absurde de considérer qu'au premier problème rencontré par l'enfant, y compris dans les dix années suivant sa naissance, il pourra décider de se retourner contre le protocole de recherche clinique.

Μ. Samir Hamamah. J'ai l'immense bonheur de diriger à l'INSERM l'unité 1203 dont les travaux portent sur le développement embryonnaire précoce, c'est-à-dire la première semaine de développement. Il faut savoir que les recherches sur l'embryon sont soumises aujourd'hui à des procédures extrêmement lourdes : entre le moment où vous avez une idée, aussi noble soit-elle, et le moment où l'Agence de la biomédecine vous donne le feu vert, il s'écoule, dans le meilleur des cas, entre dix-huit et vingt-quatre mois.

Ajoutez à cela le fait qu'il faut chaque année rendre un rapport et subir une inspection : neuf dixièmes de mes collègues se découragent, si bien qu'au bout du compte le nombre de protocoles autorisés par l'Agence de la biomédecine en matière de recherche embryologique préimplantatoire – je laisse de côté la recherche sur les cellules souches embryonnaires – est inférieur à dix par région.

Au-delà de ces difficultés, le risque existe également que la décision de l'Agence de la biomédecine soit attaquée. Cela m'est arrivé il y a trois ans, lorsque l'autorisation dont je disposais a été attaquée par la Fondation Jérôme-Lejeune – pour ne pas la nommer – et annulée par le tribunal administratif. Il m'a fallu ensuite dix-huit mois pour faire casser la décision du tribunal.

Voilà donc une fondation reconnue d'utilité publique, qui peut, avec de l'argent public, se payer les meilleurs avocats de Paris pour paralyser la recherche française. Dans ces conditions, je ne vois pas comment on parviendra un jour à porter le pourcentage de tentatives de fécondation in vitro qui aboutissent à une naissance au-delà de 20 %. Nous n'avons aucune chance de progresser sans une recherche digne de ce nom.

Je vous invite à réfléchir aux 150 000 embryons que l'on détruit, alors qu'ils pourraient parfaitement servir à la recherche. Les Français sont des gens sérieux et je vous mets au défi de me citer un seul scandale qui ait éclaboussé, ces quarante dernières années, l'une des disciplines médicales les plus réglementées et les plus surveillées.

J'entends les idéologues prédire que le DPI va déboucher sur une sélection des enfants « sur catalogue », avec possibilité de choisir la couleur de leurs yeux ou leur quotient intellectuel. Mais arrêtons cette langue de bois et pensons aux couples qui attendent. Pensons aussi aux soixante-deux équipes de recherche françaises qui sont obligées de constater que, dans les appels à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR), n'apparaissent jamais ni le mot embryon, ni le mot gamète, ni le mot reproduction.

M. Philippe Berta vous le confirmera : cela nous oblige à consacrer notre temps à chercher et à négocier des financements. On nous parle de conflits d'intérêts, mais si mon unité INSERM fonctionne aujourd'hui, c'est davantage grâce à des crédits non institutionnels que grâce à des crédits institutionnels. Voilà la situation de la recherche aujourd'hui. Or, pour faire de la recherche, il ne suffit pas d'avoir une bonne idée, il faut aussi avoir des moyens humains et financiers.

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