Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17h05
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Monsieur Le Méné, vous souhaitez éviter la production d'un grand nombre d'embryons surnuméraires pour la pratique des fécondations in vitro, sachant qu'au bout de cinq ans ou davantage, la grande majorité sont détruits à défaut de projet parental. Il arrive qu'une ou deux cellules soient prélevées pour développer une lignée de cellules souches mais l'immense majorité sont détruits sans autre prélèvement. Les experts que nous avons entendus estiment que la recherche sur l'embryon est nécessaire pour éviter la production d'embryons surnuméraires, puisque l'efficacité de la fécondation in vitro est loin d'être suffisante, en particulier dans notre pays. Êtes-vous favorable à la recherche sur l'embryon, sachant d'ailleurs qu'en France, la recherche est autorisée et réalisée sur le foetus ou le nouveau-né, dans des conditions très contrôlées, puisque ce sont des êtres vulnérables qui exigent protection. Si la recherche sur le foetus est autorisée dans certaines conditions très encadrées et contrôlées, pourquoi ne pas appliquer les mêmes règles pour l'embryon, ce qui réduirait la génération d'embryons surnuméraires ?

Vous avez raison de dire que la création des cellules iPS – que nous devons à nos collègues japonais – ouvre des potentialités intéressantes. Pour autant, vous évoquez la nécessité de recherches simultanées sur les deux types de cellules, les cellules souches embryonnaires et les cellules iPS, dans la mesure où elles présentent des intérêts distincts. Les cellules iPS sont intéressantes par leur caractère autologue, plus encore que des lignées de cellules HLA compatibles qui ne garantissent pas contre le rejet. Les cellules souches embryonnaires présentent l'avantage de ne pas être génétiquement modifiées. Ce sont des cellules naturelles permettant une adaptabilité complète du fait de leur immaturité. Les indications ne sont donc pas les mêmes. L'« étalon or » qu'est la cellule souche embryonnaire demeure de toute façon nécessaire, même pour les recherches sur les iPS, comme l'ont d'ailleurs fait les auteurs japonais qui les ont produites en comparaison avec des cellules souches embryonnaires. Les deux posent des problèmes éthiques différents. Vous avez évoqué ceux des cellules souches embryonnaires. Les problèmes posés par les cellules iPS sont, d'une part, que celles-ci sont génétiquement modifiées – ce sont en quelque sorte des OGM – et, d'autre part, qu'on peut avec elles générer des gamètes, ce qui peut être inquiétant si on utilise ces cellules pour la procréation. Pour ces deux catégories de cellules, un contrôle éthique des pratiques est nécessaire, mais vouloir se priver des unes ou des autres serait dommageable.

Vous avez cité l'Agence de la biomédecine. Pour y avoir représenté notre Assemblée pendant de nombreuses années, j'ai souvent entendu dire qu'elle regrettait quelques-unes des actions judiciaires que vous avez développées, n'aboutissant généralement qu'à retarder les recherches ou à générer des dépenses inutiles. L'expression utilisée par l'Agence est celle de « harcèlement judiciaire ». À l'avenir, envisagez-vous, pour faire valoir votre point de vue, une autre voie que celle des tribunaux, qui pénalise lourdement une recherche française déjà en retard sur celle d'autres pays ?

Vous évoquez l'eugénisme. Vous avez bien établi la distinction entre l'eugénisme de masse ou d'État comme on l'a connu au XXe siècle et la prophylaxie individuelle qui évite l'apparition d'une maladie. Celle-ci n'est pas de l'eugénisme, qui désigne toutes les mesures visant à améliorer le patrimoine génétique de l'espèce humaine. Dans un cas individuel, on n'améliore pas le patrimoine génétique de l'espèce. Ce n'est pas en empêchant la naissance d'un trisomique 21 ou d'une autre paire chromosomique qu'on améliorera l'espèce humaine.

Enfin, vous refusez le diagnostic prénatal, ce que je comprends tout à fait. D'ailleurs, personne n'envisage de l'imposer à toutes les familles qui, pour des raisons éthiques, de conviction, de réflexion comme celles que vous avez développée, ne le souhaitent pas. Mais pourquoi voudriez-vous qu'on ne l'autorise pas pour la majorité des Français qui, eux, le souhaitent, afin d'éviter l'apparition de maladies génétiques très graves ? Autrement dit, un respect mutuel entre ceux qui veulent recourir au dépistage prénatal et ceux qui ne le veulent pas est-il pour vous concevable ?

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