Intervention de Jean-Marie le Méné

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17h05
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Marie le Méné :

Vous venez de parler de l'eugénisme et du dépistage prénatal. Je ne partage pas votre définition de la prophylaxie. La prophylaxie n'a jamais signifié la suppression du malade à la place de la maladie. Par le dépistage prénatal et l'interruption médicale de grossesse, la prophylaxie ne supprime pas la trisomie mais l'embryon ou le foetus trisomique.

Je ne refuse pas le dépistage prénatal. Je distingue la politique de dépistage et le diagnostic. Le diagnostic est parfaitement justifié dans quantité de cas. Quant à la politique de dépistage prénatal, je ne juge ni les personnes qui y ont recours ni ses prescripteurs, mais je constate qu'elle aboutit à l'élimination complète d'une population, triée non par de méchants eugénistes du passé mais par l'air du temps, c'est-à-dire des machines, des algorithmes, des analyses génétiques ou des analyses diverses, faute de savoir combattre scientifiquement cette pathologie. Comment offrir la possibilité de réaliser ce diagnostic pertinent et justifiable à ceux qui le demandent sans en faire une sorte d'habitude devenue totalement incolore, inodore et sans saveur chez les gens ? Les marqueurs sériques figurent le plus souvent dans la liste des analyses proposées aux femmes enceintes, mais une grande partie d'entre elles ne savent pas qu'elles doivent faire ce test. C'est le résultat qui est alarmant et non le diagnostic. Je dirai même que la technique du diagnostic non invasif, le fameux DPNI, qui arrive dans notre pays comme ailleurs, repose sur une découverte scientifique qui ne m'inspire que du respect. Trouver dans le sang de la mère enceinte des traces du génome de l'enfant qu'elle porte est une découverte extraordinaire. Ce qui est critiquable, c'est l'application technique faite par certaines firmes plus inspirées par l'intérêt financier que par l'intérêt des patientes, des familles et des femmes, comme j'ai essayé de le montrer dans le livre. Bien sûr, il faut passer des découvertes fondamentales à des découvertes appliquées pour le plus grand profit de tous, mais s'agissant de la trisomie 21, c'est le contre-exemple. La trisomie est le cheval de Troie de cette médecine en dérive à cause des intérêts technologiques, du marché, d'un effet de mode. La trisomie est vraiment le terrain d'exercice qui prépare l'arrivée du reste.

D'ailleurs, dans les rapports parlementaires, notamment en 2011, dans les rapports du CCNE ou du Conseil d'État, on lit que l'institution s'est à peu près stabilisée, mais qu'à l'avenir on risque de s'orienter vers des propositions de diagnostics malvenues. Les gens n'ont pas forcément besoin de tout connaître sur tout. À raison, on s'inquiète beaucoup de l'avenir, mais on est incapable de résoudre le problème qui nous est aujourd'hui posé, à savoir le sort injuste réservé à la population trisomique. Par ailleurs, tout le monde s'accorde à dire que la trisomie n'est pas la pathologie la plus insupportable. On se rattrape socialement en demandant à une petite fille trisomique de présenter la météo à la télévision. C'est charmant, mais tout à fait insuffisant au regard de la dureté de la politique menée en matière de trisomie.

Nous n'avons pas de sentiments négatifs à l'égard de l'Agence de la biomédecine ni à l'égard de chercheurs. Nous ne faisons pas de procès aux chercheurs. Sur un certain nombre de projets de recherche qui nous paraissaient légalement délicats, nous avons soumis à l'appréciation du juge administratif des autorisations délivrées par l'ABM, c'est-à-dire des actes administratifs. Il ne s'agit pas d'empêcher les chercheurs de chercher mais de savoir si telle ou telle recherche autorisée par l'Agence de la biomédecine est légale ou pas. Un procès un peu raide nous est parfois fait par les chercheurs, qui nous disent : nous ne pouvons pas chercher comme nous voulons et nous sommes dans une situation d'insécurité juridique. Il est certain qu'en agissant en dehors de la loi, on est en insécurité juridique. C'est au juge de le dire. Il le dit ou il ne le dit pas, mais il y travaille. Les travaux conduits par la Fondation dans ce cadre, sur le plan juridique comme sur le plan scientifique, montrent que dans bien des cas, des recherches autorisées par l'ABM auraient pu être menées sur d'autres types de tissus que l'embryon. Or l'esprit du législateur en 2004 et en 2011 devait conduire à n'utiliser l'embryon que si on ne pouvait pas faire autrement. Les chercheurs ont souvent présenté des projets sans apporter la preuve demandée par la loi qu'ils s'étaient assurés de ne pouvoir faire la même chose avec des cellules souches d'autres organes, de sang de cordon ou des iPS. Nous apportons la réponse que le chercheur lui-même aurait dû apporter et nous demandons au juge si cette recherche est légale ou pas.

J'ai cité trois cas exemplaires. On ne peut pas suspecter le législateur de 2011 d'avoir accepté a priori la recherche sur la fécondation in vitro à trois patrimoines génétiques. C'est très transgressif : le clonage est interdit, la transgenèse est interdite, la création d'un embryon pour la recherche est interdite. Ces exemples sont lourds de sens. Les réponses apportées par le juge sont équilibrée : nous n'avons pas toujours raison. Cela n'empêche pas les chercheurs de chercher, car les recours ne sont pas suspensifs. Ils n'ont pas à s'entourer de pénalistes parisiens : il ne s'agit pas de droit pénal mais d'actes administratifs. Des points de droit ont ainsi été améliorés dans les procédures de l'ABM. La motivation des décisions n'était pas toujours suffisante. Le Conseil d'État a rappelé qu'une autorisation insuffisamment motivée pouvait être entachée d'illégalité. Dorénavant, l'ABM motive davantage ses autorisations.

De même, l'existence d'une alternative aux cellules souches embryonnaires humaines doit être appréciée. Dans une décision récente, le Conseil d'État a admis que les cellules iPS pouvaient être considérées comme ayant une efficacité comparable. Certes, l'information, le consentement des parents, la recherche relèvent de la forme, mais une forme qui emporte le fond. Le Conseil d'État a parfois sanctionné des irrégularités en matière d'information et de consentement des parents. Il faut tout de même que les parents signent. La traçabilité des embryons n'est pas toujours garantie, ce que le Conseil d'État ou les juridictions administratives ont considéré comme irrégulier.

Nous ne cherchons pas à créer la polémique mais, dans une perspective pédagogique, à apporter des améliorations et à faire respecter la loi relative à la bioéthique. Il est paradoxal de constater que la priorité est souvent donnée à ceux qui transgressent la loi et que ceux qui essaient de la faire respecter sont rangés dans le camp des méchants.

Je reviendrai sur l'« étalon or » et sur la différence entre les iPS et les cellules souches embryonnaires. Certes, les cellules souches embryonnaires et les cellules iPS sont différentes au regard de leurs modalités de production, mais cela ne veut pas dire qu'elles ne sont pas équivalentes. La lecture de la littérature médicale montre que si l'on avait auparavant tendance à considérer l'embryon humain comme le golden standard, les recherches visant à comparer les vertus des iPS à celles des cellules souches embryonnaires sont de moins en moins nombreuses. L'embryon apparaît de moins en moins comme l'« étalon or ».

J'ai parlé d'« embryons OGM ». La cellule souche embryonnaire n'est pas si naturelle que cela : elle n'est naturelle que lorsqu'elle est dans l'embryon. Quand elle n'y est plus, elle a été « techniquée » pour être enlevée et placée en culture pour continuer à vivre. La cellule souche embryonnaire a subi une intervention humaine qui ne l'a pas rendue plus naturelle que la cellule iPS. On ne peut pas dire que l'une est artificielle et l'autre pas. Elles sont toutes deux artificielles. Détachée de l'embryon, la cellule embryonnaire n'est pas très à l'aise. Il est facile d'opposer l'une, l'OGM très méchant, à la cellule embryonnaire qui serait naïve et naturelle. La cellule embryonnaire présente aussi un caractère artificiel.

On a considéré aussi que les cellules iPS rencontraient des problèmes, avaient une mémoire épigénétique. On a essayé de leur trouver des faiblesses qui, pour beaucoup, ont été levées. La meilleure preuve est apportée par ce que les Japonais ont réussi à faire en moins de dix ans. Ils ont créé une banque de cellules autologues, stables, ce que nous n'avons pas. Nous avons un retard en matière d'iPS. S'agissant du screening moléculaire et de la modélisation, on peut faire de la modélisation à échelle industrielle avec une cellule iPS sans avoir recours à des embryons. En revanche, pour ce qui est de la thérapie cellulaire, force est de reconnaître que les cellules embryonnaires comme les cellules iPS présentent des difficultés. Je ne dis pas que la cellule iPS est miraculeuse. Le risque tumorigène existe dans les deux. Y a-t-il plus de raisons de favoriser l'une que l'autre ?

Ce qui mérite de donner plus de crédit à la cellule iPS, c'est la plus grande simplicité éthique. On ne se pose pas la question du statut de l'embryon, puisque les cellules iPS sont dérivées de cellules somatiques. Vous avez raison de souligner que le jour où l'on fabriquera chez l'animal des gamètes à partir de cellules iPS, on reviendra vers des problèmes éthiques. L'utilisation de la science et le développement de la technologie posent toujours des problèmes éthiques. On peut toujours faire un mauvais usage d'une bonne technologie ou d'une technologie neutre.

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