Intervention de Jean-Marie le Méné

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17h05
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Marie le Méné :

Je serais favorable à ce que l'on revienne sur les dispositions législatives votées en dehors des États généraux de la bioéthique et qui sont des réformes de fond. Je rappelle que la réforme de la recherche sur l'embryon adoptée en 2013 est la première loi sociétale qui a été votée sous le gouvernement Hollande, avant même celle sur le mariage. C'était une réforme de fond, puisqu'elle a modifié l'équilibre établi par les lois de 2004 et de 2011. On est passé d'une interdiction assortie de dérogations à une autorisation assortie d'encadrement. Je ne sais pas si concrètement, cela change les choses, mais la stratégie est différente. On peut voir dans ce changement stratégique l'origine de notre retard dans le développement d'une banque de cellules souches iPS.

La stratégie du législateur de 2004 et de 2011 visait à autoriser toutes les recherches souhaitables et possibles sur les cellules souches et à n'utiliser l'embryon que si on ne pouvait pas faire autrement. Là, au contraire, on dit : faites ce que voulez sur l'embryon. Si, dès 2008, 2010 ou 2012, on avait mis l'accent sur les iPS, on n'aurait pas pris trop de retard. Il est curieux que cette réforme de 2013 ait été préparée en 2012, l'année où M. Yamanaka a reçu le prix Nobel pour la découverte des cellules souches. On a pris ainsi une orientation stratégique anhistorique. Alors qu'il fallait s'orienter vers les cellules iPS, on s'est orienté vers l'embryon. Je serais donc favorable à ce qu'on rediscute de cette orientation. Tous ceux qui font de la recherche sur l'embryon veulent maintenir la filière mais les Japonais ont fait le contraire et, semble-t-il, avec raison, puisqu'après avoir beaucoup investi, ils obtiennent déjà des résultats sur le plan clinique.

Je rappelle que la réforme de 2016 instaurant un deuxième régime de recherche, dépendant de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et non plus de l'ABM, crée la possibilité de travailler sur des embryons in vitro et de les réimplanter avec les modifications introduites, ce qui n'était pas permis par le passé. Cette réforme a été introduite par un cavalier législatif dans la loi dite de modernisation de notre système de santé, avec des dispositions illisibles pour les parlementaires et le grand public. Ce n'était pas très honnête vis-à-vis des États généraux de la bioéthique qui commençaient à devenir une bonne habitude. Je rappelle que dans l'esprit des États généraux, que l'on retrouve d'ailleurs cette année, si les scientifiques et les médecins ont, dans le domaine scientifique, une compétence incontestée, leur compétence dans le domaine éthique n'est ni plus ni moins importante que celle du citoyen de base, du juriste, du philosophe, de la mère de famille ou du sportif. D'évidence, en 2013 et en 2016, on n'a pas été loyal. Des réformes ont été faites par des scientifiques pour des scientifiques, dans l'obscurité la plus complète pour l'opinion publique et une grande partie des parlementaires. Je ne trouve pas cela honnête et ce serait donc à l'honneur de la démocratie d'y remédier.

Je serais également favorable à une modification visant à autoriser la création de lignées cellulaires iPS. Rien ne s'y oppose. Je suis ouvert à tout ce qui peut être fait en cette matière. Je sais qu'en France, les chercheurs qui font de l'embryonnaire font aussi de la cellule iPS. Compte tenu des développements actuels en Asie du Sud-Est, nous aurions tout intérêt à nous orienter vers ce type d'investissements. Cela ne demanderait pas beaucoup de modifications législatives.

En outre, vous évoquez un risque que je ne suis pas le seul à redouter. La médecine prédictive capable de fournir des informations sur les prédispositions à des maladies que l'on risque d'avoir ou que l'on a déjà mais non encore développées est inquiétante. C'est l'une des raisons pour laquelle le diagnostic prénatal non invasif est angoissant. Il va fournir à des femmes des informations précises, très peu chères, très tôt dans la grossesse, dans le délai de l'IVG et non dans celui de l'interruption médicale de grossesse (IMG), au risque de télescoper l'organisation actuelle. Dans le délai de l'IVG, la femme n'a pas à justifier de quoi que ce soit, tandis que, dans le délai de l'IMG, le relais est pris par la partie médicale. Si ce test devient accessible à huit ou neuf semaines, la femme risque d'obtenir des informations sur la santé de l'embryon ou du foetus qu'elle porte, et elle sera seule, dans un délai où elle n'a besoin de personne pour prendre sa décision et où l'accompagnement médical n'existe pas. Si le diagnostic est délivré très tôt, des femmes devront se débrouiller seules dans une situation anxiogène, voire culpabilisante, au risque de prendre une mauvaise décision : ne pas poursuivre la grossesse en raison d'une prédisposition, sans aucun accompagnement médical. Cela ne paraît pas souhaitable.

Monsieur Hetzel, le budget de la Fondation Lejeune est d'environ 10 millions d'euros, provenant totalement de l'argent privé, puisque nous n'avons jamais obtenu un centime de subvention. Toutes les subventions que nous attribuons sont issues de la générosité du public et vont principalement à des recherches publiques. Ce sont 3 à 4 millions d'euros par an, suivant les années et la moisson. Les appels d'offres sont parfois infructueux. Nous sentons vivement la nécessité de solliciter la recherche et de l'intéresser à des programmes nouveaux, parce qu'elle n'en a ni l'habitude ni les moyens. J'ai cité les recherches croisées sur la maladie d'Alzheimer et la trisomie 21 ou sur le cancer et la trisomie. Nous intéressons ainsi les deux côtés, ceux qui sont intéressés par le cancer et Alzheimer et ceux qui sont intéressés par la trisomie 21. En faisant le pont entre les deux, nous créons une synergie vertueuse. Aux 3 à 4 millions d'euros que j'ai cités, il convient d'ajouter un peu plus d'un million d'euros versé à l'Institut Jérôme Lejeune pour financer la consultation et les recherches cliniques faites à la consultation.

Dans les contacts avec les équipes de l'INSERM ou du CNRS, nous voulons faire changer le regard. Rien ne s'oppose à ce que l'INSERM et le CNRS fassent des recherches sur les maladies chromosomiques. Les chercheurs qui s'y intéressent sont très heureux de le faire et ils ont autour d'eux de petites équipes très heureuses de le faire. Il n'y a pas, a priori, d'obstacle idéologique aux recherches, mais on en a perdu l'habitude. À un certain moment – mais cela a changé –, on disait : la France ayant fait le choix du diagnostic prénatal, il n'y aura plus de trisomie et il est inutile de chercher. Sans même se placer au plan moral, c'est une défaite intellectuelle. Dire que l'on ne chercherait plus parce que la politique de dépistage ferait qu'il n'y aurait plus d'enfant trisomique à cause du taux élevé d'IMG est intellectuellement « moyen ». On se refuserait alors à comprendre la trisomie et à trouver les moyens de la mettre scientifiquement en échec, ce qui représente un grand challenge.

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