Intervention de Jean-Claude Ameisen

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 18h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Claude Ameisen :

Je partirai de votre suggestion qui me semble de nature à éclairer les réponses aux précédentes questions. Parallèlement au rythme des Etats généraux, une délégation permanente en renouvellement continu présenterait l'avantage à la fois de la nouveauté et de la mémoire, un peu comme le CCNE, dont le renouvellement est opéré par moitié ou par tiers, contrairement aux comités d'autres pays, qui sont entièrement renouvelés.

J'ignore pourquoi le terme de révision est utilisé, car il ne figure pas dans la loi et donne d'emblée l'impression qu'on va changer quelque chose. L'expression « nouvel examen » me paraît plus neutre. Un examen à intervalles réguliers est important, mais une délégation permanente aurait l'intérêt de rester en éveil et de définir les priorités en fonction de l'importance des sujets plutôt que de leur nouveauté ou de leur caractère spectaculaire. Elle désenclaverait petit à petit le champ restreint de la loi relative à la bioéthique pour s'intéresser aux rapports entre les avancées de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine, de la santé et de la santé publique. En plus de la continuité, cela déplacerait les focales et préparerait le législateur à l'ouverture du champ.

Je m'étonne que, pour traiter de questions de biologie et de médecine dans le champ de la bioéthique, l'on trouve indispensable d'associer à la réflexion des philosophes, des anthropologues, des sociologues, des juristes et des personnes appartenant simplement à la société, parce qu'un comité d'éthique n'est pas légitime s'il n'est pas de ce type aujourd'hui. Je rêve qu'un jour, pour prendre une décision économique importante, l'on considère qu'il est non pas absurde mais utile d'adjoindre aux économistes des philosophes, des anthropologues, des sociologues, des biologistes, des médecins et des personnes de la société. Nous n'avons pas franchi ce pas. On considère que c'est indispensable lorsqu'il s'agit de tests génétiques, mais absurde s'il s'agit de fiscalité. Pour moi, c'est un modèle autant qu'un bénéfice. Une délégation permanente serait une façon de faire vivre cette réflexion en la maintenant ouverte.

La mise en place d'une délégation permanente serait également une bonne façon de s'assurer, à intervalles réguliers, que l'on fait le point non seulement sur l'application de la loi, mais aussi sur ses effets. Dans notre pays, le classement des hôpitaux en fonction de leurs performances est devenu populaire et fait la couverture des magazines au moins une fois par an, mais je ne lui ai jamais vu associé un classement de l'état de santé des personnes résidant alentour, comme si ça n'avait aucun rapport, alors que la qualité des soins et des traitements faits à l'hôpital a normalement pour objet d'améliorer l'état de santé de la population. Au-delà de la procédure, il conviendrait de mesurer les effets en termes de santé des politiques et des lois mises en place. Pour cela aussi, une délégation permanente serait utile.

Pour ce qui est de l'autonomie, en effet, nous sommes au milieu du gué et nous avançons avec beaucoup de réticence. J'ai été choqué que le Parlement vote, il y a quelques mois, une disposition en retrait par rapport à la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, visant à construire des logements adaptables plutôt qu'adaptés, à charge pour les personnes devenues handicapées de se débrouiller pour les adapter. Ce milieu de gué signifie non pas que l'on avance vers le progrès, mais que l'on hésite. Si nous voulons véritablement construire une société inclusive, n'oublions pas qu'il n'y a pas d'autonomie sans solidarité, et c'est d'autant plus vrai quand on est plus vulnérable et qu'on a encore plus besoin des autres. On peut difficilement dire à quelqu'un qu'il est libre et autonome s'il n'a pas d'électricité, pas de chauffage, pas de route, pas de téléphone, quand bien même il serait en bonne santé.

Cela passe par l'écoute des autres – ce que Paul Ricoeur appelait « se mettre à la place des autres », se considérer « soi-même comme un autre » – et par donner la voix à l'autre. Vous parliez du paternalisme. Autrefois, on parlait pour les femmes, ensuite, ce sont les femmes qui ont parlé. On parlait pour les personnes malades et des associations de patients se sont créées. On parlait pour les personnes handicapées et les personnes handicapées commencent à parler. Si l'on donne à chacun toute sa place, si l'on permet à chacun de s'exprimer et de participer aux décisions collectives, tout le monde devient raisonnable, parce que la réflexion est partagée. Ainsi, on ne construit pas pour les personnes handicapées, mais avec les personnes handicapées.

Dans un premier temps, il convient de s'assurer que dans toutes les instances, la place des personnes vulnérables, la place de celles qui sont en mal d'autonomie ou la place de celles qui peuvent parler pour elles, dans les cas les plus graves, est prévue. C'est essentiel pour changer l'état d'esprit et le regard de la société.

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