Intervention de François Hirsch

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 19h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

François Hirsch, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et membre du comité d'éthique de l'INSERM sur l'édition génique :

Merci de m'avoir convié à cette audition. J'ai souhaité faire un exposé un peu technique afin de nourrir votre réflexion sur cette technologie. Il est rare qu'un chercheur soit le témoin d'une révolution technologique aussi importante.

Il existe plusieurs techniques d'édition du génome, dont le Zinc Finger Nucleases-ZFNs, TALENs et le fameux CRISPR. Les trois découvertes sont à peu près concomitantes. Pour des raisons variées, les deux premières avaient été développées par différents laboratoires. Des essais cliniques sont maintenant réalisés chez l'homme, utilisant la technique TALENs sur des cellules modifiées, mais j'évoquerai principalement la technologie CRISPR.

L'Espagnol Francisco Martínez Mojica a découvert ce phénomène chez la bactérie, qu'il a nommé Clustered Regurlarly Interspaced Short Palindromic Repeat (CRISPR). Les travaux fondateurs ont donc été menés en Europe. Durant une vingtaine d'années, la technologie a été observée et décryptée par d'autres, jusqu'à la véritable révolution, en 2012, date clé à laquelle Jennifer Doudna, en Californie, Emmanuelle Charpentier, qui travaillait à l'époque en Autriche et qui depuis est partie en Allemagne, George Church et Feng Zhang, de Harvard-MIT, à l'est des États-Unis, améliorent la technique et l'adaptent à d'autres génomes, dont les génomes des cellules de mammifères.

L'édition du génome par la méthode CRISPR-Cas – d'autres enzymes que CRISPR-Cas 9 ont été décrites depuis – est porteuse des espoirs suivants : corriger les déficits génétiques ; armer des cellules contre les maladies, dont le cancer et le sida ; éradiquer les animaux « nuisibles », tels que les moustiques responsables de maladies infectieuses en Afrique ou dans les pays du Sud ; modifier les animaux d'élevage ; modifier les micro-organismes et modifier les plantes.

Cela suscite toutefois des tensions. Corriger les déficits génétiques pourrait conduire à une sorte d'eugénisme. Armer des cellules contre les maladies peut provoquer des effets secondaires non attendus : dans le cas du cancer, d'importantes inflammations ont été observées chez des patients à qui on avait injecté des cellules modifiées par un outil CRISPR-Cas. L'éradication des animaux dits nuisibles peut entraîner des effets sur l'environnement, car certains entrent dans l'écosystème : certains moustiques favorisent la pollinisation de plantes et des larves servent de nourriture à des poissons. Modifier les micro-organismes peut avoir des effets dévastateurs et modifier des plantes peut aussi avoir des effets sur l'environnement.

En termes de résultats, je brosserai un panorama actualisé de ce que l'on sait faire et de ce que l'on a fait jusqu'à présent.

Chez l'animal, des avancées spectaculaires et intéressantes pourraient conduire à la reprise des xénotransplantations animal-humain, après le moratoire, décidé il y a quelques années, de l'utilisation d'organes porcins pour une transplantation chez l'homme. Concernant l'éradication des maladies parasitaires, il a été démontré récemment en laboratoire qu'il était possible d'éradiquer une population entière de moustiques, les Anophèles gambiae.

D'autres avancées sont plus contestables. Le magazine Paris Match révélait que des scientifiques chinois, très présents dans la technologie CRISPR-Cas, avaient « fabriqué » des chiens surpuissants. Cet article rapporte une conversation avec le président du comité d'éthique de l'INSERM, M. Hervé Chneiweiss, qui commente cette technologie de confort. Des scientifiques chinois ont réussi à changer la couleur de moutons, ce qui ne présente guère d'autre intérêt que d'affirmer la maîtrise de la technologie. Dans le monde végétal, on a pu éviter, en inactivant un gène, que des champignons blancs noircissent à l'étal. La Food And Drug Administration (FDA) a décidé qu'il n'était pas nécessaire de réguler cette démarche technique, tandis que le Département de l'agriculture des États-Unis a récemment confirmé que la mise en oeuvre de l'édition du génome n'a rien à voir la production d'organismes génétiquement modifiés (OGM). En revanche, en juillet dernier, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par la Confédération paysanne française, a estimé que les techniques d'édition du génome devaient être tenues pour identiques à celles, plus classiques, mises en oeuvre dans la production d'OGM. Une tension apparaît déjà entre les scientifiques des pays européens et nos collègues des États-Unis, sans parler de la Chine, qui n'a pas du tout réglementé ce domaine.

Chez l'humain, l'article 13 de la Convention d'Oviedo du Conseil de l'Europe, ratifiée par la France en 2011, stipule qu'« une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques, et seulement si elle n'a pas pour but d'introduire une modification dans le génome de la descendance ». Tout cela étant désormais possible avec la technologie CRISPR, on peut s'interroger sur la validité de cet article.

Le premier exemple, publié en 2015, a fait frémir la communauté scientifique. Une équipe chinoise a montré qu'il était possible de manipuler des embryons humains par la technique CRISPR. Ces publications figurent dans des revues à l'impact assez réduit, et ces équipes chinoises ont peut-être des difficultés à publier dans les grandes revues.

En 2016, la Human Fertilisation And Embryology Authority, l'équivalent britannique de notre Agence de la biomédecine, a approuvé une demande d'utilisation d'édition du génome dans le cadre de la recherche en vue de manipuler des embryons humains.

En 2016, toujours, le National Institute of Health américain (NIH) a donné un avis favorable au lancement d'un essai clinique utilisant des cellules modifiées par l'édition du génome.

Entre 2012 et 2016, les cas de mise en oeuvre de cette technique se multiplient. Le site américain ClinicalTrials.gov, qui répertorie tous les essais cliniques conduits dans le monde, indique qu'à ce jour, 21 études reposant sur l'utilisation de CRISPR ont été déposées. Elles portent essentiellement sur le cancer et certaines maladies génétiques. En dehors d'une équipe allemande, toutes les demandes sont faites par des équipes chinoises et américaines. Quand j'avais fait une capture d'écran pour une conférence, en février dernier, il n'y avait que 14 études. Le nombre de demandes d'études cliniques utilisant la technologie d'édition du génome est donc croissant.

En 2017, des chercheurs américains essaient de reprendre le leadership en montrant par une autre approche qu'ils sont capables d'utiliser la technique CRISPR-Cas9 sur les embryons humains.

En 2018, une présentation devant un congrès, qui ne s'est pas encore traduite par un article, a montré qu'il était possible d'utiliser la technologie CRISPR pour modifier des spermatozoïdes. Chaque mois, des nouveautés sont annoncées. Des travaux intéressants ont été publiés sur le chien myopathe, montrant qu'il était possible de restaurer sa marche par édition du génome et modification de certains gènes. Il y a florès de publications et de travaux. Nous apprenons ainsi qu'il est possible, par édition du génome in utero, de corriger des maladies métaboliques.

Tout cela conduit à la création de nombreuses compagnies – chaque co-inventeur de la technologie a la sienne, qu'il s'agisse de Jennifer Doudna, d'Emmanuelle Charpentier ou de George Church – et donne lieu à une bataille de brevets, qui commence à s'éclaircir. Récemment, l'Office des brevets des États-Unis a donné l'avantage à l'équipe de Harvard-MIT contre l'Université de Californie. En revanche, l'Office européen des brevets, à Munich, a donné l'avantage à l'équipe californienne sur l'équipe de Harvard-MIT. Bien entendu, des recours sont déposés. Nous, Européens, sommes très peu présents dans cette bataille. J'ai vu que l'université de Vilnius se battait pour un brevet relatif à la technologie CRISPR. À ma connaissance, aucune équipe française ne revendique de brevets autour de cette technologie.

Les techniques d'édition du génome donnent lieu à des résultats et suscitent des craintes.

Des craintes sont exprimées dès 2016 par le directeur de l'US Intelligence Community, aux États-Unis, qui assimile l'édition du génome à une arme potentielle de destruction massive. Cela a été confirmé en 2017 dans le rapport du Conseil national consultatif pour la biosécurité (CNCB), sous le titre Risques associés à un usage dual des techniques de synthèse et de modification programmée des génomes. De réelles craintes sont exprimées à l'égard de l'utilisation non contrôlée de l'édition de génomes.

J'ai découvert hier qu'un grand distributeur par internet, Amazon, vendait au prix de 169,99 dollars un kit CRISPR. Sur la photo de présentation, il est écrit : BioHack The Planet. C'est effrayant. Un tel teasing donne à réfléchir sur les incroyables possibilités de cette technologie accessible à un prix défiant toute concurrence.

J'en arrive au coeur de notre réflexion, la saisine du comité d'éthique de l'INSERM, en juin 2015, par notre président-directeur général, M. Yves Lévy, qui a posé trois questions : quelles sont les questions soulevées par la technologie en tant que telle ? La rapidité de son développement soulève-t-elle des problèmes particuliers ? Sa simplicité d'utilisation appelle-t-elle un encadrement de sa mise en oeuvre en laboratoire ?

M. Lévy, qui avait eu vent de l'énorme engouement pour cette technologie, souhaitait savoir ce qu'il fallait faire au sein de l'Institut. Nous avons rédigé une note en novembre 2015, actualisée en février 2016.

Nous avons fait quelques recommandations, avec pour mot d'ordre : pas de moratoire général. Il était trop tard. La technologie s'est diffusée dans le monde entier. Un moratoire nous paraît peu réaliste. En revanche, nous souhaitons : encourager une recherche dont l'objectif est d'évaluer l'efficacité et l'innocuité de la technologie CRISPR dans des modèles expérimentaux ; évaluer les effets potentiellement indésirables du guidage de gène avant toute utilisation hors d'un laboratoire ; respecter l'interdiction de toute modification du génome nucléaire germinal à visée reproductive dans l'espèce humaine ; participer à toute initiative nationale ou internationale qui traiterait les questions de liberté de la recherche et d'éthique médicale ; construire un processus de réflexion pour acculturer les chercheurs à ces questionnements.

Notre démarche a d'abord consisté à nous tourner vers nos collègues européens. Nous avons organisé une réunion à Paris, en mars 2016, suivie de la publication d'une note dans Nature afin de clarifier notre point de vue. Nous avons publié un livre blanc européen, avec une vingtaine de collègues de pays membres de l'Union européenne. Nous sommes ensuite allés vers nos collègues à l'international, notamment en réunissant à Vienne des collègues d'Afrique de l'Ouest pour réfléchir sur « CRISPR et paludisme ». Puis nous sommes allés en Amérique latine pour échanger avec nos collègues sur ce qu'ils attendaient de CRISPR et sur ce que cela évoquait pour eux. Nous avons d'ailleurs constaté, en 2016, à l'Institut Pasteur de Montevideo, en Uruguay, qu'un chercheur utilisait déjà CRISPR pour faire des chèvres musclées dans son laboratoire. En 2017, nous sommes partis pour l'Inde. En février 2018, nous sommes allés en République démocratique du Congo pour savoir comment nos collègues d'Afrique centrale percevaient ces nouvelles technologies sur le point d'arriver dans leurs pays.

À la suite de toutes ces réflexions avec nos collègues internationaux et européens, nous avons lancé l'Association internationale pour une recherche et innovation responsable sur l'édition du génome (ARRIGE), en mars 2018, en présence de 140 personnes d'une trentaine de pays. À ce jour, plus de 400 experts de tous les continents suivent nos travaux. L'ARRIGE a fait l'objet de nombreuses publications, telles que Nature Biotech, Science et CRISPR J., en Europe et au Canada. L'ARRIGE sera domiciliée au Centre de recherches interdisciplinaires, au coeur de Paris, dans le quartier de la Bastille, dans un superbe local offert par la Ville de Paris.

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