Intervention de Delphine Plantive

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 8h40
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Delphine Plantive :

Je sais que vous avez organisé beaucoup d'auditions sur ce sujet. Les questions de l'égalité, du sociétal et du naturel ont été largement abordées. Nous souhaitions revenir sur la notion d'égalité, mais aussi sur la réalité du parcours et la notion de famille.

Mon épouse et moi-même avons eu la chance de devenir mamans d'un petit garçon, né à la suite d'une insémination artificielle avec don de sperme (IAD) en Belgique. Nous n'aurions pas pu concevoir notre enfant sans un don de gamètes. De nombreux couples hétérosexuels en France sont dans le même cas. Nous parlons d'égalité, car la PMA est déjà autorisée pour des femmes hétérosexuelles dont le conjoint ne peut pas avoir d'enfants. Personne n'imaginerait dire à ces femmes aujourd'hui qu'elles devraient se résoudre à ne pas avoir d'enfants ou à changer de partenaire. Nous parlons aussi d'égalité car nous ne demandons rien de plus que ce qu'ont déjà ces femmes ; nous ne demandons que le même accès à la PMA. Nous ne demandons ni droit à l'enfant, ni modalités différentes. Nous savons, comme les couples hétérosexuels, que la PMA ne donne pas un droit à l'enfant. À aucun moment nous ne parlons d'un tel droit. La PMA est un parcours difficile, semé d'embûches et d'échecs. Il ne s'agit en rien d'un caprice ou d'une revendication à un quelconque droit à l'enfant.

Comme ces couples, nous ne faisons que demander un cadre sanitaire et juridique pour ne pas avoir recours à des pratiques dangereuses pour nous et pour nos enfants. Un couple de femmes ou une femme célibataire n'ont pas beaucoup de solutions aujourd'hui. Si elles veulent avoir un enfant par voie médicale, elles n'ont que deux solutions.

La première est une PMA artisanale, qui passe par un donneur connu, un tiers – ce qui peut engendrer un problème juridique, car cette personne tierce n'est pas reconnue par un cadre légal –, ou par l'achat de sperme sur internet, sans garantie aucune quant à son origine et à la non-transmission d'infections sexuellement transmissibles.

La seconde solution est la PMA à l'étranger. Cette solution est difficile. Elle impose de nombreuses contraintes morales et physiques aux femmes. Les traitements hormonaux demandés à l'étranger sont souvent plus lourds, et plus délicats à cause des déplacements. De plus, il n'est pas simple d'être suivie par un praticien en France ; or ce suivi est très important, pour expliquer le processus et, en fonction de la physiologie de chaque femme, proposer les bons dosages et les bons protocoles. Trouver un gynécologue « complice » – nous rappelons, par ce mot, de tristes moments de l'histoire – est très difficile. La situation est parfois terrible et les disparités régionales sont criantes. Dans les déserts médicaux, trouver un gynécologue, dans un cadre de soin légal, est très difficile. Ça l'est encore plus pour un couple de femmes qui souhaiterait être accompagné.

Nous oublions souvent, dans ces voyages, les contraintes liées au travail. Les femmes travaillent. Quand nous devons nous rendre pendant deux jours en Belgique ou en Espagne, tous les mois, il est très compliqué d'expliquer à notre patron que nous allons disparaître du jour au lendemain. Généralement, nous mentons plutôt que de raconter ce qui se passe dans notre intimité. Voilà un stress et une tension supplémentaires très importants, alors que ces moments demandent le plus de sérénité possible, car une PMA est toujours compliquée.

Les PMA à l'étranger sont coûteuses. Elles se déroulent principalement dans des cliniques privées, l'accès aux CHU étant difficile. En l'absence de référent médical local, les examens sont plus nombreux. Nous sommes très démunies ; si un examen est demandé, nous le faisons et nous payons. De plus, nous sommes inégales dans notre physiologie : certaines femmes tomberont très vite enceintes, d'autres mettront beaucoup plus de temps. Le stress que je viens de décrire joue beaucoup. Certaines femmes font quatre, cinq ou six tentatives d'IAD, avant de passer à la fécondation in vitro (FIV), ce qui représente à chaque fois des coûts supplémentaires.

Que ce soit pour un couple hétérosexuel, un couple de femmes ou une femme seule, une PMA n'est jamais facile. Les traitements sont lourds, l'absence de réussite est très difficile à vivre. Vous entraînez toute votre famille dans ce processus. Un parcours de PMA n'implique pas seulement les deux parents. Par exemple, ma mère était très inquiète de me voir me rendre à l'étranger. Elle demandait : « Comme saurons-nous ce qui se passe ? », « Pourquoi vas-tu dans tel pays, et non dans tel autre ? » Nos familles font partie de ce projet ; les échecs sont aussi difficiles pour elles que pour nous.

Une dernière question se pose. Comment expliquer à nos enfants qu'il a fallu les concevoir à l'étranger ? L'histoire de l'enfant est essentielle. Ce voyage en fait partie intégrante. Comment lui expliquer que, dans son pays, il n'aurait pu être conçu ?

Si nous avons de la chance, vient la grossesse ; nous redevenons alors citoyennes à part entière. Tout va bien. Mais dès la naissance une nouvelle situation difficile commence. La mère qui n'a pas porté n'a ni droit ni devoir. L'enfant n'est donc pas complètement protégé ; il peut se voir privé de la personne qui était pourtant à l'origine du projet parental. Une procédure d'adoption est donc nécessaire.

C'est une procédure longue, qui dure de huit à douze mois, une procédure très difficile et intrusive. Elle implique de construire un dossier expliquant le lien entre l'enfant et la mère qui ne l'a pas porté ; cela passe des témoignages. Nous devons demander à nos proches, au médecin, au pédiatre, à la nourrice de témoigner. Il vous faut demander au père de votre femme de témoigner : « Écoutez, papy, votre fille est une bonne mère, il faut expliquer que vous aimez votre petit-fils de la même manière que celui conçu par votre fils. » C'est extrêmement difficile, pour eux comme pour nous, car la PMA ne se fait pas qu'entre parents.

La procédure d'adoption est très intrusive. Un policier est venu chez nous. Nous sommes des citoyennes ordinaires. Nous essayons de faire au mieux. Quand la police débarque chez vous, c'est le signe que vous avez fait quelque chose de mal. Nous, nous avons juste eu un enfant ; pourtant un policier est venu chez nous. Il a été charmant, mais – le pauvre – il a du faire son travail : il a ouvert les placards pour vérifier que notre fils avait bien des vêtements, des jouets, des objets à lui, prouvant ainsi que nous nous occupions bien de notre enfant. Quelle violence, pour un couple, pour des parents et pour notre enfant !

À l'inverse, une procédure simple existe pour les couples hétérosexuels. Ils signent en amont des IAD une déclaration conjointe de consentement. Toutes ces difficultés pourraient nous être évitées. Pour ne plus avoir à les affronter, nous demandons aujourd'hui l'ouverture de la PMA à toutes les femmes.

Certains d'entre vous s'inquiètent du devenir de l'enfant, notamment en l'absence de référent paternel. Avoir deux mamans n'implique pas l'absence de référence masculine. La famille ne se limite pas aux parents ou à la personne qui conçoit. Une famille est constituée de grands-pères, de grands-mères, d'oncles, de tantes, de cousins, de cousines, de parrains et de marraines. S'ajoutent les instituteurs, les pédiatres, toutes les personnes qui encadrent les enfants, etc. Plus personne n'ose imaginer que notre enfant vivra dans un vase clos. De plus, notre enfant est inscrit dans une lignée, dans une famille. Certains parlent de caprice ou d'égoïsme, mais nos parents sont derrière nous, nos oncles et nos tantes, etc. De la même façon que nous, ils vivent les débats d'aujourd'hui et entendent tout ce qui est dit sur nos familles. La famille est une globalité. Bon nombre d'institutions l'ont noté : il n'y a aujourd'hui aucune étude fiable qui démontrerait qu'un enfant élevé par deux femmes a davantage de difficultés dans sa construction.

Nous aussi, nous nous demandons ce qu'il adviendra de nos enfants et de cette discrimination. Ce qui aujourd'hui nous préoccupe, c'est l'intérêt de notre enfant. Nous ne parlons pas de désir d'enfant, mais d'enfant désiré. La longueur et la violence des débats nous inquiètent pour nos enfants. Nous ne demandons pas l'ouverture de nouveaux droits ou de nouvelles dispositions légales, nous demandons au contraire un cadre. Nous n'encourageons aucune dérive, aucune licence. Nous voulons une égalité de droit pour pouvoir accéder à des techniques existantes – encore une fois, nous ne demandons pas l'ouverture d'un nouveau droit – dans les mêmes conditions de sécurité, qu'elles soient médicales, sanitaires ou juridiques, pour inscrire nos enfants dans une filiation qui soit légale, encadrée par l'État. Nous voulons simplement protéger nos familles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.