En tant qu'hermaphrodite, je ne suis pas « neutre ». Je suis moi. Le sexe neutre, je le combats, parce qu'il concerne le genre. Les hermaphrodites n'ont pas de genre : ils souffrent d'une mutation génétique. La revendication du genre, elle, ne prend pas appui sur une mutation génétique. Le genre ne nous concerne pas. Ce sont les mouvements LGBT qui revendiquent un sexe neutre, surtout pour les transsexuels, qui se comparent à nous par moments. Eux se font mutiler d'un sexe fertile ; nous, hermaphrodites, nous ne nous faisons pas mutiler d'un sexe fertile : nous ne l'avons pas. La cause du sexe neutre représentée par les mouvements LGBT ne sert pas la cause des hermaphrodites.
À l'âge de neuf ans, quand j'étais un petit garçon, mes problèmes génétiques se sont révélés et j'ai eu une poussée mammaire. On m'a présenté à un médecin, qui m'a adressé à un spécialiste, qui m'a présenté à un généticien, qui a tout de suite diagnostiqué un syndrome de Klinefelter, une maladie chromosomique où le petit garçon a tendance à avoir une petite poussée mammaire. J'ai reçu pendant dix-huit mois un traitement à base de testostérone, après quoi le médecin m'a quand même fait faire un caryotype, puis il m'a fait revenir pour refaire un prélèvement parce qu'il y avait eu, paraît-il, une erreur, et en avril 1968, il a dit à ma mère que je n'étais pas « Klinefelter », mais « 47, XYY en mosaïque ». Je n'avais donc pas besoin de cette testostérone, et depuis ce traitement je suis énorme. C'est la suite d'une erreur médicale. Ensuite j'ai continué à vivre : à quatorze ans j'ai fait une exostose et une ostéomyélite, j'ai fait six semaines de coma, ce qui n'est pas rien, dus à la prise de testostérone. Quand je me suis présenté devant le conseil de révision, ils m'ont réformé tout de suite à cause de mon caryotype : ils ont vu que ce n'était pas la peine. J'ai mis dix ans à comprendre, parce que je voulais faire mon armée et ils m'ont mis dehors ! Et puis, vers l'âge de trente-deux ans, j'ai eu une sorte de menstrues qui est sortie par mon micro-pénis. On a effectué un prélèvement du sang qui sortait et le médecin m'a demandé pourquoi j'avais apporté les règles de ma copine. Le diagnostic a fini par révéler que j'étais pseudo-hermaphrodite avec une particularité. Ensuite, la poitrine que j'avais perdue dans mon enfance est revenue. C'était un changement de vie, un changement social complet.
Ça a été un combat difficile. J'ai mis dix ans avant de finir par accepter. En plus, à quarante-deux ans, j'ai perdu ma mère, ce qui n'a rien arrangé. J'ai cherché des solutions, j'ai rencontré des généticiens qui m'ont recommandé de me faire opérer, de me faire « réparer ». J'ai demandé à mon député de m'aider, ce qu'il a fait. Un médecin-chef de la caisse d'assurance maladie, le docteur Françoise Macron, m'a aidé à monter le dossier. On a cherché d'abord une équipe française capable d'intervenir, sans succès. Finalement, je me suis fait opérer en Belgique par une équipe pluridisciplinaire internationale – parce que j'étais un cas très rare – et je suis devenue une femme, malgré moi. Si on m'avait respecté dans mon enfance, j'aurais été fille tout de suite. Mais je n'ai pas de genre à vous présenter. Je suis moi. Pour moi, il n'y a pas de genre ou de sexe neutre pour les hermaphrodites. Seule une hermaphrodite qui a un syndrome de Swyer – c'est à dire un corps sans vagin mais avec un utérus qui peut recevoir un ovule fécondé – peut avoir des enfants, mais à condition de faire une césarienne.
Ensuite, pour répondre à la question de savoir à quel âge déclarer le sexe et commencer un traitement, c'est au cas par cas. Aujourd'hui, avec la banque de données des maladies rares (BAMARA), les enfants hermaphrodites reçoivent un numéro qui permettra aux médecins de les identifier dans le futur. Avant, quand un enfant changeait de ville ou de région, les informations étaient perdues. C'est donc une grande avancée. Quant à savoir à quel moment il faut donner un traitement, c'est au cas par cas. C'est aux médecins de se prononcer. Par exemple, un traitement aux hormones pour un hermaphrodite, ça ne sert à rien. Pour quelqu'un, par contre, qui a une difficulté chromosomique, oui, ça peut être utile. Le chromosomique, c'est la première chose qui se crée. Le sexe se crée au bout de sept semaines. De nombreux amalgames font croire que les hermaphrodites ont besoin du sexe neutre, mais moi, je n'en ai pas besoin. La question a été posée en Allemagne. Les Allemands ont fait un choix. Devons-nous faire le même choix ? Ma réponse est non. Je n'ai pas besoin du sexe neutre, et les hermaphrodites que je connais n'en ont pas besoin non plus.