Intervention de Laurence Devillers

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 9h55
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Laurence Devillers, professeure à l'Université Paris IV Panthéon-Sorbonne, chercheuse au laboratoire d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) :

On peut, à l'école, éduquer les enfants à désosser de petites machines. C'est assez facile avec des automatismes et je l'ai vu faire au Brésil : des enfants concevaient des petits robots sous forme de mains articulées et utilisaient une petite seringue emplie d'eau pour faire bouger les doigts et communiquer. Je trouve très bien de partir de quelque chose qui n'est même pas numérique pour faire comprendre ce qu'est cette dynamique, puisque si ces machines fascinent, c'est parce qu'elles sont en mouvement : c'est pourquoi on les prend au sérieux et que l'on projette sur elles des désirs ou des capacités humaines. On peut apprendre d'où vient ce mouvement.

D'autre part, si l'on ne désosse pas les machines, ce n'est pas tant parce que les hommes ne veulent pas le faire que parce que l'on ne peut pas. Si je veux réparer mon téléphone portable, je n'y parviendrai pas, même si je suis un tant soit peu habile, parce que le constructeur l'a conçu encapsulé de façon à ce que cela ne soit pas possible : ces machines sont conçues exprès pour être remplacées. On peut faire bouger les choses en expliquant qu'il est souhaitable de faire autrement – et l'on commence à le faire ailleurs dans le monde : en Inde, en Afrique, les gens réparent, et de plus en plus grâce au fait que l'intelligence artificielle se répand partout sur les réseaux sociaux, que l'on peut avoir accès à énormément d'informations et de cours. Il n'est plus besoin d'aller à l'université d'Harvard désormais : les cours de Harvard sont maintenant en ligne, comme les librairies qui permettent de construire ces systèmes. Des fermiers en Inde et en Afrique peuvent ainsi bâtir des machines leur permettant d'évaluer la qualité de l'air ou de l'eau autour d'eux. On peut fabriquer toutes sortes d'objets qui rendront les modes de vie plus écologiques et qui permettront à tout le monde d'en profiter. Mais il faut éduquer en ce sens, éduquer aux grandes découvertes. On ne sait pas ce que sera demain, mais n'ayons pas peur.

Voyez Franck Zal : chercheur en neurosciences au CNRS en biologie animale et s'intéressant à un certain ver marin qu'il a vu sur une plage bretonne, il a découvert que ce ver a l'extraordinaire propriété d'être doté d'une hémoglobine universelle, compatible avec le sang humain de tous rhésus. Le CNRS ne l'écoute pas, les grands instituts pas davantage ; il quitte le CNRS, monte une ferme, produit ces vers, en extrait l'hémoglobine, la lyophilise et lui ajoute de l'eau. Cela donne des poches de sang qui permettent actuellement de mieux conserver des organes en vue de transplantation et de mieux cicatriser, et qui vont être utilisés par la NASA pour d'autres applications. Il ne faut donc pas sous-estimer la sérendipité des humains, cette faculté de toujours trouver du nouveau, de toujours trouver des consciences intéressantes autour de nous, entre nous. C'est ce lien social qu'il ne faut absolument pas perdre, en construisant un puissant réseau d'associations. Partout où je présente mon livre, des gens me demandent quoi faire. Ma réponse est : créer des associations pour parler de ces questions. C'est la première fois que je vois se manifester autant d'intérêt pour la science. Il faut rendre à chaque citoyen sa conscience d'être responsable, d'être un peu décideur. Les petits pas, on peut les faire ensemble.

Je fais partie d'un comité de recherche sur l'éthique qui publie des livrets. Je vous encourage à les lire. Il en existe un sur la robotique et la robotique affective, un autre sur l'éthique de la recherche dans l'apprentissage de la machines, le consentement, comment on décide avec une machine, quels sont les biais et la robustesse… Ils sont en ligne. Je vous invite aussi vivement à lire Nudge, écrit par Richard Thaler, prix Nobel d'économie 2017, et Cass Sunstein. Il faut propager ces bonnes lectures et vulgariser ces technologies.

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