Introduire plus de numérique à l'école, est-ce renoncer à l'écriture ou au livre ? Surtout pas ! En revanche, cela peut permettre une nouvelle appréhension des savoirs, l'acquisition de connaissances complémentaires, une progression plus personnalisée. La question du numérique à l'école est multiple. Il s'agit de l'envisager, d'une part, comme un moyen de renouveler la pédagogie, d'autre part, comme un sujet à traiter en lui-même. Avoir une utilisation non-naïve et intéressante du numérique compris dans sa complexité contribue à cet égard à une meilleure appréhension de l'outil. Nous échangeons actuellement avec le ministre de l'Éducation nationale pour identifier les sujets sur lesquels le numérique apporte une plus-value.
Mme Bannier a évoqué ces élèves un peu honteux de ne pouvoir faire la démarche en ligne demandée ou voir le contenu proposé. C'est une réalité à laquelle j'ai été confronté à plusieurs reprises en tant qu'élu du dix-neuvième arrondissement de Paris. Lorsque des professeurs indiquent, sur les documents qu'ils distribuent, les références de ressources complémentaires à chercher sur internet, c'est une forte discrimination. J'ai passé toute ma jeunesse dans les cybercafés publics, au Palais de la découverte, parce que je n'avais pas les moyens d'avoir internet à la maison. Je me suis alors juré de tout faire pour que tout le monde ait accès à internet partout. Je peux donc vous assurer que je ferai tout pour qu'il y ait des ordinateurs partout, dans tous les collèges, accessibles gratuitement et facilement.
En revanche, je ne suis pas un obsédé de la tablette pour tous. Je ne crois pas qu'il faille que toute l'éducation passe par une tablette, que toutes les collectivités locales achètent massivement des tablettes pour que tout le monde les utilise tout au long de la journée, mais la tablette peut apporter des éléments de dialogue assez intéressants à plusieurs moments de la journée.
Le retrait des contenus violents est un véritable problème. Les opérateurs sont globalement bons en ce qui concerne le cyberterrorisme. Opérateurs et hébergeurs réagissent rapidement pour l'identification de contenus de terrorisme ou de propagande, dans une démarche collaborative avec les États. La semaine dernière, à New York, où les GAFA étaient représentés, le Président Macron, avec qui j'étais, et les représentants du Royaume-Uni et de l'Italie ont pris des engagements ; nous avançons sur ce sujet. Le problème réside plutôt dans les messages qui requièrent une interprétation parfois subtile. La haine ne s'affiche pas directement. Il faut un être humain qui lise, qui parle notre langue – qui soit donc plutôt établi en France –, qui comprenne le message et le reconnaisse comme un message de haine.
N'oubliez pas que ces plateformes visent à la neutralité et se refusent à intervenir sur les contenus. Dans les faits, elles le font quand il est question de nudité, car l'exposition de celle-ci contrevient nettement à leurs valeurs. Nous dialoguons et demandons plus de fermeté contre la haine – l'islamophobie, l'homophobie, la haine profonde parfois exprimée à l'encontre des Juifs, notamment à l'occasion des fêtes. Les associations que j'ai reçues m'ont sensibilisé et m'ont donné des exemples qui montrent que l'on peut aller très loin dans la haine, dans la haine « subtile ». Les chiffres relatifs au retrait des contenus de haine « basique » sont assez bons. Un message comme « sale… ! » est facilement retiré. Si la haine s'exprime de manière un peu subtile ou détournée, les opérateurs refusent d'enlever le message. Ce sont les messages de ce type qui font du mal au quotidien. Nous sommes en pleine réflexion avec les opérateurs et les associations : quel serait le meilleur dispositif ? Des fonctionnaires du ministère de l'intérieur se consacrent entièrement à cette question.
J'espère que nous trouverons dans quelques années une solution permettant de réagir rapidement. En tout cas, sur les sujets les plus graves, nous devons être capables d'agir plus vite. La police et la gendarmerie comptent d'ailleurs de plus en plus de personnes très compétentes dans leurs rangs – la situation était assez différente il y a cinq ou dix ans. De plus en plus, vous trouverez partout, y compris au commissariat de proximité, quelques agents formés qui comprennent particulièrement bien ces sujets. Cela nous permettra d'aller plus vite.
Qu'en est-il, Madame Duby-Muller des TPE-PME ? J'ai parlé d'un plan. Il doit nous permettre de toucher ces entreprises, de leur dire que le numérique leur donnera une capacité de créer de la valeur et de se transformer. Nous ne pourrons pas le faire avec des campagnes de communication, ni avec les seuls moyens de l'État ou des collectivités locales. Il faut trouver des partenaires. De ce point de vue, ceux qui travaillent déjà avec ces PME au quotidien sont essentiels. Notre dispositif s'articulera autour de ces interlocuteurs, qui vont leur dire qu'il existe un monde où la transformation numérique est possible, en partant d'une base de contenus de TPE-PME françaises, qui décriraient leur transformation et les actions numériques qu'elles ont menées, pour quels coûts et avec quels moyens, et d'une orientation des aides et des fonds qui existent déjà. Une PME contactée, par exemple, par son expert-comptable, pourra comprendre que la mise en ligne de son catalogue sur une plateforme lui coûtera moins de 1 000 euros et lui rapportera tout de suite de l'argent, elle saura qu'elle peut demander le bénéfice du chèque proposé par sa région pour la transformation numérique, et qu'elle peut être aidée par un ou deux prestataires présents à proximité.
En fait, le Conseil national du numérique que je présidais auparavant a travaillé près d'un an sur cette problématique. Notre diagnostic était que les TPE-PME ne savent pas par où commencer ni avec qui mener cette transformation. La question du financement ne venait qu'en troisième. L'objet du plan auquel nous travaillons au sein de la direction générale des entreprises (DGE) est de parvenir à construire ce dispositif global et à l'accompagner en termes de communication et d'organisation avec les collectivités.
Quand il est question de numérique, la France est aujourd'hui particulièrement bien écoutée au niveau européen. Voyez ce qui se passe depuis quelque temps. Nos positions conduisent souvent à des consensus. Elles permettent d'aboutir à un compromis entre des pays qui voudraient qu'aucune régulation ne s'exerce dans l'espace numérique et d'autres qui pourraient être considérés comme enclins à une régulation excessive. Aujourd'hui, le regard français sur le numérique peut emporter l'adhésion des autres pays européens. Ainsi, Bruno Le Maire a voulu donner un coup d'accélérateur sur le plan fiscal. Effectivement, d'autres démarches étaient en cours, qui concernent notamment l'assiette de l'impôt. Cependant, le temps nécessaire à leur aboutissement se compte plutôt en années. Nous avions besoin d'un signal fort, nous avions besoin de solutions, éventuellement transitoires, d'une durée de quelques années. Il y avait une urgence, mais celle-ci a finalement eu un effet extrêmement positif : si Bruno Le Maire a pu faire ce qu'il a fait, si les autres pays ont accepté de signer avec nous cette lettre, c'est qu'aujourd'hui les Français, les Allemands, tous ont compris que quelque chose « cloche ». Ces entreprises ne peuvent pas réaliser plusieurs milliards d'euros de chiffre d'affaires sans payer d'impôts. Auparavant, les gens ne le comprenaient pas forcément, ou alors ce sujet ne suscitait pas l'intérêt. Aujourd'hui, il suscite un intérêt profond.
Il en est de même pour les données personnelles : alors que ce sujet était hier considéré comme assez technique, les parents se demandent aujourd'hui où sont enregistrées les données en ligne. L'échange de données avec les États-Unis, le « privacy shield », était au début un sujet de techniciens et de juristes, mais les gens se demandent maintenant où se trouvent leurs données. Cette prise de conscience des citoyens, notamment grâce aux acteurs publics, du moins je l'espère, nous permet d'être plus forts pour négocier. Sur tous ces sujets, nous sommes écoutés et suivis.
La question de la fracture numérique est portée par Jacques Mézard et Julien Denormandie, car c'est un sujet de cohésion des territoires. Benjamin Griveaux y participe au titre de l'expertise sur l'économie numérique et sur celle des opérateurs des télécoms, et moi-même pour la connaissance technologique et l'analyse du secteur dont disposent mes services.
Parmi les demandes fermes qui sont faites aux opérateurs, il y a la volonté de ne pas casser l'architecture des réseaux d'initiative publique (RIP). Là où le marché n'a pas réussi à faire émerger une offre, ils ont permis de créer des réseaux capables de câbler, d'opérer et de distribuer de la fibre optique et du très haut débit, grâce à des financements des collectivités locales, de l'État et d'investisseurs. Des opérateurs se disent aujourd'hui intéressés, alors que des dizaines de millions d'euros ont déjà été investis, mais les plans d'affaires des RIP ne marcheront plus s'il y a localement deux réseaux concurrents. Il faut donc faire très attention : nous ne souhaitons pas qu'il y ait de telles perturbations pour des RIP qui fonctionnent. Il faut voir comment l'empêcher, nous l'avons dit assez fermement la semaine dernière.
Quant à la suite, notamment l'arrivée dès 2020 de la couverture mobile de qualité et du haut et très haut débit, la solution est complexe : elle fait appel à un « patchwork » technologique. On arrivera à 30 mégaoctets pour tous via le satellite dans les zones les plus excentrées, avec de la fibre ou un « mix » de fibre et de radio dans les zones de moyenne densité et avec 100 % de fibre dans des zones un peu plus denses : il faudra faire de la dentelle sur le plan local afin qu'il y ait des solutions pour tous. Il ne devra plus y avoir de locaux non connectés en 2020, qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises. Nous en avons pris l'engagement et je suis certain que nous arriverons à le tenir.